Du 22 au 24 juin 2017, la Fondation Charles de Gaulle était le partenaire du dixième Congrès français de Droit constitutionnel, organisé par l’Association française de Droit constitutionnel, l’Université de Lille Droit et Santé, le Centre de Recherche Droits et Perspective du Droit de Lille (CRDPD) et Sciences Po Lille. La Fondation a notamment participé aux séances d’ouverture et de clôture du congrès à Lille.

Discours d'introduction par Jacques Godfrain, Président de la Fondation Charles de Gaulle, le 22 juin 2017 à l'Université de Lille Droit et Santé

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les professeurs, Mesdames et Messieurs,

 

C’est pour moi un grand honneur mais surtout une tâche fondamentale que de vous accueillir aujourd’hui à Lille, ville natale du Général, au nom de la Fondation Charles de Gaulle. Lillois de Paris, Charles de Gaulle a en effet vu le jour dans cette maison de la rue Princesse, au cœur du « vieux Lille », maison qui vous accueillera quand viendra le moment de conclure ce colloque, et son esprit continue à veiller sur les destinées constitutionnelles de notre pays, auxquelles il a apporté une orientation décisive.

La Fondation Charles de Gaulle existe depuis 1990 en tant que telle, mais procède de l’Institut Charles de Gaulle, lui-même fondé en 1971, avec l’assentiment du Général, donné peu avant sa disparition. Sa mission est de conserver et de défendre l’héritage gaullien, par plusieurs vecteurs, l’action à l’étranger, où le nom de de Gaulle continue de résonner et d’incarner notre pays, comme nous avons pu le constater récemment en Chine et au Liban, auprès du grand public, à travers des expositions ou des pièces de théâtre, l’action avec les jeunes, notre partenariat avec l’Éducation nationale étant ancien, solide et dynamique, et l’action universitaire, qui m’amène ici devant vous. Depuis plusieurs années, notre conseil scientifique, présidé par Arnaud Teyssier, lequel succède à d’illustres devanciers, Gilles Le Béguec ou Maurice Vaïsse, travaille sur l’histoire de l’œuvre gaullienne sous tous ses aspects, qu’il s’agisse d’histoire politique, d’histoire des politiques publiques ou d’histoire des relations internationales. Plus récemment, nous avons ouvert un cycle visant à porter une réflexion sur ce qui reste de l’héritage gaullien dans les grandes orientations actuelles de notre pays, cycle que nous avons ouvert par une réflexion sur les enjeux de défense, et que nous poursuivrons l’an prochain par une réflexion sur la place de la France dans le monde.

Cette réflexion sur les enjeux de Défense s’est d’ailleurs avérée très fructueuse, et m’amène au sujet qui nous réunit aujourd’hui. C’est en effet dans le contexte de la Guerre d’Algérie que se met en place la constitution de la Ve, et ce sont en grande partie les enjeux militaires qui amènent le Général à « modeler » les institutions à sa mesure. Pour mémoire, c’est le décret du 14 janvier 1964 sur les forces aériennes stratégiques qui donne de fait au président le contrôle de la dissuasion, et définit par conséquent le fameux « domaine réservé » : certains parlementaires de l’opposition s’offusquent d’ailleurs à l’époque d’un décret jugé « inconstitutionnel », y compris certains qui y trouveront par la suite de nombreuses vertus.

Pour autant, face aux multiples procès en légitimité qui sont actuellement intentés à la Ve République, contre la critique classique selon laquelle il s’agirait d’une constitution faite par et pour le Général, je voudrais me borner à rappeler quelques idées simples.

La première est que la Ve République, si je puis me permettre l’expression, ne tombe pas du ciel en 1958. Si de Gaulle en formule les prémisses dans les discours de Bayeux mais aussi, et surtout, d’Épinal, la Ve République a sa généalogie propre, elle réconcilie deux traditions constitutionnelles françaises, une parlementariste, et une plus exécutive. On l’oublie trop souvent, mais l’une des références du Général de Gaulle réside dans les textes constitutionnels de 1875, ceux qui, avant la crise du 16 mai 1877 et la constitution Grévy, avaient constitué un point d’accord pour une Assemblée réunissant des sensibilité très différentes. En un sens, la longévité de la Ve République peut s’expliquer par la synthèse qu’elle représente entre ces différentes histoires.

Ce serait également oublier un moment clé de naissance du gaullisme, l’effondrement de 1940. Être gaulliste, disait Pierre Messmer, c’est avoir vécu cette débâcle et être déterminé à ne jamais la revivre. De Gaulle appartenait à la génération qui connaissait Agathon : pour ne pas être vaincu, il fallait des institutions fortes. L’ordonnance du 9 août 1944 se fonde sur l’irrégularité de le loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, et certaines dispositions constitutionnelles, notamment sur la procédure de révision, en découlent.

Ce serait enfin oublier tout ce que cette constitution de 1958 doit, sinon à la IVe République, du moins aux efforts que quelques uns de ses praticiens ont consenti pour tenter de la réformer : des réformes avortées de Félix Gaillard sur les conditions de renversement d’un Gouvernement au célèbre article 49.3 voulu par Guy Mollet plus que par Michel Debré, ce sont les impasses d’un parlementarisme absolu qui ont pavé le chemin de la Ve République. Nous pouvons parler de synthèse gaullienne, c’est tout cet héritage qui nourrit la pensée du général et ses choix en 1958 : il s’agit, quelque part, de referme en France le cycle des querelles constitutionnelles. La belle exposition préparée par la Fondation, que vous pouvez admirer à la porte de cet amphithéâtre, le souligne, notamment en montrant la présence bienveillante de René Coty le 8 janvier 1959 aux côtés de Charles de Gaulle investi Président de la République.

