FRANÇOIS DEBRÉ
JOURNALISTE ET ÉCRIVAIN
Par Béatrice Gurrey

Le Monde, le 15 septembre 2020

Journaliste, écrivain, lauréat du prix Albert Londres en 1977, François Debré est mort dans la nuit du 14 septembre, chez lui, à Montlouis-sur-Loire (Indre-et-Loire), à 78 ans, entouré de ses filles, Constance et Ondine. Il s’est éteint trente-deux ans jour pour jour après sa femme, leur mère, Maylis Ibernegaray, décédée le 14 septembre 1988 d’une rupture d’anévrisme. Son décès intervient au lendemain de celui de Bernard Debré, l’un de ses frères.

François Debré n’était pas le plus connu des membres de cette illustre famille, mais sans doute l’un des plus brillants, suivant à l’ombre son chemin singulier. Ni la médecine, comme son grand-père, le pédiatre Robert Debré, ni la politique, comme son père Michel, Premier ministre, n’ont suscité chez lui de vocation, contrairement à ses frères cadets, Jean-Louis et Bernard, les irréconciliables jumeaux.

A ces carrières prestigieuses, il a préféré le parfum de l’aventure, à l’image d’un Joseph Kessel, reporter de guerre et romancier, ou d’un Lucien Bodard, grand connaisseur, comme lui, de l’Asie.

A la charnière des années 1970 et 1980, Bodard et Debré ont écrit, chacun, une histoire de famille. L’aîné emporte le Goncourt avec le portrait de sa mère, Anne-Marie (Grasset, 1981). Debré, lui, a été sélectionné pour la saga d’une famille juive alsacienne au XVIIIe siècle, Le Livre des égarés (Flammarion, 1979), mais n’obtient pas le prestigieux prix littéraire. Deux ans auparavant, il a reçu la plus haute récompense du journalisme, le prix Albert Londres, pour un essai sur les Khmers rouges, Cambodge, la révolution de la forêt (Flammarion, 1977). Le Livre des égarés sera réédité en 2019 par La Nuée bleue, dans la collection « L’Histoire est un roman ».

D’un continent à l’autre

Quel bon titre pour cette vie-là… Le deuxième fils de Michel Debré nait le 3 avril 1942 à Toulouse, en pleine guerre, avant de goûter à l’existence feutrée de la grande bourgeoisie, dans l’appartement familial de la rue Jacob. François Debré passe sa licence de droit, puis apprend le vietnamien et le malais indonésien, au Langues O’. Muni de ces diplômes et d’une culture générale éprouvée, il ne rêve que de terrain. Il fait ses gammes à la revue Afrique, avant de devenir un reporter de guerre reconnu, en couvrant des conflits majeurs de la fin du XXe siècle en Afrique et en Asie, le Biafra et le Vietnam. François Debré travaille d’abord en free lance pour la presse écrite (Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Point), puis à partir des années 1970, pour la télévision, avec un emploi stable. Guerre du Kippour, en 1973, ou naissance de Solidarnosc, en 1980, en Pologne, ce Debré-là passe sans cesse d’un continent à l’autre et réalise de nombreux documentaires dont un « Sur les trottoirs de Manille », sur le tourisme sexuel aux Philippines, sera primé. Sa vie d’écrivain n’est pas moins prolixe, sept livres de La Vingt et unième Chinoise (Christian Bourgois) en 1968, à Trente ans avec sursis (Denoël, 1998), trente ans plus tard.

Il y raconte la lutte permanente contre la drogue qui a détruit sa vie. De l’opium fumé au retour de la guerre du Vietnam, une pratique dans laquelle il entraîne sa femme, Maylis, le couple est passé à l’héroïne dans les années 1980. Elle ne résistera pas à ce naufrage arrosé de whisky. Ils étaient d’une beauté à couper le souffle, brillants, passionnés et un peu déjantés. Lui en rupture de ban avec sa famille de droite, elle, mannequin, intello, issue d’une grande lignée basque et de l’aristocratie, un couple de roman. Ils s’étaient rencontrés à Mykonos, en 1962, comme le raconte joliment Ondine Debré dans un article publié par le trimestriel Zadig paru en septembre « Debré, un nom secret ».

L’aînée de huit ans, Constance Debré, romancière et avocate, diplômée de l’Essec, a enfilé la robe pour la première fois en 2011, pour accompagner sur le banc des prévenus un homme décharné, qui comparaissait pour avoir bénéficié d’un emploi fictif de chargé de mission à la mairie de Paris. Son père. Jacques Chirac avait glissé à son directeur de cabinet : « Je voudrais l’aider, voyez ce qu’il peut nous apporter ». A ses filles, François Debré a apporté le goût de la liberté, du non-conformisme et, en dépit de tout, un amour paternel sans conditions.

Reproduit avec l’aimable autorisation de la direction.

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