Premier prix : Liz Eschbach pour « Fil d’enfer » du lycée Paul Vincensini à Bastia
Titre : « Fil d’enfer ».
Centre de mise à mort d’Auschwitz-Birkenau – Pologne. Auschwitz I, fil barbelé situé avant la seule chambre à gaz qui reste.
Explication historique et commentaire personnel :
« Cette photographie a été prise avec un téléphone Samsung S20 au camp d’Auschwitz 1 juste avant l’entrée de la seule chambre à gaz qui soit encore visible sur le site.
À première vue, ce n’est qu’un fragment de fil barbelé. Un bout de fer, tordu, rouillé, rongé par les années. Mais quand je l’ai vu, il m’a interpellée. Littéralement. Il y avait dans cette matière inerte quelque chose de vivant. Une mémoire. Une douleur. Une présence.
Je n’ai pas cadré les murs. Ni les bâtiments. Ni même les noms. J’ai voulu fixer ce fil, car il dit à lui seul ce que des pages d’histoire ne parviennent pas toujours à transmettre : la violence du silence, l’écho d’une souffrance, l’ombre d’une absence.
L’arrière-plan est flou, volontairement. Parce que ce qui s’est passé ici ne peut plus être vu clairement. Parce que les visages se sont effacés, les voix se sont tues, les pas ont disparu. Ce qui reste, c’est ce fil. Tendu, dur, tranchant. Comme une cicatrice sur le monde.
Il n’enferme plus personne, ce fil. Et pourtant, il emprisonne encore nos pensées. Il rappelle. Il dérange. Il oblige à regarder en face ce qu’on préférerait oublier.
J’ai pris cette photo avec les mains tremblantes, le coeur serré. Parce qu’on ne peut pas se tenir là, devant un tel vestige, sans ressentir. Sans être traversé. C’est plus qu’un objet : c’est un cri muet, un témoin de ce que l’humanité a pu faire à l’humanité.
À travers ce cliché, je ne veux pas montrer l’horreur brute. Je veux montrer ce qu’il en reste. Ce qui continue de vivre quand tout s’est arrêté. Un détail. Un fil. Mais chargé de l’essentiel : la mémoire, et l’émotion.
Car ce fer rouillé, abandonné, nous dit encore quelque chose. Il dit : Souviens-toi. Ne détourne pas les yeux. N’oublie pas. »
2e prix : Younès Lamachi pour « La Résistance n’est pas confinée aux musées » du lycée Saint-Joseph à Montluçon
Titre : « La résistance n’est pas confinée aux musées. Montluçon ».
Explication historique et commentaire personnel :
« Sur les pavés de la gare de Montluçon, des fragments de miroir brisés surgissent. Ils semblent anodins, presque dérisoires, mais c’est précisément dans cette banalité que réside la force des résistants montluçonnais.
Ces éclats reflètent à la fois le monument érigé en 1983 par Yves Girardeau, rappelant la grande manifestation du 6 janvier 1943, lorsque 2 000 à 3 000 Montluçonnais, surtout des femmes, s’opposèrent à l’envoi d’un train de requis pour le travail en Allemagne nazie et l’espace ferroviaire historique de la gare, autrefois coeur industriel battant. Un lieu ordinaire, aujourd’hui presque désert, où pourtant l’Histoire s’est écrite.
Le miroir est brisé : symbole de mémoire fragmentée, de récits morcelés que l’on tente de reconstituer, morceau par morceau, souvent à partir d’images déformées ou partielles. Chaque éclat offre un angle, une perspective, un fragment de ce passé. Comme la gare de Montluçon, inaugurée en 1859, modeste, transitoire, mais pivot de vies et d’engagements.
Le monument est discret, presque caché, et pourtant il raconte l’audace de ceux qui résistèrent, de ces cheminots, femmes, ouvriers qui refusèrent de céder au silence.
L’angle au ras du sol demande qu’on se penche pour se placer au plus près comme pour recueillir ce fragment de geste, ce fragment d’âme. Il ne s’agit pas d’un lieu sacré, ni d’un mémorial imposant, mais d’un trottoir ordinaire. Et c’est précisément cette proximité avec le quotidien qui rend l’image plus forte : la Résistance n’est pas confinée aux musées : elle résonne, ici et maintenant.
