Le Gaullisme aujourd’hui

par Jean-Marie Dedeyan

vice-président de la Fondation Charles de Gaulle 

Il y a 80 ans, le général de Gaulle lançait, de Londres, l’appel du 18 juin 1940, depuis le studio de la BBC mis à sa disposition avec l’appui de Winston Churchill, après que le maréchal Pétain eut annoncé son intention résignée de demander l’armistice à l’envahisseur allemand.

50 ans après la mort du fondateur de la Ve République, 130 ans après sa naissance et 80 ans après son mémorable appel, la vision du général de Gaulle s’inscrit dans une continuité historique de la France dont les premières lignes de ses « Mémoires d’Espoir » tracent la perspective : « La France vient du fond des âges. Elle vit. Les siècles l’appellent. Mais elle demeure elle-même au long du temps ».

En cette année de triple anniversaire marquée par une grave pandémie dont les nombreux effets perturbent et inquiètent, les Français s’interrogent, notamment les jeunes générations, sur l’actualité des célébrations événementielles prévues en souvenir du général de Gaulle. Ont-elles un simple intérêt mémoriel ? Que représente aujourd’hui le Gaullisme ? Est-ce une doctrine ou une philosophie ? Quelle est son actualité ? Pourquoi les historiens et de nombreux responsables politiques font-ils référence désormais à l’action et à la pensée du général de Gaulle alors que certains d’entre eux le critiquaient de son vivant ?

De telles interrogations méritent une réponse ou, du moins, un éclairage propice à la réflexion de ceux qui s’interrogent sincèrement, conscients de la vacuité de certaines discordes et soucieux de trouver des sources d’ardeurs nouvelles pour appréhender les réalités et les défis d’aujourd’hui.

Une philosophie de l’action

Le Gaullisme n’est pas une doctrine. C’est d’abord une histoire. L’histoire d’un homme et de ses compagnons qui refusent la défaite de 1940, s’opposent au renoncement du régime de Vichy et décident de combattre pour défendre une certaine Idée de la France forgée par des siècles d’histoire, une conception de la Souveraineté, un refus de l’asservissement et une volonté farouche de permettre au peuple français de continuer librement à écrire sa propre histoire au lieu de la laisser écrire par d’autres.

Le Gaullisme n’est ni une religion, ni une doctrine. C’est une conception murie et pragmatique de l’action dans le souci constant de l’intérêt supérieur du Pays. Cette approche repose à la fois sur des réalités historiques, culturelles, démographiques et géographiques, sur des valeurs philosophiques, sur une prise en compte réfléchie des circonstances et des réalités, et sur une capacité d’application dont les principes demeurent, mais dont la traduction opérationnelle est fonction des circonstances.

Etre gaulliste aujourd’hui, ce n’est pas être nostalgique. C’est, au contraire, agir sans renoncer pour maintenir vivante une certaine idée de la France, de l’Etat, de la Nation, de la République et du Bien public, afin d’éclairer et d’élever la pensée et l’action future des jeunes générations face aux réalités et aux défis du XXIe siècle.

N’est pas, cependant, le général de Gaulle qui veut. Certains s’en réclament alors que leur formation politique n’a cessé de le combattre ; d’autres se livrent à d’audacieuses interprétations, voire à des manipulations qui altèrent la cohésion sociale et reflètent un profond mépris de l’éthique républicaine.

Or De Gaulle n’a jamais cessé de combattre le populisme et le racisme, de promouvoir la solidarité nationale, de conjuguer liberté économique et progrès social, d’encourager la participation, de rechercher l’intérêt de la France dans le constant souci de son indépendance et de sa position en Europe et sur la scène internationale.

Et si, un peu partout dans le monde, des hommes et des femmes honorent, aujourd’hui, le souvenir du général de Gaulle décédé le 9 novembre 1970 dans sa maison de Colombey les deux églises, c’est bien pour les qualités d’homme d’état exceptionnel dont il a fait preuve en sauvant puis en relevant notre Pays.

