Dossier thématique : « De Gaulle et l’Allemagne »

Document : réponse au toast prononcé par le président Heinrich Luebke, 4 septembre 1962

Le Général de Général prend la parole lors d’une réception offerte en son honneur par le Président de la République fédérale d’Allemagne au château de Brühl.

 Monsieur le Président de la République fédérale d’Allemagne,

Que l’Allemagne reçoive officiellement le Chef de l’État français, qu’elle l’accueille avec la cordialité que vos paroles viennent si noblement d’exprimer, que votre hôte soit cet homme même qui a l’honneur de vous répondre, que de telles cérémonies succèdent ici à celles qui, en France, ont eu lieu lors de votre propre et émouvante visite, puis à l’occasion de l’inoubliable voyage du Chancelier fédéral, voilà qui marque notre temps d’une empreinte vraiment extraordinaire. Car le rapprochement amical de nos deux pays est sans conteste l’un des événements les plus importants et éclatants de tous ceux que l’Europe et le monde ont vécus au long des siècles. D’autant plus que cette union, vers laquelle tendent l’Allemagne et la France, c’est afin d’agir ensemble que toutes deux commencent à la bâtir.

 Dans les bons rapports mutuels que pratiquent nos gouvernements, des sceptiques pourraient voir simplement cette sorte d’abandon qui, au terme de leur combat, fait s’appuyer l’un sur l’autre des lutteurs chancelants et épuisés. Et, certes, il est bien vrai que Français et Allemands, ayant renoncé- et pour cause !- à leurs luttes stériles et ruineuses, s’aperçoivent maintenant de ce qui les fait se ressembler. Mais, si nous avons relégué nos querelles et nos fureurs, ce n’est pas pour nous assoupir !

 Au contraire, de cette réconciliation, il s’agit que nous fassions une source commune de force, d’influence et d’action. L’union, pourquoi ? L’union, d’abord, parce que nous sommes ensemble et directement menacés. Devant l’ambition dominatrice des Soviets, la France sait quel péril immédiat courraient son corps et son âme, si, en avant d’elle, l’Allemagne venait à fléchir, et l’Allemagne n’ignore pas que son destin serait scellé si, derrière elle, la France cessait de la soutenir. L’union, ensuite, pour cette raison que l’alliance du monde libre, autrement dit l’engagement réciproque de l’Europe et de l’Amérique, ne peut conserver à la longue son assurance et sa solidité que s’il existe sur l’ancien continent un môle de puissance et de prospérité du même ordre que celui que les États-Unis constituent dans le Nouveau Monde. Or, un tel môle ne saurait avoir d’autre base que la solidarité de nos deux pays. L’union, encore, dans la perspective d’une détente, puis d’une compréhension internationales, qui permettraient à toute l’Europe, dès lors qu’auraient cessé à l’Est les ambitions dominatrices d’une idéologie périmée, d’établir son équilibre, sa paix, son développement, de l’Atlantique à l’Oural, à l’impérative condition que soit pratiquée une vivante et forte communauté européenne à l’Ouest, c’est-à-dire essentiellement une seule et même politique franco-allemande. L’union, enfin, je serais même tenté de dire surtout, à cause de l’immense tâche de progrès, scientifique, technique, économique, social, culturel, qui s’impose au monde entier et pour laquelle la conjonction des valeurs de l’Europe, en premier lieu de celles de l’Allemagne et de la France, peut et doit être l’élément majeur de a réussite humaine.

Mais comment faire pour que notre union, sortant du domaine des souhaits, entre dans celui de l’action, autrement dit de la politique ? En vérité, la voie est tracée. Parmi les six États d’Europe : Allemagne, France, Italie, Hollande, Belgique, Luxembourg, que leur voisinage immédiat, leur mode de vie analogue, leurs ressources complémentaires, leur sourde conscience d’un destin désormais semblable, ont déterminés déjà à constituer entre eux une communauté économique, tout est maintenant formulé et proposé pour qu’ils organisent leur coopération politique. Sans doute, quelques théories et préjugés du dedans, se combinant avec certaines influences du dehors, ont-ils pu, momentanément, tenir la conclusion en suspens. Mais l’Allemagne et la France, d’accord sur le principe et sur les modalités de cette construction capitale, ont toutes raisons, quant à elles, de resserrer sans tarder, leur propre solidarité. En le faisant, elles peuvent être assurées de bien servir l’Europe et la liberté du monde. Monsieur le Président, je vous remercie ! Je remercie en votre personne l’homme d’État qui préside au destin de l’Allemagne fédérale avec la plus haute sagesse et une éminente dignité et qui a prononcé tout à l’heure des paroles que nous n’oublierons jamais. Je remercie respectueusement Madame Luebke, si aimable et si bienveillante, pour l’accueil excellent qu’elle nous fait ici, à ma femme et à moi-même, ainsi qu’à ceux et à celles qui nous accompagnent. Je lève mon verre en l’honneur de l’Allemagne, amie et alliée de la France.

 

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