La vie du général de Gaulle au jour le jour du 8 au 14 juin 1940

8 juin 1940 – après-midi

Le général de Gaulle rencontre le général Weygand au Grand Quartier Général au château de Montry. Le général de Gaulle raconte l’entretien dans les Mémoires de guerre :

  • « Vous voyez, je ne m’étais pas trompé quand je vous ai, il y a quelques jours, annoncé que les Allemands attaqueraient sur la Somme le 6 juin. Ils attaquent en effet. En ce moment, ils passent la rivière. Je ne puis les en empêcher.
  • Soit ! Ils passent la Somme. Et après ?
  • Après ? C’est la Seine et la Marne.
  • Et après ?
  • Après ? Mais c’est fini !
  • Comment ? Fini ? Et le monde ? Et l’Empire ?

Le général Weygand éclata d’un rire désespéré.

  • L’Empire ? Mais c’est de l’enfantillage ! Quant au monde, lorsque j’aurai été battu ici, l’Angleterre n’attendra pas huit jours pour négocier avec le Reich.

Et le commandant en chef ajouta en me regardant dans les yeux : « Ah si j’étais sûr que les Allemands me laisseraient les forces nécessaires pour maintenir l’ordre… ! »

La discussion eût été vaine. Je partis, après avoir dit au général Weygand que sa manière de voir était à l’opposé des intentions du gouvernement. Celui-ci n’abandonnerait pas la lutte, même si les combats devaient être malheureux. »

De retour rue Saint-Dominique, il demande à Paul Reynaud de relever le général Weygand de ses fonctions pour le remplacer par le général Huntzinger.

Dans la soirée, le général de Gaulle travaille à l’élaboration du plan de transport en Afrique du Nord de tous les éléments possibles de l’armée de terre, de l’air et de la marine.

 

9 juin 1940

A 17h 30, le général de Gaulle rencontre pour la première fois Winston Churchill au 10 Downing Street en présence de Roland de Margerie qui a l’accompagné à Londres. De Gaulle note dans ses Mémoires : « M. Churchill me parut être de plain-pied avec la tâche la plus rude, pourvu qu’elle fût aussi grandiose… Par-dessus tout, il était, de par son caractère, fait pour agir, risquer, jouer le rôle, très carrément et sans scrupule. Bref, je le trouvai bien assis à sa place de guide et de chef ».

Edward Spears témoigne de la bonne impression faite par le général de Gaulle sur Winston Churchill et son entourage : « De Gaulle avait fait une excellente impression sur tous ceux qui l’avaient rencontré. Il était calme, maître de lui, absolument pas démonté. Civils et militaires britanniques étaient enchantés de voir auprès de Reynaud le soutien de cette vigoureuse personnalité, mais ces éloges étaient toujours tempérés par le regret qui accompagnait chaque constatation d’une mesure heureuse prise à cette époque : « Quel malheur que cela n’eut pas été fait depuis longtemps ».

22h, de retour en France, le général de Gaulle rencontre Paul Reynaud à son domicile de la place du Palais Bourbon. Ce dernier l’informe de l’avancée des troupes allemandes vers Paris et de l’imminence de la déclaration de guerre italienne. Le général de Gaulle conseille aussitôt au président du Conseil de quitter Paris pour conserver sa liberté d’action : d’abord la Bretagne puis l’Afrique.

10 juin 1940

Le général de Gaulle note dans ses Mémoires de guerre : « Le 10 juin fut une journée d’agonie ».

10h 30, le général de Gaulle assiste pour la première fois à la réunion quotidienne entre Paul Reynaud, le général Weygand, l’amiral Darlan et Paul Baudouin. Le maréchal Pétain a quitté Paris la veille.  Le général de Gaulle rend compte de sa mission en Grande-Bretagne. Paul Reynaud insiste auprès de Weygand pour que soit constitué au plus vite le « réduit breton ». Weygand lui remet une note prévoyant à très court terme « la rupture définitive de nos lignes de défense » et « la dissociation » de nos armées. Paul Baudouin se fait le porte-parole du maréchal Pétain et insiste pour qu’on examine sans tarder avec l’Angleterre puis avec l’Allemagne les conditions d’un armistice.

