Le 18 Juin résonne toujours

par Jean-Louis Debré 

Le 18 juin 1946, le général de Gaulle préside la cérémonie anniversaire de l’Appel au Mont Valérien. A ses côtés, l’amiral Georges Thierry d’Argenlieu.

Aussi loin que je me promène dans mes souvenirs d’enfance, je revois, chaque 18 juin, le pèlerinage au Mont Valérien.

Dans l’après midi, ma mère au volant de la Frégate Renault, mon père à ses côtés. Il valait mieux qu’il ne conduise pas, son permis de conduire était faux. Il n’avait jamais voulu le changer. Il avait été fabriqué pendant l’occupation au nom de Jacquier.

A l’aller, nous écoutions religieusement, mes frères et moi, mon père évoquer le Général de Gaulle, l’importance de ce 18 juin. Mais aussi, l’action de ces héros de la Résistance tel naturellement Jean Moulin. Mais bien d’autres noms ressurgissent de ma mémoire : Marie-Madeleine Fourcade, Jacques Lecompte-Boinet, Alexandre Parodi, Pierre Boursicot…

Au Mont-Valérien, naturellement arrivés en avance, nous attendions en silence.

 Je regardais mes parents, heureux, embrasser les uns et les autres, s’appeler par leurs prénoms ou compagnons. J’admirais toutes ces décorations qui étaient accrochées au veston de nombre d’entre eux.…

Roulements de tambours, garde à vous retentissant, émotion, le Général de Gaulle arrive. Il salue, rallume la flamme du souvenir. Marseillaise. Silence impressionnant du recueillement de celles et ceux, qui ne veulent ou ne peuvent oublier la disparition, la mort, les souffrances de leurs camarades tombés pour la France.

Moments de ferveur, de prière, de communion, de fraternité partagés qui impressionnent le jeune enfant que je suis.

Sonnerie de clairon.  Chant des Partisans, repris en chœur par certains, fredonné par d’autres. Nouvelles émotions et larmes.

Le Général, lentement, majestueusement, salue ses compagnons un à un. Le voici devant nous. Il m’apparaît immensément grand, impressionnant. Il serre la main de mes parents, nous regarde, esquisse un petit sourire et s’éloigne.

La cérémonie est terminée, le Général reparti, les compagnons s’embrassent, et nous quittons tranquillement le Mont Valérien.

Le retour du pèlerinage est d’abord silencieux, personne dans la voiture ne parle. L’émotion de mon père est encore perceptible, mais aussi son espérance d’un retour au pouvoir du général de Gaulle.

Au bout d’un moment nous avons droit à une nouvelle leçon d’histoire de la part de mon père. Souvent, pour nous rappeler les grandes dates de notre histoire nationale dont il convient de ne jamais perdre la signification et dont le 18 juin fait partie.

Toute autre la cérémonie du Mont-Valérien à partir de 1958. Aux côtés des fidèles compagnons, toujours présents, pour communier dans le souvenir, se presse une foule de courtisans, opportunistes, de politiques. Peu leur importe leur absence d’hier, ils sont là aujourd’hui et la seule chose qui compte pour eux est de se faire remarquer du général de Gaulle, de se montrer.

 Le recueillement a fait place à l’effervescence. L’émotion n’est plus.  On m’avait volé mon 18 juin du Mont Valérien.

Mais un autre 18 juin me revient en mémoire, celui de 1978, non plus au Mont Valérien, mais à Colombey.

Au pied de la grande croix de Lorraine, « les amis et compagnons » qui l’accompagnaient ont dû être bien surpris d’entendre mon père réciter ces vers de Péguy, qui évoquent son pèlerinage à pied à Chartres :

« Un homme de chez nous, de la glèbe féconde

A fait jaillir ici d’un seul enlèvement

Et d’une seule source et d’un seul portement

Vers notre assomption la flèche unique au monde »

Evoquer Péguy quand, le 18 juin, on se recueille devant la Croix de Lorraine, honore la mémoire du Général de Gaulle, à Colombey, au Mont Valérien ou ailleurs, n’est nullement une incongruité.

Péguy, le socialiste, le dreyfusard, le catholique, le patriote, le soldat, croyait au destin de la France, à sa grandeur comme De Gaulle.

Ils portaient, à des époques différentes, une certaine idée de la grandeur de la France.

 

Ce même esprit de grandeur n’inspire-t-il pas l’œuvre et l’action du général de Gaulle, grand lecteur de Péguy, qui déclarait « la France ne peut être la France sans la grandeur ».

 

Pour de Gaulle comme pour Charles Péguy, cet appel à la mobilisation individuelle et collective nourrit une volonté de rester fidèle à soi et au récit national. Et sa reconquête suppose le retour à l’esprit de résistance.

 

Péguy avertit : « On ne suit que celui qui marche » : l’esprit de grandeur n’est pas spectateur, il est acteur.

 

Le général de Gaulle écrit : « Face à l’événement, c’est à soi-même que recourt l’homme de caractère. Son mouvement est d’imposer à l’action sa marque, de la prendre à son compte, d’en faire son affaire »

 

Le 18 juin résonne toujours comme une volonté de ne jamais oublier ce qui contribue à la grandeur de la France.

 

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