De Gaulle et l’Afrique (3)

Le Manifeste de Brazzaville

Les semaines qui suivent l’arrivée du général de Gaulle à Brazzaville, le 24 octobre 1940, voient se mettre en place une première forme d’organisation de la France Libre. Le manifeste de Brazzaville, qui date du 27 octobre 1940, se situe donc dans une période d’intense activité « législative » et juridique. En effet, deux ordonnances sont également datées du 27 octobre, tandis qu’une « déclaration organique » à valeur quasi constitutionnelle est signée par de Gaulle le 16 novembre 1940. Ce même jour est aussi créé l’Ordre de la Libération. Le premier numéro du journal officiel de la France Libre devait paraître quelques semaines plus tard, en janvier 1941.

Le manifeste de Brazzaville proprement dit forme un ensemble cohérent : le cœur en est la question de la légitimité. Le professeur René Cassin a contribué à asseoir juridiquement l’argumentaire que de Gaulle y déploie. Le texte dénie toute légitimité aux autorités « de fait» qui siègent à Vichy. Les « dirigeants de rencontre » qui incarne ce pouvoir demeuré en métropole sont soumis à l’Occupant, au point qu’« il n’existe plus de gouvernement proprement français ». La conséquence en est évidente : « il faut donc qu’un pouvoir nouveau assume la charge de diriger l’effort français dans la guerre ». La légitimité se serait donc « déplacée » du côté de ceux qui poursuivent l’effort de guerre, c’est-à-dire de la France Libre. De Gaulle reconnaît que la légitimité qu’il endosse n’obéit pas aux formes constitutionnelles de la légalité, mais  « prend […] l’engagement solennel de rendre compte de [s]es actes aux représentants du peuple français dès qu’il lui aura été possible d’en désigner librement ».

Les deux ordonnances datées également du 27 octobre 1940 organisent les pouvoirs publics pendant la guerre. Elles se fondent sur la législation française antérieure au 23 juin 1940, date de l’armistice et créent le Conseil de défense de l’Empire. Il s’agit d’un embryon de gouvernement. Bien que « purement consultatif », comme l’écrit l’historien Jean-Louis Crémieux-Brilhac, le Conseil envisage la guerre dans tous ses domaines et poursuit un objectif : la libération de la patrie. Il « traite avec les puissances étrangères des questions relatives à la défense des possessions françaises et aux intérêts français ». Le Conseil de défense de l’Empire compte alors neuf membres. : quatre militaires (le général Catroux, l’amiral Muselier, le général de Larminat, le colonel Leclerc), deux gouverneurs (Félix Eboué et Henri Sautot), un médecin (Adolphe Sicé), un professeur de droit (René Cassin) et un homme d’Eglise, qui est aussi un marin (Georges Thierry d’Argenlieu).

Enfin, le 16 novembre, une déclaration organique complète le dispositif.

A compter de cet automne 1940, de Gaulle change en quelque sorte de statut. Il n’est plus le chef d’une petite troupe de combattants, mais le responsable d’une partie de l’Empire français située hors de l’atteinte de l’ennemi. Le libellé de l’ordonnance créant le Conseil de l’Empire porte témoignage de ce changement : « Au nom du Peuple et de l’Empire français, Nous, Général de Gaulle, chef des Français Libres, Ordonnons […] ».

En ce sens, l’ensemble de textes souvent désigné sous le nom générique de « manifeste de Brazzaville » marque une étape décisive dans l’histoire de la France Libre.

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