Le 18 juin 1940, lançant son célèbre Appel, il est d’abord une voix et un nom. Pendant les quatre années de guerre, ce nom et cette voix ont symbolisé l’honneur et l’espérance ; l’honneur du peuple français et l’espoir de sa patrie libérée.

Rappelé en 1958 pour sortir la France et les Français des errements d’une IVe République confrontée à une instabilité chronique et à de nombreuses difficultés politiques, économiques, sociales et diplomatiques, le général de Gaulle a su rénover la République en la dotant d’une constitution et d’un gouvernement dont l’action, sous l’impulsion de Michel Debré d’abord, puis de Georges Pompidou, a largement porté ses fruits.

En une dizaine d’années, la France s’est trouvée régénérée. Malgré l’épreuve de l’Algérie, ses finances ont été assainies, ses banques, son industrie, son agriculture ont fait l’objet d’une restructuration, son économie a progressé, son équipement a été renouvelé et développé, la paix scolaire a été rétablie, sa Défense a été modernisée et sa politique extérieure lui a permis d’exercer, sur le fondement de son indépendance, une influence internationale indéniable…

Une conception lucide de la République

La légitimité du général de Gaulle à l’égard de la France et son autorité dans le Monde ont incontestablement contribué à l’efficacité de son gouvernement et de son action politique. Un contrat de confiance entre la Nation et lui avait été forgé dans le malheur et dans l’espérance des années de guerre. Et, à son retour en 1958, ce contrat reposait sur de nouvelles institutions et une conception lucide de la République :

  • La République, c’est la France unie et indivisible, consciente de son destin collectif et dotées d’institutions solides et souples, dont la légitimité repose sur la volonté populaire librement exprimée.
  • La République, c’est une France ambitieuse dont le bon état des finances, la compétitivité, la croissance économique, s’ils sont des objectifs premiers, sont aussi des moyens pour bâtir une solidarité sociale équitable, réaliser des projets d’avenir dans l’espace et le fond des océans, mener des programmes de recherche et réaliser des découvertes technologiques ou médicales contribuant au progrès individuel et collectif.
  • Indivisible et ambitieuse, la France est souveraine ; et la République est garante de cette souveraineté. La France est maitresse de son destin comme elle est maitresse de ses relations avec les autres états.
  • Patrie des droits de l’homme, la France, sous l’autorité de ceux qui la dirigent, à la double charge de garantir la liberté des Français et de déployer sa politique extérieure au service de la Paix, du progrès et de la dignité de la personne.

Une source d’inspiration féconde face aux défis du monde

Notre époque actuelle n’est pas seulement celle des mutations et des perspectives nouvelles offertes par la recherche scientifique, les nouvelles technologies et leurs applications à l’industrie, aux transports, à l’éducation, à la santé, etc.

Notre époque est aussi faite de rivalités et de compétitions souvent impitoyables : techniques, économiques, idéologiques, stratégiques qui fragilisent les équilibres…

Or ces compétitions se déroulent alors que des menaces d’une gravité exceptionnelle modifient sensiblement nos conceptions pour l’avenir : déséquilibres démographiques, tensions entre nations et continents, entre continents et civilisations, nouveaux défis de souveraineté, conflits religieux, course aux armements, incidences des évolutions climatiques, risques sanitaires, etc.

La pensée et le pragmatisme du général de Gaulle demeurent, dès lors, dans la plupart des situations, une source d’inspiration utile et féconde pour appréhender ces défis dans le constant souci du bien commun, tout en veillant à maintenir l’union des Français et à préserver l’autonomie stratégique de la France en plaçant la nation, son intérêt, son unité, sa souveraineté et la recherche de sa grandeur au- dessus des idéologies stériles.

Car, pour que la France demeure un grand pays, il faut susciter chez les générations présentes et futures une ambition forte et partagée.

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