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par Philippe Goulliaud,
Journaliste

Geoffroy de Courcel et Elisabeth de Miribel,

les premiers compagnons du Général à Londres le 18 juin

Elisabeth de Miribel n’a pas entendu l’Appel du 18 juin 1940, lancé sur les ondes de la BBC par le général de Gaulle, arrivé la veille à Londres. Mais elle a fait mieux : c’est elle qui a tapé sur une petite machine à écrire portative ce texte fondateur de la France Libre et de la Résistance au nazisme. Un discours historique que très peu de gens ont écouté, à une époque où les foyers n’étaient pas équipés comme aujourd’hui de postes de radio. D’autant que l’Appel n’a pas été enregistré, la BBC n’en ayant pas donné l’ordre.

Issue d’une famille aristocratique lorraine de tradition catholique et militaire, Elisabeth de Miribel est l’arrière-petite-fille du Maréchal Patrice de Mac-Mahon, le troisième président de la République. En 1939, au début de la Guerre, elle entre au ministère des Affaires étrangères comme traductrice et est envoyée à Londres au sein de la mission française de guerre économique dirigée par l’écrivain diplomate Paul Morand.

En juin 1940, Elisabeth de Miribel, 25 ans, est contactée par un ami d’enfance, Geoffroy de Courcel, aide de camp du général de Gaulle, pour fournir la liste des quelque 800 Français en mission au Royaume-Uni. Le 18 juin, il lui demande d’assurer le secrétariat et de dactylographier le texte que le Général va lire le soir même à la BBC.

« Je me suis retrouvée devant une machine à écrire, alors que je tapais fort mal, et devant des feuilles manuscrites très difficiles à déchiffrer. J’étais installée dans une chambre, à côté de la salle à manger. Le Général s’est absenté une partie de la matinée. Il est sorti pour déjeuner. Mon vrai travail a commencé vers trois heures. Je m’applique laborieusement à lire un texte finement écrit et surchargé de ratures. Je dois le recopier, au propre, à la machine Pour gagner du temps, Geoffroy de Courcel m’en dicte des passages. Il emporte, au fur et à mesure, les feuillets dactylographiés pour les soumettre au Général […]. Ces mots vont constituer une page d’histoire. Je ne le sais pas encore. Pourtant j’ai l’obscur pressentiment de participer à un événement exceptionnel », écrit Elisabeth de Miribel dans son autobiographie « La Liberté souffre violence », parue en 1981.

En juillet 1940, le général de Gaulle l’envoie au Canada avec pour mission d’y implanter le mouvement de la France libre et de rallier à sa cause des Canadiens français largement acquis à Pétain. En 1943, elle rejoint de Gaulle à Alger, avant d’être correspondante de guerre en Italie puis de couvrir la Libération de Paris avec la Deuxième DB du général Leclerc.

Attachée de presse du général de Gaulle, président du Gouvernement provisoire de la République française, Elisabeth de Miribel entre au Carmel en 1949 mais elle le quitte au bout de quatre ans. Elle revient alors au Quai d’Orsay. Successivement en poste à Berne, à Rabat à Santiago du Chili, elle devient Consule générale de France à Innsbruck puis à Florence. Cette femme au destin hors du commun est décédée en 2005, à l’âge de 89 ans.

Contrairement à Elisabeth de Miribel, Geoffroy de Courcel a entendu l’Appel du 18 juin, installé dans un salon contigu à la cabine de la BBC d’où s’exprime le général de Gaulle. « Il est difficile de décrire l’émotion que j’éprouvais en écoutant cet appel, dont je sentais bien qu’il était le début d’une grande entreprise », racontera plus tard le jeune lieutenant.

Geoffroy de Courcel appartient à une famille de la petite noblesse lorraine, les Chodron de Courcel, qui est aussi celle de Bernadette Chirac. Le 7 juin 1940, arrivé de Beyrouth en permission à Paris un mois plus tôt, le jeune lieutenant est affecté comme officier d’ordonnance du général de Gaulle, qui vient d’être nommé sous-secrétaire d’État à la Guerre dans le nouveau gouvernement de Paul Reynaud. De Gaulle souhaitait avoir à son côté « un diplomate parlant anglais ». Ainsi Courcel accompagne-t-il le sous-secrétaire d’Etat à Londres dans ses missions auprès du gouvernement Churchill.

Durant ces journées tragiques et décisives, il assiste aux affrontements au sein du gouvernement entre défaitistes, autour du maréchal Philippe Pétain, et partisans de la résistance à tout prix. Et il observe en témoin privilégié les hésitations et les atermoiements du président du Conseil, Paul Reynaud, tiraillé entre ces deux lignes.

Comme de Gaulle, Courcel est opposé à tout armistice avec l’Allemagne nazie. Et lorsque, le 16 juin 1940, Pétain devient chef du gouvernement, il se porte volontaire pour accompagner le Général dans son exil à Londres. « Ma foi, vous êtes bien le seul », lui dit de Gaulle, au moment de quitter Bordeaux pour l’Angleterre. « Vous parlez l’anglais. Eh bien ! C’est entendu, venez. Faites mettre votre bagage dans la voiture ».

Geoffroy de Courcel supervise l’installation du général de Gaulle dans un petit appartement au 6, Seymour Place, près de Hyde Park, mis à sa disposition par Jean Laurent, son chef de cabinet rue Saint-Dominique, puis dans des bureaux à St Stephen’s House, près du Parlement. On le voit ici à Londres en juin 1940 accompagnant le général de Gaulle.

Après une guerre admirable, au cours de laquelle il participe aux campagnes d’Égypte, de Libye et de Tunisie et s’illustre au combat d’El Alamein, le 24 octobre 1942, Geoffroy de Courcel réintègre le Quai d’Orsay. Compagnon de la Libération, il est secrétaire général de la présidence de la République au côté de Charles de Gaulle de 1959 à 1962. Ambassadeur de France au Royaume-Uni de 1962 à 1972, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères de 1973 à 1976, ce grand serviteur de l’Etat a présidé l’Institut Charles de Gaulle de 1984 à 1991, succédant à Gaston Palewski. Il est mort le 9 décembre 1992 à 80 ans.

Le 18 juin 1940, la jeune secrétaire et l’aide de camp ont été les premiers compagnons du Général au moment où celui-ci entrait dans l’Histoire. « A mesure que s’envolaient les mots irrévocables, je sentais en moi-même se terminer une vie, celle que j’avais menée dans le cadre d’une France solide et d’une indivisible armée, écrit de Gaulle dans ses Mémoires. A quarante-neuf ans, j’entrais dans l’aventure, comme un homme que le destin jetait hors de toutes les séries. »

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