En écrivant « Demain la France », sous-titré « Tombeaux de Mauriac, Michelet, de Gaulle », Xavier Patier s’inscrit dans une grande tradition littéraire, qui va de l’Antiquité à la Renaissance. Mais d’autres écrivains gaullistes l’ont précédé plus près de nous dans cette voie : à commencer par Pierre-Jean Jouve, auteur, après Mallarmé, d’un « Tombeau pour Baudelaire » ou Francis Ponge, avec son « Pour un Malherbe » …

Bien qu’il ait toujours l’air d’« un adolescent d’autrefois », Xavier Patier alterne avec bonheur, depuis longtemps déjà, essais et romans dans une veine proche, pour ceux-ci, de Mauriac et Bernanos. Il nous donne cette fois à lire un essai très inspiré où, pour saluer la France de demain – qu’il n’est pas seul à appeler de ses vœux –, il revisite les trois vertus théologales, incarnées respectivement par Edmond Michelet, son grand-père, à qui il consacre des lignes particulièrement touchantes, François Mauriac et Charles de Gaulle…

Xavier Patier baigne en effet dans une sorte d’éternelle jeunesse, fortement teintée d’esprit d’enfance. Mais il est aussi un homme d’action, depuis toujours voué au service public. Son essai est tout entier nourri de cette riche dualité.

En cette année 2020, qui était celle du triple anniversaire, à quelques semaines d’intervalle, de la disparition, en 1970, de François Mauriac, d’Edmond Michelet qui prononça pour lui, devant le dôme de l’Institut de France, l’hommage de la nation, à quelques jours de sa propre disparition, et de Charles de Gaulle, Patier choisit de lier ces trois grandes figures en une même gerbe, en associant à chacune d’elles une vertu théologale : à Mauriac, la foi, à de Gaulle, l’espérance, à Michelet, la charité. Mais il se trouve que ce Michelet, qui appela à résister dès le 17 juin 1940 en se plaçant à Brive-la-Gaillarde sous le patronage de Péguy, avant d’être déporté à Dachau, puis de devenir, en 1944 et sous la Vème République, le ministre du général de Gaulle, est aussi son grand père. On ne s’étonnera donc pas que ce soit à lui, dont le procès en béatification est en cours à Rome, qu’il consacre les pages les plus émouvantes, parce que les plus personnelles, de ce beau livre.

Ainsi, écrit-il : « Il était la seule grande personne qui n’attendait pas pour m’aimer que je sois meilleur que je n’étais. Il m’avait initié à la politique, dont j’avais retenu qu’elle se résumait à une chose simple et difficile : l’art d’aimer la France et d’être digne du général de Gaulle. Il m’avait dit aussi qu’il ne fallait rien préférer à Jésus et toujours garder un pied à la campagne » … Merveilleux viatique ! L’auteur d’« Horace à la campagne », autre bel essai de Xavier Patier, ne l’oubliera jamais.

A ces accents-là, son livre devient aussi une sorte de « Ce que je crois ». Lorsqu’il cite d’ailleurs l’admirable « Ce que je crois » – livre vingt fois relu – de Mauriac, c’est pour ajouter : « La foi, sa foi, est notre capacité à nous laisser aimer tels que nous sommes, abstraction faite de toute catégorie ».

Ce livre original est en effet à la fois le tombeau de trois hommes illustres, un essai pénétrant et vigoureux sur la nécessaire reconstruction de la France et de la politique à partir des vertus théologales et, plus discrètement, une sorte de « Ce que je crois » de l’auteur, dont la personnalité affleure, pour la première fois sans doute de manière aussi nette dans un de ses livres, à certaines pages en particulier, lorsqu’il évoque, en contrepoint de l’évolution d’une génération, sa propre adolescence.

Beaucoup, j’en suis sûr, se retrouveront ainsi dans le souvenir de ces années 70, où l’Eglise catholique nous donnait parfois l’impression de perdre sa propre boussole multiséculaire, lorsque la beauté désertait la liturgie en même temps que le sens du recueillement se réduisait comme peau de chagrin.

Et pourtant, comme l’ajoute Xavier Patier, avec ici des accents mauriaciens, « le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui, pour les garçons de mon espèce, était aussi le Dieu de Blaise Pascal, de Charles Péguy et de François Mauriac, il aurait été fou pour nous de le quitter au premier coup de vent, quand tant de génies l’avaient suivi jusqu’au bout ».

Derrière son analyse de la triple déconstruction, de la foi, de l’espérance et de la charité, une angoisse étreint le lecteur : sur quoi désormais pouvons-nous encore construire une solide assise, celle où l’action publique est indissociable de la dimension spirituelle de la vie et d’une vision anthropologique ?

On aborde donc plein de cette attente le dernier chapitre, au titre explicite « Vivre sa foi dans un monde qui l’a perdue ».

La force de cet essai est là : ce qui manque cruellement à la politique aujourd’hui pour susciter en profondeur élan et adhésion, c’est la part de mystique, sans laquelle elle se réduit à un choc des ambitions et des intérêts, Péguy l’a dit une fois pour toutes.

Et, comme son titre l’indique, c’est en se tournant résolument vers l’avenir que Patier a l’audace – si raisonnable, en dépit des apparences du moment… – de nous proposer de restaurer la place des vertus théologales pour nourrir notre vie collective du souffle qui lui fait défaut, du fait de l’immense entreprise déconstructrice et nihiliste à l’œuvre depuis si longtemps et dont on constate jour après jour les fruits amers.

La question se pose évidemment de la réception d’un tel livre dans une France sécularisée, qui renoue volontiers, sous prétexte de défendre la laïcité, avec le laïcisme qui en est la caricature et marquée du sceau de la diversité religieuse et culturelle.

À ceux qui se laissent enfermer dans les apparences de l’instant, l’entreprise paraîtra folle. S’en trouvera-t-il assez parmi les autres pour être « le sel de la terre » en étant aussi celui de la France ?

En lisant ce livre, original et puissant, on se plaît à l’espérer parce qu’on se plaît à le croire. Plus nombreux sont, me semble-t-il, chaque jour ceux qui, tels Régis Debray ou Alain Finkielkraut, sont convaincus par exemple qu’il n’y a pas de défense de la laïcité sans le sens du sacré, religieux ou non. Ce bel essai sonne, en ce début d’année, lourd de tant d’interrogations et d’angoisses, comme un message d’espérance.

Un magnifique témoignage à la fois personnel et générationnel et un message d’espérance, cette « petite fille » dont notre pays et nos concitoyens ont tant besoin.

Que vous croyiez au ciel ou que vous n’y croyiez pas, lisez-le et faites-le lire autour de vous !

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