80e ANNIVERSAIRE DES BATAILLES DE MONTCORNET (AISNE) ET D’ABBEVILLE (SOMME)
« QUAND CHARLES DE GAULLE S’APPRÊTE À DEVENIR LE GÉNÉRAL DE GAULLE »

Par Marc Fosseux,
Président des Amis de la Fondation Charles de Gaulle

Un quart de siècle après la Première Guerre mondiale qu’il effectue en combattant dans les tranchées de 1914 à 1916 puis en captivité de 1916 à 1918, Charles de Gaulle, devenu colonel spécialiste reconnu de l’armée blindée et auteur de nombreux essais et articles remarqués, se trouve à nouveau sur la route séculaire des invasions, pour tenter d’arrêter la fulgurante percée des panzers allemands. S’il n’est plus le jeune capitaine de vingt-cinq mais à présent un colonel de 49 ans, marié, père de famille, riche d’une expérience plutôt marquée par des responsabilités de réflexion et de conception à haut niveau, il n’en est pas moins toujours aussi critique sur les conceptions du haut commandement qu’il juge surannées et dangereuses pour la patrie. Il a d’ailleurs l’incroyable audace de l’écrire le 26 janvier 1940, au milieu de l’ennui général de la drôle de guerre, dans un mémorandum envoyé à quatre-vingts personnalités du gouvernement, du commandement et de la politique. Il le fait dans le but de « convaincre que l’ennemi prendrait l’offensive avec une force mécanique, terrestre et aérienne, très puissante ; que de ce fait, le front pouvait être, à tout moment, franchi ; que, faute de disposer nous-mêmes d’éléments de riposte équivalents, nous risquions fort d’être anéantis ; qu’il fallait décider, tout de suite, la création de l’instrument voulu ; que, tout en poussant les fabrications nécessaires, il était urgent de réunir, en un corps de réserve mécanique, celles des unités existantes ou encours de formation qui, à la rigueur, pourraient y figurer (…). Ne nous y trompons pas !, poursuit-il, le conflit qui est commencé pourrait bien être le plus étendu, le plus complexe, le plus violent de tous ceux qui ravagèrent la terre. La crise, politique, économique, sociale, morale dont il est issu revêt une telle profondeur et présente un tel caractère d’ubiquité qu’elle aboutira fatalement à un bouleversement complet de la situation des peuples et de la structure des États. Or, l’obscure harmonie des choses procure à cette révolution un instrument militaire – l’armée des machines – exactement proportionné à ses colossales dimensions. Il est grand temps que la France en tire la conclusion». [1]

On imagine la réaction de ses supérieurs devant une démarche aussi inhabituelle venant d’un officier censé obéir et se taire. Mais qui croit encore qu’il est un officier comme les autres ? La vision, l’audace et l’indiscipline qui feront de lui l’auteur de l’appel du 18 juin ne sont-elles pas déjà connues de tous ? Avec le caractère qui est le sien, sa connaissance approfondie du milieu politique, sa maîtrise déjà avérée des recettes de la communication, de Gaulle est déjà en train de marcher vers un destin hors normes.

Pourtant, de son propre aveu, son mémorandum ne provoque pas de secousses. Mieux, on décide de former une troisième division légère mécanique pour renforcer les deux divisions dont la création a été décidée par le Conseil supérieur de la guerre le 2 décembre 1938, sur l’insistance du général Gaston Billotte [2]. Est-ce parce qu’il a fini par convaincre ? Parce qu’on pense que cela lui donnera satisfaction et qu’il cessera de faire la leçon au haut commandement au vu et au su de tous ? Peut-être un peu les deux. Ce n’est toutefois pas la réponse qu’il attendait, les moyens lui apparaissant très insuffisants et les conditions d’emploi toujours entachées d’une conception dépassée où les unités cuirassées restent dispersées dans un dispositif général au lieu d’être formée en « une masse autonome, organisée et commandée en conséquence » [3].

Faute d’avoir pris l’initiative dès le début de la guerre en septembre 1939, l’armée française, appuyée par le corps expéditionnaire britannique et comptant sur l’armée belge en cas de besoin [4], s’est condamnée à attendre le choc de l’armée allemande, à l’abri pense-t-elle des fortifications solides et ultra-modernes de la ligne Maginot. On espère encore qu’on n’aura pas à se battre à fond. C’est alors qu’arrive l’offensive tant redoutée le 10 mai 1940, puis la fatale percée de Sedan le 13. Rien ne se passe comme prévu, sauf pour de Gaulle qui pressent depuis longtemps la possibilité d’un désastre. Il est temps pour lui de mettre en pratique ses théories qui n’ont pourtant jusqu’à présent provoqué que scepticisme et sarcasmes parmi certains de ses collègues officiers d’état-major restés anonymes mais qui n’en ironisent pas moins sur « l’idiot du village » ou le « daltonien qui parle des couleurs » [5].

Pour Charles de Gaulle, comme en août 1914, c’est de nouveau l’heure du choc tant attendu, l’heure de vérité. Il n’est plus ce jeune officier anonyme, « emporté comme un fétu à travers les drames de la guerre » [6] comme il l’écrira au début de ses Mémoires de Guerre. C’est un officier jouissant d’une certaine notoriété dont les écrits militaires traduits en allemand ont été lus par Guderian et ses camarades officiers de la Wehrmacht. Il va se trouver face à ces brillants généraux du même âge que lui dans des combats de chars, cette fois-ci grandeur nature, les premiers grands combats de chars de l’histoire militaire à vrai dire avant les affrontements titanesques qui auront lieu quelques années plus tard sur le front russe, en particulier lors la fameuse bataille de Koursk.

Ce nouveau choc avec l’armée allemande, c’est sur les terres picardes qu’il aura lieu.

