À l’occasion du Centenaire de l’Armistice, redécouvrez le discours en images du général de Gaulle aux Invalides le 10 novembre 1968 à l’occasion du 50e anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918.

Texte du discours aux Invalides du Président de la République, Charles de Gaulle, à l’occasion du cinquantenaire de l’armistice du 11 novembre 1918 :

« Un demi-siècle s’est écoulé sans que le drame de la grande guerre se soit effacé de l’âme ni du corps des nations, et tout d’abord de la nôtre. Telles ont été, en effet, les dimensions physiques et morales de l’épreuve que rien ne fut plus après comme il en était avant. La société des hommes, toute entière : régimes, frontières, lois, force, relations entre les États, mais aussi doctrines, vie des familles, richesses, situations, rapports personnels, a changé de fond en comble. En somme les immenses évènements, politiques, économiques, sociaux, qui depuis ont encore bouleversé le monde, la deuxième guerre générale qui l’a déchiré de nouveau, les tensions et les conflits qui le troublent en ce moment même sont les conséquences directes de la colossale révolution frayée alors par les armes et où la race humaine en vint à perdre l’équilibre qu’elle n’a pas jusqu’ici retrouvé. Dans la lutte mondiale commencée le 2 août 1914 et terminée le 11 novembre 1918, l’action de la France fut capitale. Pourtant, parmi les nations que l’on appelait alors les grandes puissances, sa dimension numérique, après une longue dénatalité, était moindre que celle des autres. Mais, le fait est, que les deux grandes batailles qui tranchèrent la destinée, la première et la dernière de la guerre, ont été des batailles de France. Que notre armée prit dans l’une et dans l’autre une part prépondérante. Qu’elle en fit de même dans chacune des grandes entreprises de destruction réciproque qui marquèrent la lutte d’usure. Que néanmoins, elle ne manqua pas d’intervenir sur une large échelle, dans les Balkans et en Italie, d’aider à libérer la Palestine, le Liban, la Syrie, et de l’emporter en Afrique, tandis que dans les opérations menées sans relâche sur la mer pour les communications, faute desquelles tout eût été vain, notre flotte joua un rôle proportionné à nos besoins. Bien des choses pourtant nous ont manqué, beaucoup d’autres furent gaspillées, maintes erreurs ont été commises. Certes, la république mobilisa et mit en ligne, dès les premiers jours, une armée puissante, ardente, et longuement préparée, mais cette armée était dépourvue d’artillerie lourde, insuffisamment dotée d’armes automatiques, médiocrement outillée en moyens de transmissions, d’observation, de transport. Certes, pendant les trois années qui suivirent la victoire de la Marne, les offensives visant à percer le front adverse, en Champagne, en Artois, sur la Somme, sur le Chemin des Dames, l’attaque qui essaya de forcer le passage des Dardanelles, la défense opposée aux diverses tentatives de rupture entreprises par les allemands furent menées avec une détermination et une ténacité extrême. Mais faute qu’ait pu être construit, à temps, assez de canons, fabriqué assez de munitions et de chars, nous payâmes d’énormes pertes ces chocs terribles et sans décision. Certes, tout au long de la conflagration, nos pouvoirs publics montrèrent une résolution et une activité certaines, mais combien nous ont coûté les crises politiques d’où en 4 ans sortirent 7 gouvernements et 7 ministres de la guerre. Et cependant, en dépit de tout, la France tint bon jusqu’au jour où elle se fut mise elle-même en mesure de se saisir de la victoire. C’est qu’elle sut compenser à mesure, tant de lacunes, d’inconséquence, de retard, par une cohésion nationale, une capacité de sacrifice, un déploiement de valeurs humaines sans exemple dans son histoire. Toutes les raisons, qu’elles fussent inspirées par le simple amour de la patrie, ou par la fureur de subir l’invasion, ou par l’espoir de reprendre l’Alsace et la Lorraine perdues, ou par le dévouement à la cause de la liberté, ou par l’idée que si on gagnait, il n’y aurait plus de guerre, ou par l’acceptation religieuse du destin, toutes ces raisons ont concouru à ceci : que la France, le peuple français, tira de lui-même un effort qui fut comparativement le plus grand parmi tous les belligérants. Indépendamment des précieux contingents qui lui vinrent d’Afrique et d’Asie, la France a fait combattre au total 7 millions huit cent mille hommes, 20% de sa population, soit un pourcentage sans égal. En même temps, prodiguant l’action, sans disposer de tous les moyens voulus, c’est elle qui perdit relativement