En fin d’après-midi, le général de Gaulle rédige, avec Paul Reynaud, l’allocution que ce dernier doit prononcer à la radio à 19h 30 stigmatisant « le coup de poignard dans le dos » que constitue la déclaration de guerre de l’Italie à la France et exhortant les Français à continuer le combat : « Rien, jamais, ne fera fléchir notre volonté de lutter pour notre terre et nos libertés… La France entre dans cette guerre avec la conscience pure et, pour elle, ce n’est pas un vain mot. Le monde connaîtra, peut-être, bientôt que les forces morales sont aussi des forces… La France ne peut pas mourir ! »

Vers 18h 15, le général Weygand revient chez le président du Conseil laissant entendre qu’il n’y aura bientôt plus d’autre solution que de traiter avec l’ennemi. Le général de Gaulle réclame une nouvelle fois le relèvement de Weygand.

A 23 h, la radio diffuse le communiqué suivant : « Le gouvernement est obligé de quitter la capitale pour des raisons militaires impérieuses. Le président du Conseil se rend aux Armées ».

Peu après, Paul Reynaud et le général de Gaulle quitte Paris pour Orléans où ils arriveront à l’aube. De Gaulle note dans ses Mémoires : « Désormais l’évidence de l’effondrement s’imposait à tous les esprits ».

11 juin 1940

Le matin du 11 juin, le général de Gaulle se rend à Arcis-sur-Aube , au PC du général Huntziger, commandant du groupe d’armées du Centre. De Gaulle rapporte dans ses Mémoires : « Le gouvernement voit bien que la bataille de France est virtuellement perdue, mais il veut continuer la guerre en se transportant en Afrique avec tous les moyens qu’il est possible d’y faire passer. Cela implique un changement complet dans la stratégie et dans l’organisation. L’actuel généralissime n’est plus l’homme qui puisse le faire. Vous, seriez-vous cet homme-là ? – Oui ! répond simplement Huntziger. – Eh bien ! Vous allez recevoir des instructions du gouvernement ».

En fin d’après-midi, le général de Gaulle rejoint Paul Reynaud au Grand Quartier Général de Briare qu’il a rejoint par Romilly et Sens et lui rend compte de son entrevue avec le général Huntziger. Il constate que le remplacement du général Weygand n’est plus à l’ordre du jour et note dans ses Mémoires que Paul Reynaud « a épousé, de nouveau, l’idée de poursuivre la route de la guerre avec un généralissime qui voulait prendre celle de la paix ».

A 19 h., le général de Gaulle assiste à la séance du Conseil suprême interallié au château du Muguet. Après le tableau alarmiste de la situation dressé par Weygand, il est décidé de poursuivre l’étude de la possibilité du « réduit breton ». Lors du dîner qui suit la réunion, le général de Gaulle est placé à la droite de Churchill. Il note dans ses Mémoires : « Notre conversation fortifia la confiance que j’avais dans sa volonté. Lui-même en retint, sans doute, que de Gaulle, bien que démuni, n’était pas moins résolu ».

12 juin 1940

A l’aube, le général de Gaulle se rend à Rennes pour superviser l’organisation du « réduit breton ». Il est accueilli à 10 h. à l’hôtel de la Xe Région militaire par les généraux Guitry, Caillaut et Belhague et ouvre aussitôt la réunion. Il y explique le projet d’établir une ligne de résistance fortifiée allant de l’embouchure du Couesnon à l’estuaire de la Vilaine passant par l’ouest de Vitré. Il y évoque la durée des travaux (1 ou 2 mois) et y évoque les unités appelées à défendre la position.

Après un repas rapide, il regagne la Touraine. Dans la soirée, il reçoit, au château de Beauvais, le général Colson, chef d’état-major de l’armée de terre avec lequel il travaille au plan de transport en Afrique du Nord. Pendant ce temps, au château de Cangé, a lieu un conseil des ministres au cours duquel Weygand exhorte les ministres à demander l’armistice. Aucun des ministres ne se montre favorable au transfert immédiat du gouvernement en Bretagne. En revanche, la majorité d’entre eux souhaite poursuivre la lutte, éventuellement en Afrique du Nord.

