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par Philippe Goulliaud,
Journaliste

Dix jours en Juin 1940

Avant d’accéder aux plus hautes fonctions, Charles de Gaulle a effectué ses premiers pas dans un gouvernement du 6 au 16 juin 1940. Dix jours en pleine tourmente alors que les armées hitlériennes progressent inexorablement et menacent désormais Paris. C’est au cours de cette décade tragique que se sont noués l’avenir de la France et la propre destinée du Général.

En ces temps troublés, le président du Conseil, Paul Reynaud, cumule ces fonctions avec celles de ministre de la Défense nationale et de la Guerre et celles de ministre des Affaires étrangères. Son gouvernement se déchire entre ceux qui plaident pour la poursuite du combat contre l’Allemagne hitlérienne et ceux qui défendent un armistice, au premier rang desquels le maréchal Philippe Pétain, auréolé de son prestige de vainqueur de Verdun.

Le 6 juin 1940, Paul Reynaud appelle Charles de Gaulle à ses côtés dans ce qui sera l’avant-dernier gouvernement de la IIIe République, comme sous-secrétaire d’Etat à la Défense nationale et à la Guerre. Sur cette photo, sa haute silhouette se détache au second plan, en uniforme, raide et digne. Paul Reynaud apparaît au premier rang au centre, entouré, de gauche à droite, par Ludovic-Oscar Frossard (Transmissions), Albert Chichery (Commerce), Jean Prouvost (Information), Yves Bouthillier (Finances), André Février (Travaux publics), Yvon Delbos (Éducation nationale) et Georges Pernot (Famille).

Quelques jours auparavant, le 25 mai, le colonel de Gaulle a été promu général de brigade à titre temporaire avec effet au 1er juin. Encore peu connu des Français, il a travaillé avec Pétain et s’est fait remarquer par ses théories audacieuses en matière de défense nationale. Il plaide, souvent dans le désert, pour une Armée de métier. Au cours de la Bataille de France, de Gaulle a réussi, à la tête de son unité de la 4e Division cuirassée, à repousser momentanément les troupes allemandes à Montcornet, dans l’Aisne, près de Laon.

Farouchement opposé à tout armistice qu’il juge « contraire à l’honneur », de Gaulle soutient l’idée, puisqu’il est trop tard pour freiner la progression des troupes nazies, que la France doit poursuivre la guerre par tous les moyens, en s’appuyant sur son Empire, avec le soutien du Royaume-Uni et des Etats-Unis.

Aussitôt nommé, le Général est chargé par le président du Conseil d’une mission cruciale et délicate : se rendre à Londres pour convaincre les Britanniques que la France est déterminée à tenir. De Gaulle incarne cette résolution affichée alors que tout s’effondre.

Le général de Gaulle s’envole pour Londres le 9 juin, en compagnie notamment de son aide de camp, Geoffroy de Courcel. Il est reçu au 10, Downing Street par le Premier ministre Winston Churchill. C’est la première rencontre entre ces deux géants de l’Histoire qui se découvrent, se jaugent, s’estiment mutuellement. De Gaulle retire de ces entretiens la conviction que « la Grande-Bretagne, conduite par un tel lutteur, ne fléchirait certainement pas ». « Je le trouvais bien assis à sa place de guide et de chef », écrit-il dans ses Mémoires. « Winston Churchill, ajoute-t-il, m’apparut d’un bout à l’autre du drame comme le grand champion d’une grande entreprise et le grand artiste d’une grande histoire. »

Le 14 juin, les Allemands entrent dans Paris et le gouvernement se réfugie à Bordeaux. Deux jours plus tard, de Gaulle effectue une nouvelle mission à Londres pour négocier une proposition d’union de la France et de l’Angleterre. Le général et Churchill qui connaissent parfaitement l’Histoire de leurs deux pays, sont bien conscients des difficultés de mener à bien l’affaire mais ils espèrent que cette perspective permettra de raffermir la position du président du Conseil. Peine perdue.

Le 16 juin 1940, dans un contexte d' »anéantissement de l’Etat », Paul Reynaud démissionne et le président Albert Lebrun charge le maréchal Pétain de former un nouveau gouvernement. « La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain allait s’identifier avec le naufrage de la France », écrit de Gaulle, reprenant la formule de Chateaubriand. Le Général ne peut évidemment pas faire partie de ce nouveau gouvernement. Il repart pour Londres le 17 juin. Les partisans de l’armistice ont gagné. C’est la fin. Mais c’est aussi le début d’une glorieuse épopée, celle de la Libération de la France. Ce jour-là, reconnaît le Général, « je m’apparaissais à moi-même seul et démuni de tout, comme un homme au bord de l’océan qu’il prétendrait franchir à la nage ».

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