La Fondation Charles de Gaulle et l’Ambassade de Roumanie en France ont organisé le mercredi 16 mai 2018 une table-ronde intitulée « Le voyage du Général de Gaulle en Roumanie (13-18 mai 1968), d’hier à aujourd’hui. »

« Je suis content d’être venu » : c’est par cette formule simple que le général de Gaulle mettait fin, le 19 mai 1968, à une visite d’État de cinq jours dans la Roumanie alors dirigée, depuis 1965, par Nicolae Ceausescu. Ce voyage, dans la tradition gaullienne, ne se limite pas à une rencontre avec les élites, mais privilégie le contact avec les populations, dans l’ensemble du pays (discours à Craiova, Biresti, Slatina, Tirgoviste, Gaiesti, Bals, Topoloveni et Ploiesti), tandis que son discours à l’Université de Bucarest est retransmis à la télévision nationale. En ce sens, il s’agit d’un événement politique marquant pour les Roumains, et d’une inflexion significative dans la politique étrangère roumaine.

Si chacun des voyages du Général à l’étranger répondait à des objectifs précis, celui en Roumanie est particulièrement important, et à ce titre mérite pleinement d’être commémoré.

À l’occasion du cinquantième anniversaire de ce voyage, le temps est peut-être venu de « tirer les bilans de cette histoire là », selon la formule du Général : avec le recul, le voyage fut-il le succès décrit à l’époque ? Comment comprendre que, dans le contexte brûlant de Mai 1968, de Gaulle ait refusé de le reporter, et même de l’écourter ? Ce voyage a-t-il joué un rôle dans l’évolution des relations est-ouest en Europe, sept ans avant les Accords d’Helsinki ? A-t-il enfin, c’est sans doute la question la plus importante, celle que le passé gaullien pose à notre présent, servi à entretenir la relation bilatérale franco-roumaine, qui peut constituer en Europe un axe de dialogue est-ouest privilégié ?

PROGRAMME DE LA SOIRÉE

Accueil

  • S.E Luca Niculescu, Ambassadeur de Roumanie en France
  • Jacques Godfrain, Président de la Fondation Charles de Gaulle
  • Modérateur : S.E Luca Niculescu, Ambassadeur de Roumanie en France

Table ronde 1 : le voyage de 1968, rencontre entre la stratégie gaullienne et une relation bilatérale forte et ancienne

  • S.E. Adrian Cioroianu, Ambassadeur de Roumanie à l’UNESCO, ancien ministre des Affaires étrangères
  • Frédéric Fogacci, professeur agrégé et directeur des études et de la recherche à la Fondation Charles de Gaulle
  • Enjeux :
    • De Gaulle et la Roumanie avant 1940 : les contacts avec les militaires roumains, la diffusion des idées gaulliennes en Roumanie ?
    • La Petite entente et le rôle de la relation franco-roumaine des années 1930 dans la vision gaullienne de la relation bilatérale
    • Les enjeux du voyage : la voie roumaine au sein du bloc de l’Est ? La volonté gaullienne de renforcer le lien est-ouest ?
    • Le voyage dans le contexte de mai 1968
    • Le déroulé du voyage : de Gaulle au contact du peuple roumain ?

Table-ronde 2 : Du voyage de 1968 à la relation franco-roumaine dans le cadre européen

  • S.E. Adrian Cioroianu, Ambassadeur de Roumanie à l’UNESCO, ancien ministre des affaires étrangères
  • Max-Olivier Gonnet, sous-directeur pour l’Europe centre-orientale et balte, Ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères
  • Enjeux :
    • Que reste-t-il de la francophilie propre à la Roumanie ? Que représente encore la figure de de Gaulle dans cette relation ?
    • La relation bilatérale franco-roumaine est-elle un axe privilégié de dialogue est-ouest en Europe ?
    • Quelle perspective pour cette relation afin de faire avancer l’Europe ?

