BERNARD DEBRÉ
MÉDECIN ET HOMME POLITIQUE

Par Patrick Roger

Le Monde, le 15 septembre 2020

Il a mené deux carrières de front : la médecine et la politique, dans l’ordre et, parfois, le désordre. Bernard Debré, urologue de renommée internationale, ancien ministre, député et maire, est mort dimanche 13 septembre, à Paris, des suites d’un cancer, à l’âge de 75 ans.

Issu d’une illustre lignée familiale, Bernard Debré (faux) jumeau de Jean-Louis Debré – nés le 30 septembre 1944, à Toulouse –, héritait d’un double atavisme. Le grand-père, Robert Debré, fut l’un des fondateurs de la pédiatrie moderne, celui de l’Unicef et le créateur des centres hospitaliers universitaires.

Leur père, Michel Debré, est aussi le « père » de la Constitution de la Ve République, avant de devenir Premier ministre du général de Gaulle et de mener, ensuite, une longue carrière politique. Adolescents, les « deux-Bré » ont vu défiler, à la table familiale, les plus hauts personnages de l’Etat. « Pendant très longtemps, nos parents nous ont mis dans des cases, racontait Bernard Debré. Moi, je devais marcher sur les traces de mon grand-père. Jean-Louis, qui ressemblait à notre père, devait faire de la politique. » Alors il a fait médecine, grimpé tous les échelons de la hiérarchie mandarinale, jusqu’à devenir chef du réputé service d’urologie de l’hôpital Cochin, où furent soignés nombre de chefs d’Etat africains, et dans lequel François Mitterrand, président de la république, fut opéré d’un cancer de la prostate en 1992, puis en 1994.

Les chiens ne font pas des chats

Mais le virus de la politique s’était malgré tout niché dans ses gènes : les chiens ne font pas des chats, foi de Debré ! Ses premières manifestations publiques, il les effectue à la tête de son association, Solidarité médicale, en 1981, au lendemain de l’arrivée de la gauche au pouvoir, lorsqu’il mobilise les chefs de clinique pour dénoncer les projets de réforme hospitalière du ministre de la santé communiste, Jack Ralite, qu’il assimile à la « mise en place des soviets » dans les hôpitaux.

Les élections législatives de 1986 le voient pour la première fois se frotter au suffrage universel. A la faveur de ce scrutin qui, pour la première – et pour l’instant l’unique – fois dans l’histoire de la Ve République, se déroule au scrutin proportionnel départemental à un tour, il est élu député d’Indre-et-Loire, dans le fief paternel où Michel fut, pendant près d’un quart de siècle, maire d’Amboise. Cette année-là, trois Debré posent fièrement sur les marches du Palais-Bourbon : le père, réélu à La Réunion, Jean-Louis, élu dans l’Eure et bernard. La photo de famille ne va pas tarder à se lézarder.

Imposé par Mitterrand

Bernard a repris, en 1992, le flambeau du père à la mairie d’Amboise, tout en continuant à siéger sur les bancs de l’Assemblée nationale et à exercer à la tête du service d’urologie de Cochin. Lorsque, en 1994, le poste de ministre de la Coopération est laissé vacant par Michel Roussin, empêtré dans l’affaire des HLM de la Ville de Paris, François Mitterrand impose, pour lui succéder, le nom de Bernard Debré à son Premier ministre de cohabitation, Edouard Balladur. La rivalité atteint son apogée entre les deux frères, Jean-Louis, lui, vouant une dévotion inconditionnelle à Jacques Chirac et étant un des rares fidèles qui l’accompagneront dans sa campagne victorieuse pour la conquête de l’Elysée, en 1995.

Pour Bernard Debré, s’ensuit une période de purgatoire politique sur la scène nationale jusqu’à ce que, en 2004, à la faveur d’une élection législative partielle, il remporte la 15e circonscription de Paris, au nez et à la barbe du candidat officiellement investi par l’UMP. Il se forge alors une réputation de « rebelle », affranchi des états-majors politiques, au verbe haut et jaloux de son indépendance. Ce qui en faisait un « bon client » prisé des médias.

D’autant plus que ce « fort en gueule » empreint de courtoisie t de malice est aussi l’auteur ou le coauteur de plusieurs ouvrages, tels que le Guide des médicaments utiles, inutiles ou dangereux (le Grand Livre du mois, 2012) ou Dépressions, antidépresseurs. Psychotropes et drogues (Le Cherche-Midi, 2018), succès à grand retentissement qui ont bousculé le monde de l’industrie pharmaceutique. Refusant, là aussi, de rester dans la case qui lui était assignée. 

  • 30 septembre 1944 : Naissance à Toulouse
  • 1986 : Député d’Indre-et-Loire
  • 1990 : Chef du service d’urologie de l’hôpital, Cochin
  • 1994 : Ministre de la coopération
  • 13 septembre 2020 : Mort à Paris

Reproduit avec l’aimable autorisation de la direction.

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