Montcornet (Aisne) : bien plus qu’une tentative de sauver l’honneur

La description vigoureuse et synthétique faite par le général de Gaulle lui-même des deux batailles de Montcornet et d’Abbeville dans ses Mémoires de guerre [7] est jugée par les spécialistes exacte et peu entachée d’erreurs [8], ce qui est remarquable puisqu’il la rédige après la guerre alors qu’il existe peu d’écrits sur le sujet. Il attachait du prix à ces deux opérations, ayant d’ailleurs chargé en 1941 le 2e bureau du commissariat à la guerre du Comité français de libération nationale (CFLN) d’établir l’historique de la 4e division cuirassée de réserve (DCR). Vers la fin de sa vie, il a souhaité que le comité des chars d’assaut et blindés effectue une étude approfondie, ce qui a été fait par la suite avec les remarquables travaux du colonel P. Huard [9] pour Montcornet et de MM. Henri de Wailly et J. Marot pour Abbeville [10]. Les développements qui suivent s’en inspirent largement, dans une forme nécessairement synthétique.

De passage à Paris fin mars où l’appelle le nouveau Président du Conseil Paul Reynaud, le colonel de Gaulle qui, de chef de corps du 507e régiment de chars de combat (RCC) de Montigny-lès-Metz, est devenu commandant des chars de la Ve armée à Wangenbourg en Alsace [11], est convoqué début avril par le généralissime Maurice Gamelin dans sa thébaïde de Vincennes. Celui-ci lui annonce qu’il est désigné pour prendre le commandement de la 4e DCR qui doit être constituée pour le 15 mai. Au mois de février, l’opération était prévue pour la deuxième quinzaine de juin et l’on pensait que la division serait opérationnelle en août. La décision est donc avancée. Elle se révélera bien tardive.

Rassemblant des unités disparates, le colonel de Gaulle essaie de lutter contre le temps lorsque l’offensive allemande est déclenchée. Surgissant de la forêt des Ardennes, sept divisions de Panzer atteignent la Meuse le 13 mai, la franchissent le 14 mai à Dinant [12], Givet, Monthermé et Sedan, et se trouvent réunies le 18 autour de Saint-Quentin, « prêtes à foncer soit vers Paris, soit vers Dunkerque, ayant franchi la ligne Maginot, rompu notre dispositif, anéanti l’une de nos armées » [13].

Le 11 mai, de Gaulle reçoit l’ordre de prendre le commandement de la 4e DCR qui n’existe pas dans les faits et dont les éléments seront peu à peu mis à sa disposition. Installé au Vésinet près de Paris, il est appelé le 15 mai au Grand quartier général du général Georges où le général Doumenc, major général (c’est-à-dire numéro trois de l’armée française après le généralissime Gamelin et le général Georges) [14], lui notifie sa mission. Les opérations de la 4e DCR dans la région de Laon entre le 15 et le 20 mai sont menées sur ordre spécial de l’état-major Nord-Est du général Georges. Cette opération confiée à de Gaulle vise à gagner le temps nécessaire à la mise en place de la VIe armée du général Touchon pour qu’elle puisse établir un front défensif sur l’Aisne et sur l’Ailette et barrer la route de Paris aux divisions Panzer qui affluent. On ne sait pas encore que l’objectif premier de ces divisions n’est pas Paris, mais la Manche, dans le but de couper du gros de l’armée française la 1ère armée et le corps expéditionnaire britannique qui viennent de se porter au secours de l’armée belge. Mais tout s’effectue dans la précipitation [15].

Le colonel de Gaulle file jusqu’à Laon, établit son quartier général à Bruyères, au sud-est de la ville, et parcourt les environs. Il trouve « quelques éléments épars appartenant à la 3e division de cavalerie, une poignée d’hommes qui tient la citadelle de Laon, et le 4e groupe autonome d’artillerie, chargé d’un éventuel emploi d’armes chimiques, oublié là par hasard » [16], et dispose ce groupe d’hommes faiblement armés le long du canal de Sissonne où des patrouilles ennemies se présentent déjà dans la soirée. Au cours de reconnaissance effectuées dans la journée du 16, de Gaulle comprend que les divisions allemandes ne se dirigent pas vers le Sud et Paris, mais vers l’Ouest pour gagner Saint-Quentin en se couvrant à gauche par des flancs-gardes portées au sud de la Serre, qui coule d’est en ouest vers Marle. Il croise des convois de réfugiés et de militaires désarmés fuyant les armées allemandes et se dirigeant vers le Sud. « Au spectacle de ce peuple éperdu et de cette déroute militaire, au récit de cette insolence méprisante de l’adversaire, je me sens soulevé d’une fureur sans bornes. Ah ! c’est trop bête ! La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. Il y a, pour cela, de l’espace dans le monde. Si je vis, je me battrai, où il faudra, tant qu’il faudra, jusqu’à ce que l’ennemi soit défait et lavée la tache nationale. Ce que j’ai pu faire, par la suite, c’est ce jour-là que je l’ai résolu » [17].

Dans la confusion de la débâcle de l’armée française, de Gaulle comprend que le destin va bientôt l’appeler. Cette « révélation » se produit un peu plus d’un mois avant l’appel de Londres, en roulant sur les routes du Nord de la France encombrées de voitures, de charrettes, de bicyclettes, de piétons, de chevaux et de bovins, la foule des femmes, des enfants et des vieillards écoutant avec angoisse le ciel pour y déceler les prochaines attaques des terribles Stukas.

Les unités devant constituer la 4e DCR arrivent l’une après l’autre, le 20 mai pour les dernières, après la bataille de Montcornet mais à temps pour participer à celle d’Abbeville. Le 13 mai, sont en état de combattre trois bataillons de chars R35 et B1 bis ainsi qu’une compagnie autonome de chars D2 et le 4e bataillon de chars portés. De Gaulle, qui dépend directement du général Georges et de lui seul avec qui il communique par l’intermédiaire du commandant Chomel, ne peut s’entendre avec son chef d’état-major, le commandant Rime-Bruneau, ce qui le conduit à assurer seul la responsabilité du commandement de la division avec un embryon d’état-major. Le commandant Chomel (bientôt promu colonel) assumera cette responsabilité à Abbeville, et sera remplacé comme officier de liaison par le capitaine Nérot.