Ainsi, un simple éclat de verre renoue le fil entre passé et présent, entre mémoire collective et intime curiosité. Il nous oblige à voir, à réfléchir, à ne pas oublier. Et à témoigner, par le modeste, de la grandeur d’un combat fragmenté, mais intact. »
3e prix ex-aequo : Angelina Le Breton de l’ensemble scolaire Jean XXIII à Montigny-les-Metz pour « L’histoire sous nos pieds, le silence des Stolpersteine »
Titre : « L’histoire sous nos pieds, le silence des Stolpersteine ».
Stolpersteine à l’hommage de Charles Delestraint, faite rue de Londres à Montigny-les-Metz.
Explication historique et commentaire personnel :
« Comment pouvons-nous passer à côté des traces du passé sans nous interroger sur l’importance de leur héritage, et sur le prix de la liberté que d’autres ont payé à notre place ?
Cette plaque rend hommage au général Charles Delestraint, résistant de la première heure, arrêté par la Gestapo, déporté, puis exécuté d’une balle dans la nuque par un officier SS derrière les crématoires du camp de Dachau, quelques jours avant la fin de la guerre. Il ne verra pas la victoire. Et pourtant, c’est grâce à des hommes comme lui que la France s’est relevée.
Dès 1942, Jean Moulin, sous l’autorité du général de Gaulle, s’appuie sur Delestraint pour unifier les mouvements de Résistance. Ce dernier devient chef de l’Armée Secrète, au péril de sa vie.
Ces mémoires sont des récits silencieux gravés dans la pierre, au coin d’une rue, sur un mur d’école, dans l’indifférence parfois. Elles ne doivent pas sombrer dans l’oubli.
Cette photo m’a profondément touchée. À l’occasion des 80 ans de la Libération de Montigny-lès-Metz, la ville de mon lycée, nous avons participé à une déambulation mémorielle accompagnée de nos professeurs, le vendredi 22 novembre 2024.
C’est après avoir nettoyé cette plaque, oubliée par le temps, que j’ai capturé ce moment. En déposant une rose blanche au pied de la stèle, mêlée aux feuillages et à la lumière du matin, j’ai ressenti un profond sentiment de gratitude. Gratitude envers ces hommes et ces femmes dont les noms jalonnent nos rues, et qui ont tout sacrifié pour que nous puissions marcher libres.
Avant ce jour, j’ignorais l’histoire de Charles Delestraint, comme celle de tant d’autres. Je ne pensais pas que tant d’Histoire se cachait sur le chemin que j’emprunte chaque matin pour aller au lycée.
Depuis, je marche autrement : avec respect, avec mémoire, et avec reconnaissance. »
3e prix ex-aequo : Alice Marocco du lycée Saint-Louis à Gignac-la-Nerthe pour « Les rails du silence ».
Titre : « Les rails du silence ».
Photographie prise à Auschwitz-Birkenau,ancien centre de mise à mort situé en Pologne.
Explication historique et commentaire personnel :
« Sur ces rails figés dans la nuit,
Ombre d’acier sous ciel de cendre,
Des pas tremblants, des cris enfouis,
Résonnent encore dans l’attendre.
Ils arrivaient par mille et cent,
Egarés dans l’horreur sans nom,
Le ventre creux, l’esprit absent,
Les yeux noyés d’interrogations.
Le train s’ouvrait comme une plaie,
Un vent glacial, souffle de mort,
Emportait mères et nouveau-nés,
Tandis qu’un cri déchirait l’or.
L’or des bagues et des cheveux,
Arraché aux mains des damnés,
Témoins d’un monde silencieux,
Qui regardait sans condamner.
Et les rails, témoins de l’horreur,
Ne font qu’aller sans revenir,
Portant l’écho de leur douleur,
Dans l’infini de leur martyr.
Les cendres dansaient au matin,
Sur la peau nue des sans-destin,
Leur souffle éteint, leur nom volé,
Dans l’ombre d’un ciel mutilé.
Et toi, voyageur du présent,
Qui marches ici en retenant ton souffle,
Ecoute ce silence hurlant,
Il porte encore l’odeur du gouffre.
Ne détourne pas ton regard,
Ne laisse pas l’oubli gagner,
Car ces rails mènent quelque part,
Là où l’histoire doit témoigner. »