Philippe Barthelet a relevé dans les 4 volumes du Journal de Jean Galtier-Boissière les passages concernant le général de Gaulle. Nous publions la 2e partie de l’étude de Philippe Barthelet concernant la période 1945-1946.

LES PASSAGES CONCERNANT LE GÉNÉRAL DE GAULLE
DANS LES 4 VOLUMES DU JOURNAL DE JEAN GALTIER-BOISSIÈRE

par Philippe Barthelet,
Écrivain et philosophe

Jean Galtier-Boissière (1891-1966) a fondé Le Crapouillot et écrit dans Le Canard enchaîné avec la même intention de dégonfler les bobards du style « superhéroïque » en vogue au lendemain de la Grande Guerre, une guerre qu’il avait faite dans les tranchées (Un hiver à Souchez, Du Lérot, 1998). Cette distance ironique fait de lui le meilleur mémorialiste de la décennie charnière du XXe siècle : ami du Tout-Paris des écrivains et des artistes, grand connaisseur du monde de la presse et du journalisme, les quatre volumes de son Journal (1940-1950) captent l’air du temps et épinglent au passage les hideurs des âmes, comme son père, le Dr Émile Galtier-Boissière, l’auteur du Larousse médical avait su exposer celles des corps.

Philippe Barthelet

Mon Journal dans la drôle de paix (1945-1946)

1er septembre 1945 

« Pierre Bourdan, à Londres, avait composé un pastiche de discours du général de Gaulle, qui commençait par : “Soldats, je suis content de moi !” »

Le Général résidait à l’hôtel Connaught. “Oh ! vous savez, indiquait une Anglaise malicieuse, l’hôtel s’appelait déjà ainsi avant lui” ».

2 septembre 1945

« Les mots des pétainistes.

De Gaulle : le jar de combat ». 

16 septembre 1945

« Les mots des pétainistes.

Le Général : le haut Mékong ».

6 octobre 1945

« Parole d’honneur !

Cette guerre a démontré que les traités ne sont que des chiffons de papiers. (…)Il en est de même pour les paroles d’honneur : Giraud s’était engagé par écrit à ne rien tenter contre la politique du Maréchal ; Juin, prisonnier libéré, avait juré de ne plus servir contre l’Allemagne ; de Gaulle lui-même avait promis de ne jamais faire battre ses volontaires contre des Français. Quant à Darlan…

Il est vrai qu’il ne s’agit là que de hauts militaires… »

19 octobre 1945

« Interview à retardement.

Clartés, l’hebdomadaire de Georges Izard et Jean Texcier, révèle une curieuse interview d’Herriot, prise à l’hospice de Ville-Évrard par le docteur Richier, envoyé secret du général de Gaulle, et jamais publiée.

Herriot refuse l’évasion minutieusement préparée pour lui et déclare :

1° Qu’il a la plus profonde admiration pour le général de Gaulle et ne demande qu’à le servir et à l’aider dans son œuvre ;

2° Qu’il ne veut pas faire de politique active parce qu’il se sent trop vieux et que “la politique de parti a beaucoup nui à la France avant la guerre : le parti radical comme les autres, et peut-être plus que les autres, a commis de grosses fautes” ;

3° Que la Constitution de 1875 s’est révélée à l’usage imparfaite et comporte de grossières erreurs ;

4° Qu’il est partisan d’un régime se rapprochant de la démocratie américaine, avec extension des pouvoirs du président de la République ;

5° Qu’il garde un profond respect à la personne du maréchal Pétain.

Voilà qui est assez plaisant à lire à la veille des élections où “l’imposteur chaleureux” fait sa rentrée politique allié aux communistes contre de Gaulle ».

28 octobre 1945

« Si de Gaulle passa la main à Teitgen au sujet de la révision du procès Laval, ce fut pour ne pas opposer un refus personnel à une démarche américaine effectuée à la demande de la mère du comte de Chambrun, gendre de Laval, laquelle serait apparentée au président Roosevelt.

Laval était persuadé que la cour ne “passerait pas outre”. “Petit malin”, comme l’appelait sa femme dans l’intimité, a mal calculé son coup »

3 novembre 1945

« Bombes à retardement.

Des fragments des Mémoires de Laval qui vont être édités en Amérique, circulent à Paris. (…)

Laval prétend (…) qu’Herriot était très satisfait d’être ramené à Paris le 13 août 1944 et qu’il aurait déjeuné de bon appétit à la table d’Otto Abetz. C’était l’époque où Laval, encore plein d’illusions, voulait réunir l’Assemblée nationale et attendre de Gaulle à Paris pour lui transmettre les pouvoirs ».