Raymond Chomel, une fidélité née à la 4e DCR

Le colonel Raymond Chomel, né à Fourmies en 1897, suit le général de Gaulle au sous-secrétariat d’État à la Défense nationale le 6 juin 1940. Il s’apprête à le suivre à Londres le 17 juin 1940 mais y renonce car il est père de six enfants, ce que Geoffroy de Courcel indiquera dans un entretien à Espoir (n° 92, juin 1993). Selon Jean Lacouture (De Gaulle, I, p. 350), c’est de Gaulle qui dissuade Chomel de le suivre parce qu’il a charge d’une famille nombreuse. Resté dans l’armée d’armistice, il entre, après l’occupation de la zone libre, dans l’organisation de la résistance armée (ORA) créée par le général Frère. À la Libération, il est chef des Forces françaises de l’intérieur (FFI) dans plusieurs départements, puis commande la brigade Charles Martel, participe à la reddition de la garnison allemande de Saint-Nazaire le 11 mai 1945, et rejoint le cabinet du général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République française, dont il devient chef de cabinet militaire jusqu’au départ de celui-ci le 20 janvier 1946.

Il forme deux demi-brigades de chars (6e et 8e, lieutenant-colonel Sudre, lieutenant-colonel Simonin). Les chasseurs portés sont dans leurs véhicules tout terrain. Les autres unités de chars (19e bataillon de chars de combat puis le 47e bataillon doté de chars B1 bis et le 44e bataillon avec des chars Renault R35) ne joindront la division que plus tard, ainsi que le régiment de cavalerie légère (10e C) et les régiments d’artillerie (322e RATT et 303e RACT). D’autres régiments, comme le 7e régiment de dragons portés et le 303e régiment d’artillerie ainsi que l’artillerie anti-aérienne et le génie, ne pourront se joindre à la division qu’après les opérations, ce qui ne sera pas sans conséquence sur leur issue. De Gaulle ne connaît que certains de ses officiers. La plupart des chefs de corps se présentent sur le terrain. L’artillerie, le génie, l’aviation d’observation manquent. On connaît mal l’emploi des chars lourds B, les unités n’ont jamais été engagées ni jamais manœuvré ensemble. Les liaisons radiotélégraphiques ne fonctionnent pas, ce qui oblige le colonel de Gaulle à envoyer ses ordres par motocyclistes ou en se rendant lui-même auprès de ses subordonnés [18].

Le témoignage du capitaine Nérot

Chef du 3e bureau du groupement cuirassé, le capitaine Nérot rejoint la 4e DCR au sud de Laon, dans les bois de Festieux, pour transmettre, le 19 mai, au colonel de Gaulle de nouvelles directives et demeurer auprès de lui en qualité d’officier de liaison après le commandant Chomel. Selon son témoignage [19], la valeur des unités est inégale. La 4e DCR est née en plein combat, à la différence des 1ère et 2e CDR qui ont pu travailler tout l’hiver, et de la 3e DCR qui s’est rassemblée vers le 30 mars dans la région de Reims. Si elle compte des formations magnifiques et parfaitement entraînées, de nombreuses autres sont très récentes. Les personnels initialement prévus pour constituer des équipages de chars légers ont été formés au maniement des chars B I bis et ne connaissent que très sommairement la technique du char lourd. Dans un régiment de cuirassiers (SOMUA), les jeunes officiers n’ont pas encore commandé de pelotons blindés, les chefs de chars viennent d’un régiment à cheval, les conducteurs, recrues de 1939, n’ont que trois heures de conduite et encore seulement sur route. L’armement des chars légers date presqu’entièrement de la dernière guerre, les chars B 1 bis [20], dont la puissance a été augmentée, ne disposent plus que de quelques heures de marche dans les réservoirs demeurés sans changement. C’est ainsi que la 1ère DCR a été consommée en quelques jours en Belgique, ayant dû abandonner plus de chars en panne d’essence que détruits par l’ennemi. Dans l’infanterie, les hommes ne connaissaient généralement pas le combat avec chars.

Sans attendre, de Gaulle décide d’attaquer le 17 au matin avec les forces parvenues jusqu’à lui. Son objectif est Montcornet, nœud des routes vers Saint-Quentin, Laon et Reims. Son intention est de couper la première, pour arrêter la marche de l’ennemi vers l’ouest, et de lui barrer les deux autres pour protéger le front tenu au sud par la VIe armée. Suivant l’idée du chef d’escadron d’Ornano pour qui plus on attendra pour s’engager, plus l’ennemi aura rameuté de moyens, de Gaulle décide de déclencher son offensive le plus rapidement possible, sans attendre d’avoir rassemblé toutes ses unités. Il lance trois bataillons de chars qui réussissent à atteindre Montcornet et à s’y battre aux abords et l’intérieur, sans pourvoir cependant franchir la Serre. L’idée était bonne, c’était le bon moment et le bon endroit, et les dispositions prises, soigneusement étudiées après coup, sont jugées les meilleures qu’il était possible de prendre.

Sous le feu de l’artillerie allemande qui tire depuis la rive nord de la Serre sans qu’aucune réponse d’artillerie française ne puisse répliquer, alors que de nouveaux détachements mécaniques allemands arrivent de plus en plus nombreux pour réduire les Français, de Gaulle est contraint de replier ses hommes sur Chivres non sans laisser sur le terrain plusieurs centaines de morts allemands et nombre de camions ennemis brûlés et fait 130 prisonniers, tandis que les pertes françaises sont de 200 hommes [21].