D’autre part, si nous célébrerons l’an prochain les 60 ans du texte de 1958, il serait faux de voir cet texte comme figé, intangible dans l’esprit même du Général, qui parle de les « modeler » : si la Ve repose sur des compromis initiaux, comme le retour au scrutin majoritaire, il s’agit aussi et surtout d’une régime vivant, évolutif. Les réformes de 1962 et le décret de 1964 ne font qu’approfondir une des voies que le texte de 1958 laisse ouvertes, tout en continuant à soumettre l’action gouvernementale à un strict contrôle parlementaire. De même, il faudra un jour réhabiliter la proposition de réforme de 1969 : derrière la réforme emblématique du Sénat, qui phagocyte la campagne référendaire, il existe une véritable « étape locale de la Ve République », laquelle, du fait de l’échec, n’interviendra que plus tard. L’équilibre est à trouver entre cette souplesse et la nécessité de rester fidèle aux principes fondamentaux. A partir de quand pourra-t-on considérer que ceux-ci sont touchés ou mis en danger ? C’est là à mon avis le cœur de la réflexion des mois à venir, réflexion à laquelle la Fondation compte bien apporter sa pierre. La logique d’un système institutionnel doit lui permettre de survivre, d’évoluer sans céder aux modes.

Je voudrais enfin souligner une dernière idée, qui sera centrale dans le colloque que nous tenterons de proposer l’an prochain, quand il s’agira de célébrer les 60 ans du texte constitutionnel, et à laquelle Arnaud Teyssier et Frédéric Fogacci travaillent actuellement. La Ve République, en permettant la décision, en responsabilisant l’électeur, aussi, via le scrutin majoritaire, en donnant de la stabilité et du temps à l’exécutif, a permis la mise en place de grands compromis implicites mais durables. Alors que l’instabilité de la IVe République avait de fait conduit certains hauts-fonctionnaires, bénéficient de leur permanence aux affaires, à gérer de fait certains secteurs, la Ve République permet une forme de remise en marche de la haute-administration, de nouveau mise au service d’un Etat fort et capable de mener une stratégie sur le moyen terme. De même, la politique sociale française est aussi profondément liée à ce modèle de stabilité, l’alternance fonctionnant sur l’acceptation des héritages précédents. La politique étrangère d’indépendance est également la conséquence de nos institutions : le Président français est aujourd’hui, par l’étendue de ses pouvoirs, capable de décider rapidement, ce qui lui ménage de fait une place dans le « club » des grands décideurs de la planète.

Au moment d’ouvrir vos travaux, que je souhaite fructueux, stimulants, iconoclastes aussi, le Général ne s’en serait certainement pas offusqué, mais conscients de l’héritage que représente cette exception constitutionnelle française, il me reste l’agréable devoir de remercier ceux qui ont rendu ce beau colloque possible, le Professeur Emmanuel Cartier et M. Gilles Toulemonde, de l’Université Lille II, M. Le président Jean-René Lecerf, du conseil départemental du Nord, M. Xavier Bertrand, Président de la Région des Hauts de France, et leurs services, Mme Marie Lefèbvre, directrice adjointe de la Maison natale, et tous ceux qui, à la Fondation, se sont investis dans cette aventure, l’Amiral Barrère, le Colonel Braunecker-Becker, Frédéric Fogacci, Arnaud Teyssier, Alain Laquièze, et à m’approprier dans un autre contexte, la formule de Bolivar : « Messieurs, commencez vos travaux, j’ai fini les miens ! »

Je vous remercie.

Photos de la séance d’introduction du congrès le jeudi 22 juin 2017 :

 

Le samedi 24 juin 2017, à l’occasion de la clôture de cette dixième édition du Congrès français de Droit constitutionnel, la Fondation Charles de Gaulle et la Maison natale de Charles de Gaulle à Lille ont organisé une conférence sur les origines de la Ve République. Cette conférence, tenue devant plus de 80 experts et universitaires du Droit constitutionnel venus de France, d’Europe et d’Afrique, a permis d’aborder la figure constitutionnaliste et militaire du général de Gaulle, qui connaissait intimement l’histoire politique et administrative de la France.

CONFÉRENCE : « D’OÙ VIENT LA CINQUIÈME RÉPUBLIQUE ? ORIGINES DE LA PENSÉE CONSTITUTIONNELLE DE CHARLES DE GAULLE »

Intervenants :

• Frédéric Fogacci, Directeur des études et de la recherche à la Fondation Charles de Gaulle
• Jean-Félix de Bujadoux, Chargé de conférence à Sciences Po Paris
• David Bellamy, Maître de conférences à l’Université de Picardie Jules-Verne d’Amiens

 

Retour en images :

 

La Fondation Charles de Gaulle tient particulièrement à remercier le Professeur Emmanuel Cartier et Monsieur Gilles Toulemonde de l’Université Lille Droit et Santé, Monsieur Jean-René Lecerf, Président du Conseil départemental du Nord, Monsieur Xavier Bertrand, Président de la Région Hauts-de-France, et Madame Marie Lefebvre, Directrice adjointe de la Maison natale de Charles de Gaulle à Lille.

 

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