6 novembre 1945

« Pierre Bourdan vient dîner à la maison après la première séance de la Constituante.

Au lieu de l’habituel discours lénifiant du président d’âge, le doyen Cuttoli, radic.-soc., octogénaire, rompant avec la tradition, a critiqué acerbement les actes du gouvernement provisoire, tout en faisant risette aux communistes ; puis, par une véritable provocation, il a annoncé que de Gaulle serait obligatoirement renommé. La gauche a tiqué ».

12 novembre 1945

« Dîner chez la charmante Jeannine Caldaguès, avec Yolande Laffon, Pierre Brisson, du Figaro, et Diolé, rédacteur en chef de Combat.

Diolé parle de la séance de la Constituante où de Gaulle a été réélu à l’unanimité. Le Général si froid, si peu communicatif, a été vivement ému quand il a appris que la Chambre proclamait qu’il avait bien mérité de la Patrie ».

16 novembre 1945

Coup de théâtre politique : à la suite d’un échange de lettres avec Maurice Thorez, le général de Gaulle remet son mandat à la Constituante. Profonde émotion – stupeur même – dans toutes les classes de la société.

Le “Grand Charles” paye une grave erreur de tactique. Par volonté de jouer impartialement le jeu et par crainte d’être accusé de viser à la dictature, il a laissé faire les élections sur le mythe du patriotisme des communistes qui se sont arrogé le monopole de la Résistance ; en amnistiant la désertion de Thorez, il a passé généreusement l’éponge sur les deux années de collaboration hitléro-stalinienne pendant lesquelles la section française du Parti communiste[1] sabota la Défense nationale, puis, après la défaite, recommanda la collaboration. Aujourd’hui qu’il les a bénévolement réhabilités dans l’opinion, les communistes font un crocs-en-jambe au Général et le renversent.

C’était à prévoir ».

17 novembre 1945

« La rumeur circule que, depuis la démission du Général, les dépôts en banque ont été vidés dans la proportion de 45 p. 100. »

(…)

« De Gaulle refusait de donner aux communistes un des trois grands ministères : Affaires étrangères, Guerre ou Intérieur.

Leur donner le premier, c’était mettre la politique extérieure de la France aux ordres de Moscou ; le second ou le troisième, mettre l’armée ou la police à la disposition d’un parti qui ne représente qu’un quart de l’opinion française et préconise, plus ou moins ouvertement, un changement total de régime.

“Ce qui est surtout excessif, proteste comiquement L’Huma, c’est de ne proposer au Premier Parti de France que quelques strapontins et justifier cette… parcimonie en émettant des doutes sur la qualité nationale de sa politique”.

(…)

“Ils auront ce qu’ils ont voulu, déclare L’Époque, gaulliste de droite. Ils auront eu le général de Gaulle. Un homme, déserteur lorsque son parti trahissait la France, déserteur dans son parti lorsque son parti combattait pour la France, aura chassé du pouvoir le premier des combattants français. Il aura suffi d’un combat épistolaire – le seul genre qu’il ait jamais goûté – d’une journée et de l’exploitation indigne de 75 000 vrais combattants” ».

17 novembre 1945 (soir)

« De Gaulle prend la parole à la radio : il expose qu’il ne pouvait pas accorder un des trois grands ministères au parti communiste sans que fût rompu l’équilibre entre la Russie et l’Amérique et que la France perdît son rôle d’arbitre entre “les Grands”.

Sensation ».

18 novembre 1945 

« Au Quartier latin, cortèges d’étudiants criant : “Thorez au poteau ! De Gaulle au pouvoir !”

19 novembre 1945

« Papier de tête de Pierre Hervé dans L’Huma : “De Gaulle ou Thorez ? La comparaison ne nous fait pas peur !”

De quoi se marrer, dirait Le Canard enchaîné, si… »

(…)

« L’Huma rompt bruyamment avec de Gaulle qui, “par dessus la tête des élus de la Nation” et “au mépris des règles élémentaires de la démocratie”, a eu l’audace d’adresser au pays “un discours de partisan”. »

15 janvier 1946

« À la Constituante. – Séance du 15 janvier, débats sur la politique extérieure.

(…)

Avec sa fourberie coutumière, Herriot lance un croc-en-jambe à de Gaulle, en demandant des explications sur certaines décorations décernées à des officiers qui, sur l’ordre de Vichy, combattirent les Alliés lors du débarquement en Algérie.