La faiblesse des moyens est patente : manque de soutien aérien, manque de renseignement, de transmission radio, d’armes antiaériennes qui auraient permis de défendre ses chars contre les attaques des Stukas allemands, de citernes d’essence. Pourtant, de Gaulle et la 4e DCR réussissent la reconnaissance offensive de va-et-vient sur Montcornet [22]. Surtout, cette première journée soude les unités au combat et renforce leur confiance dans leur chef. Montcornet, comme de Gaulle l’a écrit, est l’acte de naissance de la 4e DCR.

La division a une âme qui fait toute sa force. Tous les cadres connaissent l’homme de la « force mécanique de métier », sûr de sa victoire. C’est avec orgueil que l’on se place sous les ordres du colonel de Gaulle [23].

A Montcornet, ce dernier n’a pas arrêté la progression foudroyante de l’armée allemande, il n’en avait pas les moyens. Il a néanmoins réussi à la retarder quelque peu, ce qui était la mission que lui avait assignée le général Georges. Il a apporté une démonstration des capacités et de l’esprit de résistance des soldats français dans une campagne de France où de tels exemples sont trop rares. C’est à Abbeville qu’il pourra, avec des moyens conséquents quoiqu’insuffisants, illustrer la pertinence de ses théories, mais on n’arrête pas si facilement une armée allemande lancée à pleine vitesse depuis 150 kilomètres.

Après l’épisode de Montcornet, la 4e DCR, un peu complétée, attaque de nouveau, cette fois-ci au nord de Laon, pour empêcher la progression d’importantes forces ennemies venant de Marle et se dirigeant vers La Fère en longeant le cours de la Serre. La 4e DCR attaque le 19 mai à l’aube, avec comme objectifs successifs Crécy-sur-Serre, Mortiers et Pouilly, y atteindre les ponts et couper la route à l’ennemi. Arrivés à la Serre, les chars ne peuvent poursuivre, faute de moyens d’infanterie et d’une artillerie suffisante, alors qu’une puissante artillerie allemande détruit les chars qui s’approchent de trop près. Ce sont les Allemands qui parviennent à franchir la Serre, et des attaques ont lieu contre le flanc droit de la division sur la rivière du Baranton et contre les arrières à Chambry, à quelques kilomètres au nord de Laon. Le déploiement de la VIe armée étant accompli, le général Georges donne l’ordre au colonel de Gaulle de ne pas poursuivre et de replier la 4e division qui doit être employée à d’autres tâches. Le mouvement est exécuté en bon ordre, non sans que ce dernier diffère quelque peu l’exécution de l’ordre de repli pour retarder encore l’avancée ennemie.

Abbeville : en route vers le destin

La 4e DCR va jouer un rôle important dans la bataille d’Abbeville qui se déroule dans le cadre des combats de la Somme destinés à tenir la ligne « Weygand », du nom du nouveau généralissime français qui remplace en urgence le général Gamelin limogé par Paul Reynaud. Weygand ne fait d’ailleurs que reprendre une idée du général Georges, validée par Gamelin, consistant à reconstituer une nouvelle VIIe armée [24] à partir d’unités récupérées de l’armée du Nord et de troupes venues du sud-est afin de colmater la brèche et rétablir un front entre la VIe armée appuyée sur l’Aisne et la IXe armée à l’ouest et barrer la route de Paris [25]. C’est le général Aubert Frère qui est chargé de former cette nouvelle VIIe armée. Le barrage établi par ce dernier sur l’Aisne et l’Ailette doit se prolonger sur la Somme. Tout doit être fait pour empêcher les Allemands d’atteindre Abbeville, ce que ceux-ci cherchent à faire pour couper en deux l’armée française. Il faut tenter, coûte que coûte, de rétablir le contact entre les forces du Nord encerclées et la gauche du groupe d’armées du Centre.

Si le plan est logique, « l’écroulement de tout le système de doctrines et d’organisation auquel nos chefs se sont attachés les prive de leur ressort et une sorte d’inhibition morale les fait, soudain, douter de tout, et en particulier d’eux-mêmes » [26].

Le général Frère tenant la ligne Amiens-Péronne, il est constitué un groupement mobile et puissant entre Amiens et la côte sous les ordres du général Robert Altmayer. Sa mission, d’abord défensive, consiste ensuite à refouler l’ennemi qui a déjà réussi à fixer de solides têtes de pont au sud de la Somme, notamment au sud d’Abbeville, et, de là, à tenter de pousser vers le nord en direction du groupe d’armées du Nord. C’est au groupement Altmayer qu’est affectée la 4e DCR. Le général Charles Delestraint, grand spécialiste et ancien inspecteur des chars, est désigné pour coordonner l’action des divisions cuirassées. Malheureusement, des hésitations au niveau du commandement, une forme d’improvisation brouillonne et l’attaque d’Amiens qui s’avère désastreuse, malgré l’héroïsme des troupes coloniales, retardent l’engagement des unités. La 4e DCR se voit d’ailleurs prélever un bataillon de chars qu’il a fallu détacher devant Amiens. De Gaulle, promu général le 25 mai à la suite de la bataille de Montcornet, dispose malgré tout de 140 chars en état de marche et de six bataillons d’infanterie [27]. La division se met en route le 22 mai par Fismes, Soissons, Villers-Cotterêts, Compiègne, Montdidier, Beauvais, parcourant 180 kilomètres en cinq jours. Le 26 mai, elle est installée dans le secteur de Poix-Conty-Grandvilliers. Même si le général de Gaulle déplore la dispersion de ses machines et l’épuisement des machines [28], il note qu’« une ambiance d’ardeur flotte sur la division » [29]. Dans la nuit du 26 au 27 mai, il reçoit du général Altmayer l’ordre de prendre sans délai la direction d’Abbeville et d’attaquer l’adversaire.