Après 23 h., le général de Gaulle rejoint Paul Reynaud et ses proches collaborateurs au château de Chissay, résidence du Président du Conseil et participe à une discussion sur la destination prochaine du gouvernement, la Loire risquant de se trouver bientôt à portée de l’ennemi. Leur choix porte sur Bordeaux. Le général de Gaulle plaide, quant à lui, pour la Bretagne. Il note dans ses Mémoires : « J’étais naturellement pour Quimper. Non pas que j’eusse d’illusions quant à la possibilité de tenir en Bretagne, mais si le gouvernement s’y repliait, il n’y aurait pas, tôt ou tard, d’autre issue que de prendre la mer. Car les Allemands devant nécessairement occuper la péninsule pour agir contre les Anglais, il ne pourrait y avoir de « zone libre » en Bretagne. Une fois embarqués, les ministres prendraient, selon toute vraisemblance, la direction de l’Afrique, soit directement, soit après avoir fait une halte en Angleterre. De toute façon, Quimper était l’étape vers les décisions énergiques… ».

13 juin 1940

De retour à Chissay tôt dans la matinée, le général de Gaulle tente, une nouvelle fois, de convaincre Reynaud de transférer le gouvernement en Bretagne. Il parvient, vers midi, à lui faire signer un message à l’adresse du général Weygand ordonnant à ce dernier de prolonger la résistance, y compris, et en dernier recours, dans l’Empire : « Si nous échouions, si nous étions arrachés de vive force du centre du territoire métropolitain et du rocher breton, nous aurions montré à notre peuple et au monde que nous avons lutté jusqu’à la dernière extrémité pour nous maintenir en armes sur la terre de France. Il nous resterait alors à nous installer et à organiser la lutte dans notre Empire en utilisant la liberté des mers ». L’entourage proche de Reynaud, opposé à la poursuite de la lutte, retardera l’expédition du message jusqu’au lendemain. Weygand ne la recevra que dans l’après-midi du 14.

De retour au château de Beauvais, un appel téléphonique de Roland de Margerie informe le général de Gaulle de la tenue d’un conseil suprême interallié à 15h 30 à la préfecture de Tours auquel il n’est pas été convié. A la suite de cette réunion, le général de Gaulle note dans ses Mémoires : « Il me paraissait acquis que tout serait bientôt consommé. De même qu’une place assiégée est bien près de la reddition dès lors que le gouverneur en parle, ainsi la France courait à l’armistice, puisque le chef de son gouvernement l’envisageait officiellement. Ma présence dans le Cabinet, si secondaire qu’y fût ma place, allait devenir une impossibilité ». C’est au moment de rédiger sa lettre de démission qu’il apprend que Georges Mandel souhaite le voir. Ce dernier le dissuade de se retirer. Le général de Gaulle écrit dans ses Mémoires : « … évoquant l’avenir, il ajouta : ‘de toute façon, nous ne sommes qu’au début de la guerre mondiale. Vous aurez de grands devoirs à remplir, Général ! Mais avec l’avantage d’être, au milieu de nous tous, un homme intact. Ne pensez qu’à ce qui doit être fait pour la France et songez que, le cas échéant, votre fonction actuelle pourra vous faciliter les choses’. Je dois dire que cet argument me convainquit d’attendre avant de me démettre. C’est à cela qu’a peut-être tenu, physiquement parlant, ce que j’ai pu faire par la suite ».

14 juin 1940

Le général de Gaulle quitte Tours pour Bordeaux, où le gouvernement se replie. Le soir, Il dîne à l’hôtel Splendid en compagnie de son aide camp, Geoffroy de Courcel à une table voisine de celle du maréchal Pétain. Le général de Gaulle va le saluer et note dans ses Mémoires : « Il me serra la main, sans un mot. Je ne devais plus le revoir, jamais ».  Après le dîner, il part pour Rennes avec la mission de gagner Brest, puis l’Angleterre, pour y réclamer du gouvernement britannique les moyens de transports nécessaires à la poursuite de la lutte en Afrique du Nord. A Rennes, il rencontre le général Altmeyer. Sur la route de Brest, il s’arrête embrasser sa mère à Paimpont puis à Carantec où se sont réfugiées Madame de Gaulle et ses filles.

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