Le Général lui réplique avec hauteur qu’il ne s’est pas battu, lui, contre Vichy, à coups de messages, mais à coups de canon ; et qu’il n’a pas cru devoir arracher des cercueils des morts ou des poitrines des mutilés “les décorations obtenues dans des conditions affreuses, mais dont il n’était pas responsable” ».

22 janvier 1946

« Ouvrant la séance à la Chambre, le président Gouin a donné lecture de la lettre du général de Gaulle, exactement sur le ton qu’il emploie pour lire les procès-verbaux les plus anodins. Résultat : pas d’applaudissement ».

26 janvier 1946

« “DE GAULLE DÉMISSIONNE !” annonce la radio et les journaux de midi. “Décision motivée par la reprise de la lutte des partis…”

Grosse sensation.

Réception intime chez Martin-Chauffier (…). Au buffet, André Malraux, figure de cire, annonce qu’il n’est plus ministre. Ce changement d’état ne lui fait ni chaud ni froid ».

27 janvier 1946

Comment le lecteur moyen s’y reconnaîtrait-il ? À la fondation de Bref, Bourdan, Duchesne, Oberlé – les fameux trois amis – renforcés d’André Gillois, ex-Diamant-Berger, se sont présentés au public comme les anciens speakers de la radio gaulliste de Londres. Et voici qu’au lendemain du départ – qui paraît définitif – du Général, ils signent tout quatre une déclaration où il est dit : “Léon Blum défendait, il y a quelques mois, le droit des hommes à l’ingratitude. Pensée profonde que beaucoup n’ont pas compris…  Est-ce lui faire injure [à de Gaulle] que de lui prêter la crainte de voir sombrer peu à peu, au milieu des réalités quotidiennes, la popularité qu’un geste héroïque lui avait value ? De supposer que ce caractère altier et peu accommodant hésitait à subir  le sort commun de tant d’autres qui doivent, pour servir encore et toujours, jeter dans la balance leur réputation et leur prestige… Au-dessus des chefs désignés par les circonstances ou leur éclat, il y a le pays… Cette ère est révolue. Le départ du général de Gaulle consacre un état de fait… Il faut qu’au-dessus des hommes il y ait toujours la République”.

Parce qu’un Français était à Londres, nous le croyons forcément fanatique du Général. Erreur, erreur ! Maurice Schumann et Jean Marin étaient des fidèles de De Gaulle, mais André Labarthe, Jacques Duchesne et Pierre Bourdan ne pouvaient pas le sentir ».

4 février 1946

« Un pamphlet d’Henri de Kérillis.

On m’a prêté pour vingt-quatre heures le gros pamphlet de Kérillis De Gaulle dictateur, publié à Montréal à l’automne 1945, et introuvable à Paris.

Calloch de Kérillis quitta la France avant l’armistice, emportant les millions de son trésor de propagande et adhéra à Londres au mouvement de Gaulle. En janvier 1942, il fondait à New York le journal gaulliste Pour la Victoire, et le Général lui télégraphiait, enthousiaste : “J’ai toujours pensé que vous seriez le Maurice Barrès et le de Mun de cette guerre”. Kérillis, dont le fils parachutiste devait être tué après le débarquement, abandonna la France Libre en mars 1943, reprochant à de Gaulle de ne pas venir se battre en Tunisie aux côtés de Giraud et aux gaullistes de New York d’avoir tenté de débaucher l’équipage du cuirassé Richelieu. À partir de cette date, Kérillis estima que toutes les actions du Général “étaient tendues non vers la guerre, mais vers la politique et vers la conquête du pouvoir, et pour son propre compte”.

En juin 1940, Pétain et Weygand, déclare le libelliste, “étaient les représentants séniles d’une caste militaire surannée. Ni l’un ni l’autre ne comprit que l’armistice entraînait la collaboration”. De Gaulle, certes, a sauvé l’honneur, après avoir d’ailleurs pris ses précautions et assuré son avenir auprès du général Spears : “Le fait que sa silhouette, ses traits, sa personnalité étaient inconnus des Français et que sa voix seule descendait parmi eux, portée par les ondes de la radio, donna à ses discours on ne sait quel accent céleste et les entourait d’un mystère. L’histoire dira que la grande légende gaulliste a été pour une grande part une création de la radio, peut-être la première grande œuvre politique de la radio dans l’histoire du monde”.