De Gaulle décide d’attaquer dès le 28 mai au soir comme le commandement le lui demande, tout en souhaitant l’engagement d’un groupement blindé plus puissant et en sachant, comme le général Delestraint qui a émis des réserves, que la décision est trop précipitée. Mais il sait aussi que les Allemands attendent les Français de pied ferme. « Depuis une semaine, ils tiennent, face au sud, Huppy à l’ouest, Bray-lès-Mareuil, sur la Somme, à l’est, et, entre ces deux villages, les bois de Limeux et de Bailleul. En arrière, ils ont organisé : Bienfray, Villers, Huchenneville, Mareuil. Enfin, le Mont Caubert, qui, de la même rive de la Somme, commande Abbeville et ses ponts, sert de réduit à leur défense » [30]. Le général de Gaulle a vu le terrain, pris ses contacts, réuni ses renseignements, établi son poste de commandement au château d’Avesnes puis à celui de Mérélessart. Le général Nérot se souvient : « J’ai encore dans les oreilles la phrase brève que j’entendrai souvent au cours des opérations : « Nérot, mettez-vous là, écrivez : Le colonel commandant décide, deux points… « . Là, c’était un rebord de fossé, une aile de voiture, une levée de terre. L’ordre était toujours bref, net, conçu pour parvenir à temps aux exécutants » [31].

Appuyée par une puissante artillerie, l’attaque s’engage à 18 heures, pour jouer de l’effet de surprise. De Gaulle a divisé ses forces en trois : chars lourds à gauche sur Huppy accompagnés par les chasseurs, chars légers au centre à Limeux avec les coloniaux, chars de cavalerie à droite. Le dispositif est cohérent, mais les liaisons radio déplorables [32]. A la nuit tombée, le premier objectif, Huppy, est pris. La 4e DCR repart à l’assaut à l’aurore du 28 et, le soir, le deuxième objectif [33] est pris également. La moitié de la tête de pont est conquise et la ligne atteinte par les chars français est continue. Seuls les Monts-de-Caubert tiennent toujours. De Gaulle écrit : « Il y a, sur le terrain, un grand nombre de morts des deux camps. Nos chars sont très éprouvés. Une centaine, à peine, est encore en état de marche. Mais, pourtant, un air de victoire plane sur le champ des combats. Chacun tient la tête haute. Les blessés ont le sourire. Les canons tirent allègrement. Devant nous, dans une bataille rangée, les Allemands ont reculé »[34].

Il installe son PC au château de Huppy. Le parc est violemment bombardé par l’ennemi, ce qui cause des pertes dans les unités des services mais ne trouble pas le sang-froid de de Gaulle, impassible comme le relatera l’abbé Bourgeon [35]. Les blessés sont conduits dans le grand salon pour être opérés avec les moyens du bord, l’ambulance et son matériel, envoyés auprès d’une unité en première ligne, n’ayant pu rejoindre le PC en fin de journée [36].

L’attaque doit être reprise le 29 mai à 6 heures (ordre n° 13). L’attaque principale, toujours dirigée vers les Monts-de-Caubert, est menée en plusieurs vagues, après une courte préparation d’artillerie. À l’observatoire du Calvaire, au carrefour des Croisettes, le général de Gaulle confirme l’ordre d’attaque et peut espérer une victoire complète. Il convoque les colonels des 10e et 3e régiments de cuirassiers qui tiennent Bienfait, Mesnil-Trois-Fœtus, Moyenneville. Le général Nérot raconte : « Les colonels arrivent. Le général (de Gaulle), dès qu’il les aperçoit, les stoppe à 10 mètres en les appelant successivement par leurs noms. Ils se mettent au garde à vous et attendent. « Colonel de Ham (10e Cuirassiers) ! Vous êtes à Bienfait, vous tiendrez le village jusqu’à demain matin ! Colonel François (3e Cuirassiers) ! Vous êtes à Mesnil-Trois-Fœtus, vous tiendrez le village jusqu’à demain matin ! » Aucune autre parole, aucun serrement de mains, simplement la gravité de la mission brièvement exprimée » [37].

L’adversaire semble très affaibli. Les Abbevillois rescapés des bombardements voient des centaines de soldats allemands refluer. H. de Wailly parle même d’un effondrement allemand [38]. Le général commandant le 38e corps d’armée de la Wehrmacht, Erich von Manstein, doit se porter lui-même vers l’avant pour enrayer un début de panique [39]. L’ordre n° 14 de de Gaulle vise à exploiter le succès tactique et moral en reprenant l’attaque dans l’après-midi, avec comme objectif final la Somme, entre le carrefour de Rouvroy et le bois d’Érondelle. Malheureusement, l’exploitation est impossible faute de forces suffisantes et fraîches. Malgré les demandes du général Altmayer, l’aviation n’intervient qu’épisodiquement. Si des bombardiers de la Royal air force (RAF) et des chasseurs français effectuent plusieurs raids, leur impact est insuffisant pour assurer la victoire [40]. Les pentes des Monts-de-Caubert sont atteintes, mais la crête reste à l’ennemi, et celui-ci parvient même à déclencher une contre-attaque à la nuit tombée.

L’attaque française reprend à l’aube du 30 mai sur l’axe Moyenneville/Cambron, c’est-à-dire sur la gauche pour déborder les Monts-de-Caubert. Le général de Gaulle vient de bonne heure au carrefour des Croisettes. On lui annonce que le commandant du 3e régiment de cuirassiers vient d’être tué. « Qui le remplace ? » demande-t-il sans autre commentaire. On lui répond. « Bien ! » dit-il. Si le laconisme du propos peut passer pour une forme d’insensibilité, il révèle aussi un tempérament de chef préoccupé uniquement par sa mission vers laquelle doivent tendre tous les efforts.