le plus de son sang. La proportion des soldats tués par rapport à la population atteignit pour les français 3,5%, c’est-à-dire la plus élevée de toutes, est d’autant plus lourde pour nous que ces morts étaient des jeunes gens, et que de toute l’Europe nous en étions les plus dépourvus. A ces pertes humaines, gigantesques, s’ajoutèrent pour la France des dépenses qui l’étaient aussi. Pour fabriquer le matériel qu’il nous fallait, pour acheter et importer les combustibles, les métaux, les outillages indispensables, pour suppléer au fait que presque toutes nos mines de charbon et de fer, les trois quarts de nos hauts fourneaux, le tiers de nos usines, se trouvaient aux mains de l’ennemi, il nous fallût sacrifier la moitié de notre fortune nationale, sans préjudice de ce que nous coûterait ensuite la réparation des dommages. Cependant, notre industrie trouva moyen de produire 36.000 canons, 35.000 chars, 35.000 avions, dis-je, 5.000 chars, 300 000 mitrailleuses, de sortir en moyenne, chaque jour, 300 000 obus, et 400 000 kilos de poudre. A la fin, c’est nous qui, matériellement, étions les plus forts. Si au début du conflit, l’ennemi pouvait lancer deux fois plus de projectiles que nous, il arriva que pendant la suprême bataille nous l’avons écrasé de feux deux fois plus puissants que les siens. Il est vrai que la nation armée trouva, aux moments extrêmes, des chefs capables de conduire son effort, parmi les hommes qui, souvent avec de grands talents, portèrent les principales responsabilités politiques, Raymond Poincaré, au sommet de l’État, déploya depuis le premier jusqu’au dernier jour, pour le service de l’union sacrée et de la résolution nationale, des trésors de vigilance, de conscience et de compétence. A la tête du gouvernement, Georges Clemenceau mena la guerre et galvanisa le pays, assez à temps et assez fort, pour résister aux ultimes assauts de l’ennemi et de la trahison, et marcher jusqu’à la victoire. Dans la phalange des officiers généraux qui commandèrent avec le plus d’éclat, huit maréchaux de France ont mérité d’atteindre au sommet de la gloire militaire. Joffre, qui, après la surprise malheureuse du début, sut décider, imposer, diriger, la manœuvre et l’offensive qui ont sauvé notre pays. Foch qui, à force de capacité, de volonté, d’autorité, rétablit le front ébranlé, prit à son compte la charge et l’honneur insigne de commander toutes les forces des alliés et régla leur marche en avant jusqu’au jour où l’ennemi fut contraint de venir se rendre à Rethondes, pour éviter de rouler au gouffre d’un désastre illimité. Pétain qui, ayant brisé à Verdun l’effort acharné des allemands, ranima l’armée française en guérissant son moral blessé, en l’organisant autour de l’armement moderne qui sortait enfin des usines et ne l’engageant jamais qu’après avoir méthodiquement tout disposé pour le succès. Franchet d’Esperey, plein d’audace, aussi bien que de sens pratique, qui mena les français, les britanniques, les italiens, les serbes, les grecs placés sous ses ordres, sur le théâtre d’opérations des Balkans à une victoire décisive qui annonçait le triomphe final. Fayolle, Gallieni, Lyautey, Maunoury qui, chacun à sa manière et suivant sa mission, furent de grands maîtres de l’action comme ils l’étaient aussi de la pensée. La patrie se souvient. Sans doute après l’effort démesuré de la première guerre mondiale, notre peuple, au cours de la seconde, a-t-il paru d’abord s’abandonner, sous la violence et la surprise d’un choc, que l’infirmité de son système militaire et celle de ses institutions, ne lui avaient pas permis d’empêcher ni de repousser. Mais s’il parvint en dépit de tout à partir du fond de l’abîme, à reprendre possession de lui-même, à remonter la pente, jusqu’à remporter la victoire avec ses vaillants alliés, à s’assurer dans l’univers d’un rang digne de ce qu’il est, grâce à quoi nous pouvons, aujourd’hui, admettre parmi nos amis ceux qui étaient nos ennemis, autrefois. Ce combat pour le salut fut suscité une fois de plus par la flamme de la foi et de la fierté nationale. Mais c’est la même flamme qui, une génération plus tôt, inspirait le pays tout entier, qui lui faisait dresser ensuite les monuments aux morts de toutes nos villes et de tous nos villages qui, chaque 11 novembre, rassemblait les populations autour des drapeaux de nos anciens combattants, qui brûle toujours, symboliquement, sous l’Arc de Triomphe de l’Étoile. C’est cette même flamme, qui inspirera, au nom de l’avenir, comme elle l’a fait au nom du passé, l’âme de la France éternelle. »

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