(…)

“L’usurpation Pétain, conclut Kérillis, fut remplacée par l’usurpation de Gaulle. La Constitution violée par le Maréchal le fut ensuite par le Général. Les libertés intérieures retirées par le premier ne furent pas rendues par le second…” “L’État français, c’était de Gaulle à Alger, comme c’était Pétain à Vichy”.

Le copieux libelle de ce “hanneton de Kérillis” comme l’appelait Léon Daudet, est pénible à lire. On sent que cet hurluberlu délirant est furieux d’avoir misé sur le mauvais cheval, cette vieille ganache de Giraud, et s’il y a certains faits exacts dans sa diatribe contre le B.C.R.A. du colonel Passy, en partie composé – comme tous les services d’espionnage – de crapules, d’aventuriers et d’agents doubles, Kérillis a le tort grave de porter des accusations effroyables sans apporter un commencement de preuve ! Enfin le déroulement même des événements historiques démontre que ce sottissime n’a rien compris au caractère du général de Gaulle, lequel aurait eu toute licence, fin août 1944, dans l’enthousiasme de la Libération, de se sacrer dictateur et qui s’est bien gardé de s’emparer du pouvoir ».

5 février 1946

« Les grenouilles demandent un roi.

« Depuis le départ du général de Gaulle, il y a un vide : il manque aux Français un homme célèbre à aimer, un grand premier rôle à acclamer. Gouin est un sympathique Méridional, mais sans envergure, Herriot et sa pipe sont périmés. Thorez n’est applaudi que par les communistes, Schumann est l’homme des curetons. Et Léon Blum, qui entend rester dans la coulisse, n’a jamais recherché les hurrah… »

7 février 1946

« Radio Moscou attaque de Gaulle en rappelant qu’il a dédié – il y a quinze ans – un livre à Pétain, et qu’il a servi sous ses ordres. De Gaulle était, en effet, en 1914, lieutenant au 133e R.I., à Arras, dont Pétain était le colonel. Reproches passablement grotesques…

Les quarante-cinq toasts de la vodka de Moscou sont bien oubliés… »

14 février 1946

Il avait beaucoup été question du rajeunissement de l’Académie. Mauriac et, dit-on, le général de Gaulle lui-même avaient cité les noms de jeunes écrivains qui leur paraissaient propre à relever le prestige de la Vieille Dame du Bout du Quai.

L’Institut réplique en élisant le baron Seillière qui est octogénaire ».

28 février 1946

« Retour à de Gaulle.

Esprit original et écrivain militaire remarquable, de Gaulle a prévu la nouvelle forme que prendrait la guerre moderne. Sa conception nouvelle des chars et de l’aviation, rejetée par les fossiles Pétain, Weygand et Gamelin, fut appliquée par les Allemands. Il est l’inventeur de la guerre-éclair qui fut expérimentée, hélas ! contre nous.

En juin 1940, de Gaulle eut le courage, rare chez un officier supérieur, de rompre avec ses chefs hiérarchiques et d’entrer en dissidence. Même les admirateurs impénitents de Pétain estimant que le Maréchal fut indispensable pour amortir la pression allemande reconnaissent qu’en jouant sur le tableau allié de Gaulle fit preuve d’une vue prophétique et joua un rôle historique considérable.

Ses adversaires l’ont traité de bluffeur et de maître chanteur. Il est vrai qu’avec une poignée de fidèles il sut, grâce à la radio, se donner du volume et devenir une puissance. Il est vrai qu’il a joué des rivalités successives entre les trois grands, a fait marcher l’un par l’autre, Churchill, Roosevelt et Staline ; et s’est appliqué à liquider ses rivaux avec une maîtrise non exempte de machiavélisme. Mais, en dépit de notre méfiance des hauts militaires, nous ne saurions oublier que le “Grand Charles” fut notre phare lointain durant la longue nuit noire de l’Occupation.

Après la Libération, il n’a pas cherché à jouer au dictateur, trop lucide pour risquer la fin misérable d’un Hitler ou d’un Mussolini. Sans doute espérait-il que son immense prestige lui donnerait licence de remettre à flots le vaisseau de l’État français, passablement démantelé.