Les moyens de la 4e DCR fondent. Deux bataillons de chars ont perdu la totalité de leurs appareils. Les chars français avancent mais bientôt les armes anti-char ennemies, bien camouflées sur les flancs des Monts-de-Caubert, engagent des tirs sévères, appuyés de tirs d’artillerie, qui arrêtent la progression française. De dures contre-attaques obligent les unités de la division à revenir vers 20 heures à leur base de départ à Bienfait et à Moyenneville. La nuit est très mouvementée, l’on se bat partout [41].

Arrivée à la limite de son effort, la 4e DCR est relevée le 31 mai par la 51e division écossaise du général Fortune récemment arrivée en France et renforcée d’éléments, surtout d’artillerie. Une réunion, présidée par le général Altmayer, se tient à 11 heures au PC du général Fortune à Saint-Maxent. L’ordre dicté par le général français commandant la Xe armée (« tenir sans esprit de recul (…) suspendre l’offensive sur Abbeville mais en faisant le plus de mal possible à l’ennemi ») prévoit que la 51e division écossaise relèvera la 4e DCR sur la ligne Cahon-camp de César (sud-est de Bray-lès-Mareuil) le 31 mai à midi et sur la ligne Cahon-Saint-Valéry-sur-Somme le 1er juin à 8 heures. Hormis quelques éléments laissés temporairement à la disposition des Britanniques, la 4e DCR doit se regrouper à Marseille-en-Beauvaisis, tandis que le général de Gaulle et le général Berniquet [42] restent à la disposition du général Fortune jusqu’au 31 mai à 18 heures pour tous les passages de commandement [43].

Si, comme de Gaulle le reconnaît, il n’a pas pu liquider entièrement la tête de pont d’Abbeville, celle-ci est néanmoins réduite des trois quarts et l’ennemi ne peut en déboucher en force. Certes, les pertes sont lourdes. Mais celles de l’ennemi le sont plus encore, et la 4e DCR ramène 400 prisonniers ainsi qu’une grande quantité d’armes et de matériels [44].

« Ceux qui participèrent à ces glorieux combats n’oublieront jamais ce que peut, dans une situation désespérée, une volonté de fer au service d’un regard de maître », écrit l’abbé Bourgeon dans son journal [45]. Pour le commandant Chomel, officier de liaison auprès de la 4e DCR, de Gaulle apparut au mont Fendu comme un « Dieu de la guerre » [46]. Le capitaine Nérot témoigne de son côté : « J’ai eu sous les yeux, au combat, un chef au combat, un chef exceptionnel, celui qui ne s’embarrasse pas de phrases, de considérations sentimentales, voire seulement amicales, seulement et uniquement préoccupé du salut de la France dans l’exécution de sa mission (…). Cependant, pour être un tel chef, il faut avoir beaucoup travaillé, beaucoup réfléchi, connaître admirablement son outil de guerre, avoir aussi l’esprit suffisamment souple et pragmatique pour, le cas échéant, s’adapter immédiatement, faire du neuf et de l’inédit, face à des circonstances imprévues» [47].

Convoqué par le généralissime Weygand le 1er juin au château de Montry [48] où il reçoit ses étoiles de général de brigade, de Gaulle est félicité pour l’opération d’Abbeville et se voit attribuer une très élogieuse citation [49]. « Hélas ! écrira de Gaulle, au cours de la bataille de France, quel autre terrain fut ou sera conquis que cette bande profonde de 14 kilomètres ? Mis à part les équipages d’avions abattus dans nos lignes, combien d’autres Allemands auront été faits prisonniers ? Au lieu et place d’une pauvre division, faible, incomplète, improvisée, isolée, quels résultats n’eût pas obtenus, pendant ces derniers jours de mai, un corps d’élite cuirassé dont nombre d’éléments existaient, d’ailleurs, bel et bien, quoique contrefaits et dispersés ? » [50].

De Montry, où il passe la nuit, le général de Gaulle écrit à sa femme Yvonne une lettre touchante : « Ma chère petite femme chérie, la deuxième grande bagarre que j’ai menée s’est terminée par un grand succès devant Abbeville. Tu as dû en voir l’écho au communiqué (400 prisonniers, beaucoup de matériel pris). Je viens d’être cité à l’ordre de l’armée pour cette affaire… Écris-moi bien. Même si je te réponds irrégulièrement. Depuis le 15 mai, je n’ai pas dormi trois nuits. Je t’embrasse de tout mon cœur qui t’aime, ma chère petite femme. Rien ne compte que ceci : il faut sauver la France » [51].

Le succès de la 4e DCR à Abbeville [52] redonne temporairement quelque espoir dans un pays en proie à l’abattement et à la panique. Il faut dire que, partout ailleurs, le contexte est désespérant. Le 30 mai, la bataille de France est virtuellement perdue. L’avant-veille, le roi et l’armée belges ont capitulé. A Dunkerque, le corps expéditionnaire britannique commence son embarquement ; ce qu’il reste de troupes françaises dans le Nord essaie d’en faire autant [53].

Le 5 juin, l’ennemi reprend l’offensive. De Gaulle se rend dans la journée auprès du général Frère, installé à Breteuil, pour demander ses ordres. Tandis qu’autour de lui, rapporte de Gaulle, « on dépouille des rapports alarmants et que, sous les dehors du sang-froid professionnel, percent les doutes et les réticences, ce bon soldat me dit : « Nous sommes malades. Le bruit court que vous allez être ministre. C’est bien tard pour la guérison. Ah ! du moins que l’honneur soit sauvé ! » » [54].