DISCOURS DU PRÉSIDENT JACQUES GODFRAIN

Soirée « Le voyage du général de Gaulle en Roumanie, 50 ans après »
Ambassade de Roumanie
16 mai 2018

Messieurs les Ambassadeurs,
Messieurs les directeurs,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs les Professeurs,
Mesdames, Messieurs,

« Sa traiesti, ţara frumoasa ». Je te salue, beau pays. Ces quelques mots que le Général de Gaulle prononce à son arrivée à Bucarest, voici cinquante ans presque jour pour jour, revêtent un sens bien moins anodin et protocolaire que l’on pourrait l’imaginer de prime abord. Le Général pose les pieds en Roumanie, un pays avec lequel il entretient une familiarité intellectuelle et culturelle. Ayant côtoyé de futurs membres de l’Etat major roumain à l’Ecole de guerre dans les années 1920, il a pu bénéficier d’une diffusion précoce de ses idées : dès le 16 juin 1940, l’hebdomadaire Semnalul publie un article prémonitoire, « Le Général père de l’armée motorisée ». Plus encore, c’est le lien culturel unissant les deux pays que de Gaulle est venu célébrer. Comme il le confiera à Michel Droit, le 6 juin 1968, « On n’a pas idée de ce que la France est en dehors de chez elle, et en particulier en Roumanie ».

En assurant cette visite, prévue initialement en juin 1967 et annulée à cause de la Guerre des Six jours, de Gaulle joue également une carte maitresse dans sa stratégie à l’Est. Ce voyage n’est pas anodin, il suit avec attention la stratégie diplomatique du « Génie des Carpates », Nicolae Ceaucescu, lequel à succédé à Georghiu Dej quatre années plus tôt. Sous l’impulsion du très francophile premier ministre, Ion Maurer, Ceausescu est alors dans une logique d’affirmation face à Moscou. La lutte contre l’influence culturelle de la France des premières années de la Guerre froide n’est plus de mise. Quelques semaines plus tard, Ceausescu prendra parti, nettement, contre l’intervention soviétique à Prague.

Enfin, cette visite est un acte politique, puisque de Gaulle laisse à Georges Pompidou la gestion de la crise universitaire et des débuts du mouvement ouvrier. Si l’on peut évidemment considérer que de Gaulle prend du champ avec les évènements, se donne le temps de murir, loin de Paris, certaines initiatives, le sens essentiel de cette visite n’est pas forcément là : comme il l’affirmera dès le 6 juin, : « Au total, quand on fera le bilan de cette histoire là, je pense que le voyage en Roumanie, pour ce qui est de l’intérêt national et de l’intérêt de la paix internationale, aura, finalement, été essentiel ». Par-delà la crise, l’Etat assure la permanence de son action, à l’intérieur des frontières, mais aussi au-delà. Le message est significatif, les institutions de la Ve République, que nous évoquerons en septembre prochain dans un colloque prometteur avec l’ENS et l’ENA, tiennent ferme face à la crise, et en sortiront peut-être même renforcées.

Nous ne sommes donc pas réunis ici ce soir pour commémorer un épisode jauni de guerre froide, et je m’adresse ici aux nombreux étudiants qui nous font le plaisir d’être avec nous, mais au contraire pour réfléchir à une relation bilatérale ancienne et solide, nouée autour d’une culture et d’intérêts communs, et sans doute utile et stratégique pour l’Europe d’aujourd’hui et de demain. Il me reste l’agréable devoir de remercier au nom de la Fondation ceux qui ont rendu cette rencontre possible, Messieurs les Ambassadeurs Luca Niculescu, qui nous accueille ce soir, et Adrian Ciorioanu, le premier secrétaire, M. Gheorge Buliga et ses équipes, Madame le professeur Catherine Durandin n’a pu être parmi nous ce soir pour des raisons personnelles, M. Philippe Etienne, qui a jusqu’au bout souhaité être parmi nous avant d’être appelé par le Président de la République à d’autres engagements, et M. Max-Olivier Gonnet, sous-directeur pour l’Europe centrale au Quai d’Orsay, qui est pour nous un ami. Je précise que M. Gonnet est l’une des cheville ouvrière d’un vaste cycle de séminaire que nous consacrerons, avec le Quai d’Orsay, à la politique de rayonnement de la France de de Gaulle à aujourd’hui : je laisse votre imagination vagabonder autour du titre que nous avons retenu : « De Gaulle et le Grand large, une ambition pour la France, d’hier à aujourd’hui ».

En somme, comme le Général en son temps, nous sommes contents d’être venus, et j’ai maintenant le plaisir de laisser la parole aux intervenants.

Je vous remercie.

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