Depuis son départ sans explications, le déclin progressif de sa prodigieuse popularité auprès des masses populaires me paraît provenir :

1° Du fait que ce politique manque de qualités d’administrateur. “Il est stratosphérique”, me disait Zérapha, retour de Londres, en septembre 1944. Seuls les grands problèmes de politique générale le passionnent ; il s’intéresse peu aux matières premières, au problème des salaires, au pouvoir d’achat. Général qui ne goûte que du bout des lèvres la soupe des “hommes”, il n’a pas compris pendant un an que la question du ravitaillement était primordiale parce qu’elle commandait, non seulement la santé, mais la moralité des Français.

2° De ses errements politiques. Le tort du chef du gouvernement provisoire fut de ne pas oublier les rancunes du Général de Londres. En continuelle dispute avec Churchill pendant quatre ans – “Je porte ma croix de Lorraine”, disait le Premier anglais – il lui bat froid après la Libération. Roosevelt ayant jadis soutenu son rival Giraud, il refuse de se rendre à son appel à Alger, alors qu’après Yalta le Président regagne Washington, condamné à mort. Mais Staline l’ayant le premier reconnu, le Général se précipite à Moscou pour signer un pacte qui, s’il n’apporte aucun avantage à la France, inquiète vivement nos amis anglo-saxons, détenteurs de crédits, des matières premières et du ravitaillement ; puis dédouanant Thorez, il accepte d’escamoter la période pro-hitlérienne du parti communiste français (voir les textes d’Albert Bayet, Pierre Cot, etc.) et paraît conférer aux communistes le monopole de la Résistance intérieure.

Reviendra-t-il au pouvoir ? Nul ne le sait, pas même lui. Quoi qu’il arrive, il restera pour nous le symbole d’un espoir qui nous soutint pendant quatre ans. Mais “jamais plus de Gaulle ne sera de Gaulle, écrit Emmanuel Mounier, jamais plus ce nom jeté aux vents départis ne chantera comme il chantait alors. Un souvenir d’enfance a pris fin” ».

5 mars 1946

         Juvénals à la mie de pain.     

Soirée aux Deux Ânes. (…) Ces chansonniers interchangeables de Montmartre, aujourd’hui ultra-résistants et hyper-gaullistes, opposent le glorieux képi étoilé du Général et son gigantisme nordique au risible “bloum” de M. Gouin et au petit format de ce politicien méridional. Et chacun des “princes de la satire” brandit avec ostentation l’étendard ultra-réac qui enthousiasme leur public cossu et ventru : dans le Montmartre de Willette et de Forain, les traditions se perpétuent : antiparlementarisme avoué, antisémitisme discret, anticommunisme virulent. Ma parole ! Après une douzaine de chansons, j’étais prêt à m’inscrire au parti de M. Cachin, tellement ces messieurs me dégoûtaient, ne faisant appel de la part des spectateurs qu’à un seul sentiment : la frousse intense qui tenaille tous ces repus qu’on ne reprenne leur fric gagné au marché noir ».

8 mars 1946

« “L’Histoire seule dira, écrit L’Époque, si l’entrée de Maurice Thorez comme ministre d’État ne fut pas le Montoire du général de Gaulle” ».

2 avril 1946

         « Au milieu des étoiles.

Dîner chez le général d’aviation Corniglion-Molinier (pour ses intimes : Cornichon-Moutardier), casse-cou fameux de la R.A.F., dans son somptueux home de l’avenue Gabriel, orné et meublé avec un goût exquis. L’ex-éminence grise du général de Gaulle, Gaston Palewski, qui réside chez lui, ne paraîtra point : il est au lit avec la rougeole. À son âge ! »

(…)

« À Alger, le député radical Anxionnax disait à de Gaulle : “Vous pouvez prendre exemple sur deux grands présidents, vos prédécesseurs : Loubet et Fallières…” »

4 mai 1946

« Le général au-sabre-entre-les-dents.

Dîner rue Christine en nombreuse compagnie. Un tract circule, signé de Gaulle : le Général déclare que s’il a abandonné le pouvoir, c’est après avoir constaté l’ignorance, la mauvaise foi et l’impéritie des partis sur lesquels il croyait pouvoir compter pour relever la France, et il conclut ainsi :

“Moi, général de Gaulle, je convie tous les Français à entreprendre cette tâche nationale ; Vous, les anciens combattants des F.F.L. et vous les combattants des Forces de l’intérieur, sans compter vous, les Français de bonne foi qui avez été trompés, mais qui n’avez jamais pactisé avec l’ennemi, je vous invite à vous grouper. Ce ne sont pas les chefs qui vous manqueront cette fois.

Un jour, je vous le promets, et tous ensemble, nous rendrons à la France la Liberté et la Grandeur.