En effet, le Président du Conseil Paul Reynaud remanie son gouvernement dans la nuit du 5 au 6 juin et y fait entrer Charles de Gaulle comme sous-secrétaire d’État à la Défense nationale. De Gaulle apprend la nouvelle par le général Delestraint qui lui-même l’a entendue à la radio. Il en reçoit confirmation par un télégramme peu après. Avant de prendre la route de Paris dans sa Renault Vivastella, emmenant avec lui le commandant Chomel, il fait ses adieux à son état-major. La cérémonie dure deux minutes. Il dit : « Je tiens à vous remercier, je suis fier de vous, vous saurez faire votre devoir. Vous pouvez disposer ». Puis il serre la main de chacun. Il adresse à la 4e DCR un dernier ordre du jour où, comme à Savigny-sur-Ardres, on sent la détermination à continuer le combat quoi qu’il arrive [55] : « A vous tous, officiers, sous-officiers et soldats, je tiens à dire quelle a été ma fierté de vous avoir sous mes ordres dans les combats, victorieux, menés par la 4e DCR depuis le 15 mai. J’ai la certitude que vous allez poursuivre ces succès et ce sera les éléments du triomphe final de la France ».

L’appel de Savigny-sur-Ardres : un premier jalon avant l’appel de Londres

Après la bataille de Montcornet, le colonel de Gaulle lance le 21 mai un appel à la 4e DCR depuis un véhicule radio stationné dans la cour de la principale ferme de cette petite commune de la Marne, entre Reims et Fismes. Certaines des expressions qu’il utilise annonce de manière frappante les termes qu’il emploiera dans l’appel du 18 juin. Une plaque commémorative y a été dévoilée en 1990 au cours d’une cérémonie présidée par le général de Boissieu, gendre du général de Gaulle.

Le général de Gaulle a tiré du succès d’Abbeville non seulement une légitime fierté et un prestige qui justifiera au plan politique son entrée au gouvernement, mais aussi des leçons profondes sur la France, comme il le déclarera de retour à Huppy, neuf ans plus tard, au cours d’une cérémonie commémorative avec les anciens de la 4e DCR le 29 mai 1949. Il y souligne la signification profonde pour lui de cette bataille victorieuse d’Abbeville : « Nous avons vu l’ennemi nous voler nos idées, et triompher de nous en utilisant ce que nous aurions voulu faire. Ambiance de désespoir, au milieu des réfugiés s’enfuyant de toutes parts, dans une armée découragée avec un commandement qui était déjà bien près de renoncer. Mais c’est de ces événements-là, je vous le dis ici à Huppy, c’est de ces événements-là qu’est partie une autre histoire qui fut la lente, longue et dure histoire de notre redressement militaire, jusqu’à aboutir à participer aux victoires alliées de 1944/1945. Oui, c’est ici qu’en vint l’idée à celui qui vous parle, quand il s’aperçut d’abord que les Français, pourvu qu’ils fussent commandés et cohérents, ne le cédaient en rien à l’ennemi le mieux armé. C’est ici aussi, je le dis, que celui qui vous parle mesure quelle était la constance, la résolution de nos alliés, qui par la suite allaient nous relever dans le grand effort de guerre, et avec lesquels nous reviendrions victorieux ici. Les Britanniques – c’est ici que j’ai mesuré ce que valait la division légère du général Evens et la 51e division du général Fortune – cela aussi a compté dans les résolutions qui furent prises quelques jours après. Et puis enfin, par-dessus tout, c’est ici que le serment fut fait dans un cœur, que si je revenais jamais à Huppy, ce ne serait pas après un désastre, mais après une victoire avec vous tous (…) ».

Le général de Gaulle, qui est en 1949 président du Rassemblement du peuple français (RPF) et qui fait étape à Huppy au cours d’un voyage où il tient également des réunions politiques, tire ensuite une leçon politique de cette page de l’histoire de la campagne de 1940 : « Nous sommes un pays qui passe sa vie à traverser des drames et à en tirer de temps en temps des leçons sans que toujours malheureusement ces leçons suffisent à éviter le drame suivant. Ce que nous avons à tirer de leçons, nous tous Français, de ces batailles de 1940, c’est d’abord, – il faut avoir le courage et la lucidité de le reconnaître – que nous n’étions pas prêts, que nous avions négligé à cause de l’indifférence et l’impuissance des pouvoirs publics, d’une part, et de la routine des techniciens d’autre part, que nous avions négligé de faire l’effort qu’il nous fallait faire (…). Première leçon à tirer par ceux qui survivent, il faut savoir être prêts (…). Il faut avoir (…) toujours, quand on est la France, une défense nationale, voilà une première leçon. L’autre leçon, c’est qu’avec les morceaux épars, on peut faire quelque chose de puissant, pour peu qu’on les rassemble, – ce fut là toute l’histoire de notre 4e division cuirassée – nous prîmes des morceaux et nous en fîmes une grande unité. Eh bien la France, c’est la même chose, tous ces éléments divers dont elle se compose, toutes ces familles spirituelles variées, toutes ces forces différentes, industrielles, agricoles, commerciales, intellectuelles, ouvrières, paysannes, tous ces morceaux de la France, il suffirait qu’ils fussent rassemblés pour que la France entière soit de nouveau une grande chose, puissante inébranlable, à laquelle personne ne puisse chercher noise, et bien sûr de ses destinées (…). Rassemblons-nous, nous autres Français, rassemblons-nous sur nous-mêmes, méprisons nos querelles, nos divisions soi-disant traditionnelles, nous avons maintenant bien autre chose à faire, nous avons à faire notre pays, nous avons à faire d’abord un régime qui soit capable de le conduire. Nous le ferons ! » [56].

À Montcornet, à Abbeville, de Gaulle est en route vers sa légende. Celle qu’il construit à partir du 18 juin 1940.

[1] Mémoires de guerre, L’appel 1940-1942, Presses pocket, 1980, p. 34.

[2] Père du futur général Pierre Billotte, Français libre, député et ministre gaulliste.

[3] Mémoires de guerre, op. cit., p. 35.

[4] La Belgique a déclaré à l’avance sa neutralité face au conflit qui vient d’éclater entre la France et le Royaume-Uni d’un côté, l’Allemagne de l’autre, mais chacun pressent qu’Hitler n’hésitera pas à violer la neutralité belge comme les Allemands l’ont déjà fait en août 1914.

