Dossier thématique : « De Gaulle et l’Allemagne »

Document : allocution devant les officiers de l’École de guerre allemande, Hambourg, 7 septembre 1962

Mon premier mot sera pour vous dire que je me fais un honneur et un plaisir de vous voir. Entre soldats – que nous sommes – il y a de tous temps, en dépit des frontières et quelles qu’aient été les blessures, un grand et noble domaine commun. Cela est vrai du point de vue de la technique militaire. Mais cela est vrai surtout moralement parlant. Car toujours et où que ce soit, le service sous les armes ne peut aller sans une vertu, au sens latin du mot « virtus », qui distingue et élève les hommes et qui, lors même qu’ils se sont combattus, les marque tous d’une seule et même empreinte. C’est pourquoi et de toute façon, le Général de Gaulle aurait bien volontiers rendu visite aux bons officiers que vous êtes.

 Mais il apprécie d’autant plus la rencontre, qu’elle a lieu en un temps où, entre l’Allemagne et la France et, par là même, entre leurs armées, les rapports historiques changent du tout au tout. Après des guerres sans cesse renouvelées, notamment depuis deux cents ans, guerres dans lesquelles chacun des deux peuples visait à dominer l’autre et où tous deux ont prodigué une somme immense de courage, de sang, de richesses, sans même, qu’en fin de compte, la limite entre leurs territoires en ait été sensiblement modifiée, voici qu’ils ont pris conscience de l’absurdité du duel. Voici aussi que se dresse une colossale menace mondiale et que l’alliance atlantique qui s’est formée pour la contenir ne vaut que si les Français et les Allemands sont d’accord sur les deux rives du Rhin.

 Voici, enfin, que le mouvement général du monde leur fait voir qu’ils se trouvent, à tous égards, complémentaires et qu’en conjuguant ce qu’ils sont, ce qu’ils ont et ce qu’ils valent, ils peuvent constituer la base d’une Europe, dont la prospérité, la puissance, le prestige, égaleraient ceux de qui que ce soit. Mais, dans cette union franco-allemande que tout nous commande d’édifier, pour combien peut et doit compter la solidarité de nos armes !

 C’est le fait des Français et c’est le fait des Allemands qu’ils n’ont jamais rien accompli de grand, au point de vue national ou au point de vue international, sans que, chez les uns et chez les autres, la chose militaire y ait éminemment participé. En raison de notre nature propre aussi bien que du commun danger, la coopération organique de nos armées en vue d’une seule et même défense est donc essentielle à l’union de nos deux pays. Après tout, comme l’écrivait votre Zuckmayer : « War es gestern unsere Pflicht Feinde zu sein, Ist es heute unser Recht Brüder zu werden. » D’ailleurs, si les soldats allemands et les soldats français y sont désormais déterminés par les impératifs de leur sécurité nationale et par l’estime réciproque qu’ils se portent, d’autre part et comme tout se tient, les nécessités modernes de la force et de l’art militaire ne manquent pas de les y pousser. L’armement, dans sa conception et dans sa réalisation, exige maintenant, pour être valable- qui ne le sait mieux que vous ?- la mise en ceuvre de ressources et de capacités, scientifiques, techniques, industrielles, financières, dont les limites s’élargissent tous les jours.

 La France et l’Allemagne pourront d’autant mieux s’assurer des moyens de la puissance qu’elles conjugueront leurs possibilités. À fortiori sera-ce vrai, si celles de leurs voisins d’Europe s’associent avec les leurs. Je me félicite, Messieurs, d’avoir pu prendre contact avec vous, d’avoir livré quelque matière à vos réflexions, surtout d’avoir marqué ici, comment et pourquoi, en vertu d’une extraordinaire révolution, la raison et le sentiment engagent désormais la France, l’Allemagne et leurs armées dans la voie de l’union et de l’amitié. Messieurs, j’ai l’honneur de vous saluer.

 

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