Vive la France.

Charles de Gaulle”.

Il s’agit évidemment d’un texte apocryphe, où l’on retrouve des phrases entières d’anciens discours du Général à Londres. Les uns croient que le document a été fabriqué par des hommes du P.R.L. pour pousser au vote du “non”, les autres qu’il s’agit d’une manœuvre communiste pour agiter opportunément le spectre de la dictature ».

15 mai 1946

« Sous le titre “L’activité nationale de Maurice Thorez en 1939”, L’Huma publie un factum de Duclos et Benoît Frachon, pour répondre aux campagnes déclenchées contre le secrétaire général du parti communiste, déclarant que s’il déserta en octobre 1939, ce fut sur leur ordre, et ils placent audacieusement Thorez en vis-à-vis du général de Gaulle, à une époque où le secrétaire général du P.C. couvrait d’injures dans L’Huma clandestine le général de Gaulle, “valet de l’impérialisme britannique” ! »

24 mai 1946

À Moulins, au cours d’une réunion publique, M. Le Troquer, ministre socialiste de l’Intérieur, a violemment attaqué son collègue Maurice Thorez, vice-président du Conseil :

“M. Maurice Thorez a, selon moi, déserté par la Suisse et l’Allemagne pour se rendre en Russie, alors que d’autres Français, tels que M. Léon Blum, restaient en France pour défendre le pays. Un chef ne doit pas s’en aller quand ses hommes sont en danger. Aucune comparaison n’est possible entre le geste de M. Thorez et celui du général de Gaulle” ».

(…)

À huit jours des élections.

Affiche du parti communiste pour répondre à l’attaque du socialiste Le Troquer : comment le général de Gaulle aurait-il pris dans son gouvernement “un déserteur” ? »

3 juin 1946

« Lu Histoire d’une mission secrète, par le professeur Louis Rougier (…). À de Gaulle, Rougier reproche particulièrement d’avoir cautionné, au lieu de la rectifier, l’interprétation erronée que le cabinet anglais donna des clauses de l’armistice et qui provoqua les drames de Mers el-Kébir et de Dakar.

La France n’avait point trahi puisque la flotte resta toujours hors de portée des Allemands et qu’elle se saborda lorsqu’il s’emparèrent de Toulon, en vertu d’une consigne donnée par l’amiral Darlan dès l’armistice, ordre valable nonobstant tous ordres ultérieurs éventuels. L’amiral Dudley n’écrivait-il pas dans le Times, le soir de Toulon, que les Français avaient tenu leur parole ? (…)

Voici la conclusion assez nuancée du professeur Rougier sur le rôle du général de Gaulle :

“Pour les patriotes de l’intérieur, il fut la parole d’espoir qui entretint l’esprit vibrant de la Résistance, et la croix de Lorraine devint la flamme du combat ; pour les émigrés, il fut le moyen de s’assurer une rentrée ostentatoire le col roide et la parole haute, comme s’ils avaient été à la pointe de l’extrême combat ; pour les communistes, il fut le brevet de patriotisme qui les blanchit de leur sabotage passé et consacra l’aptitude de leurs formations de guerre civile à mener la guérilla. Traditionaliste par éducation, il détruit la légitimité constitutionnelle ; conservateur par tempérament, il sert de fourrier à la révolution que méditent les communistes ; anti-anglais et anti-américain par amour-propre blessé, il court à Moscou pour servir de monnaie d’échange à Staline, au cours des tractations de Yalta…” »

15 juin 1946

« Par son discours de Bayeux, de Gaulle pose sa candidature à la présidence de la République.

Depuis sa retraite volontaire, la popularité du Général est considérablement remontée ».

(…)

« Des étudiants se promènent boulevard Saint-Michel avec des pancartes, en scandant : De Gaulle-au-pouvoir ! »

18 juin 1946

« Cérémonies au Mont Valérien et au Poilu inconnu pour commémorer l’anniversaire du 18 juin 1940. Au défilé des troupes, sur l’esplanade des Invalides, le président Gouin est accueilli, à l’accoutumée, par les cris répétés de “Vive de Gaulle !” Dans la soirée, manifestations gaullistes sur les boulevards qui rappellent l’atmosphère du 6 Février”.

27 juillet 1946

         « Campagne plébiscitaire ?

Après Sainte-Hermine, Bar-le-Duc. La popularité du général de Gaulle remonte sensiblement dans les campagnes.

[1] Sic, pour Section française de l’internationale communiste.

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