[5] Voir Pierre Messmer, Alain Larcan, Les écrits militaires de Charles de Gaulle, presses universitaires de France, 1985, p. 74.

[6] Mémoires de guerre, l’Appel 1940-1942, Plon Presses pocket, p. 9.

[7] Mémoires de guerre, op. cit., p.

[8] Ce que confirment les témoignages de ceux qui étaient présents sur place au sein de la division, en particulier l’abbé Bourgeon, aumônier de la division, dont le journal fut publié en grande partie par J.-R. Tournoux (Jamais dit, p. 68-76), et les souvenirs du capitaine François utilisés par H. de Wailly.

[9] P. Huart, Le colonel de Gaulle et ses blindés, Plon, Paris, 1980.

[10] Henri de Wailly, Abbeville 1940 : la victoire évaporée, Perrin, 1995 et J. Marot, Abbeville 1940. – Avec la division cuirassée de Gaulle. Durassié, Paris, 1967, cités dans P. Messmer, A. Larcan, op. cit., p. 83.

[11] C’est en Alsace qu’il accueille le Président de la République, Albert Lebrun, et lui présente son unité. Ce dernier lui déclare : « Vos idées me sont connues, mais, pour que l’ennemi les applique, il semble bien qu’il soit trop tard ». « C’est pour nous qu’il sera trop tard », écrit de Gaulle. Voir Mémoires de guerre, L’appel, 1940-1942, Presses pocket, p. 33.

[12] Là où le jeune lieutenant de Gaulle a été blessé le 15 août 1914.

[13] Mémoires de guerre, op. cit., p ; 41.

[14] Le général Doumenc est installé à Montry, tandis que le général Gamelin s’est installé au fort de Vincennes et le général Georges à La Ferté-sous-Jouarre (Seine-et-Marne), à 45 kilomètres à l’est de Paris. « L’organe du commandement suprême était coupé en trois tronçons » écrira de Gaulle dans ses Mémoires de guerre (op. cit., p. 39.

[15] P. Messmer, A. Larcan, op. cit., p. 75-76.

[16] Mémoires de guerre, op. cit., p. 42.

[17] Mémoires de guerre, op. cit., p. 43.

[18] Mémoires de guerre, op. cit., p. 49.

[19] Souvenirs du général Nérot, inédit Fondation Charles de Gaulle, Espoir mars 2020.

[20] Le plus grand char existant en Europe en 1940.

[21] Mémoires de guerre, op. cit., p. 44.

[22] P. Messmer, A. Larcan, op. cit., p. 76.

[23] Souvenirs du général Nérot, inédit Fondation Charles de Gaulle, 2020.

[24] La VIIe armée ayant été disloquée, son chef, le général Henri Giraud, fait prisonnier par les Allemands à Wassigny (Aisne).

[25] P. Messmer, A. Larcan, op. cit., p. 77-78.

[26] Mémoires de guerre, op. cit., p. 48.

[27] Souvenirs du général Nérot, op. cit.

[28] La 4e DCR doit abandonner en cours de route une trentaine de chars ; des unités de renfort lui parviennent mais elles n’ont reçu, pour la plupart, qu’une très sommaire instruction. Cf. Souvenirs du général Nérot, op. cit.

[29] Mémoires de guerre, op. cit., p. 49.

[30] Mémoires de guerre, op. cit., p. 49.

[31] Souvenirs du général Nérot, op. cit.

[32] P. Messmer, A. Larcan, op. cit., p. 80.

[33] Moyenneville et Bienfray à gauche ; Huchenneville et Villers au centre ; Mareuil à droite.

[34] Mémoires de guerre, op. cit., p. 50.

[35] Cf. J.-R. Tournoux, Jamais dit, op. cit.

[36] Souvenirs du général Nérot, op. cit.

[37] Souvenirs du général Nérot, op. cit.

[38] De Gaulle sous le casque, op. cit., p. 149-163.

[39] Cf. le compte-rendu du major Gehring dans Abbeville, historique de la division allemande Blümm, paru en 1941 et cité dans les Mémoires de guerre, op. cit., p. 50.

[40] Voir L’aviation pendant la bataille d’Abbeville, circuit de mémoire de la bataille d’Abbeville, station 8 Cahon-Gouy.

[41] Souvenirs du général Nérot, op. cit.

[42] Le général André Berniquet (né à Guise en 1878) commande la 2e division légère de cavalerie. Blessé au cours des combats de Saint-Valéry-en-Caux, il meurt le 12 juin 1940.

[43] Souvenirs du général Nérot, op. cit.

[44] Mémoires de guerre, op. cit., p. 52.

[45] Dans J.-R. Tournoux, op. cit. p. 72.

[46] P. Messmer, A. Larcan, op. cit., note de bas de page 23, p. 83.

[47] Souvenirs du général Nérot, op. cit.

[48] En Seine-et-Marne, près de Meaux, aujourd’hui siège de l’établissement public d’insertion de la Défense.

[49] « Chef admirable de cran et d’énergie. A attaqué avec sa division la tête de pont d’Abbeville très solidement tenue par l’ennemi. A rompu la ligne de résistance allemande et progressé de 14 km à travers les lignes ennemies, faisant des centaines de prisonniers et capturant un matériel considérable ».

[50] Mémoires de guerre, op. cit., p. 52.

[51] Lettres, notes et carnets, 1919-1940, Plon, 1980.

[52] Expression utilisée par de Gaulle dans une lettre à sa femme, voir Lettres, notes et carnets, 1919-1940, op. cit.

[53] Mémoires de guerre, op. cit., p. 52.

[54] Mémoires de guerre, op. cit., p. 56.

[55] Cf. P. Messmer, A. Larcan, op. cit., p. 82.

[56] Lettres, notes et carnets, 1945-1951, Plon, 1984, p. 355.

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