AVANT-PROPOS PAR MARC FOSSEUX

Secrétaire général de la Fondation Charles de Gaulle et directeur de la publication de la revue Espoir

Ce numéro d’automne de la revue Espoir est consacré au 60e anniversaire de la Constitution de 1958.

Il complète les contributions du très intéressant colloque organisé par le conseil scientifique les 20 et 21 septembre avec l’École nationale d’administration, l’École normale supérieure et Paris Sciences et Lettres. Pendant deux jours, une centaine de personnes ont assisté à ce colloque dont une majorité d’étudiants. L’originalité de l’approche (« les compromis implicites de la Constitution »), la qualité des intervenants, la facilité des échanges avec la salle en particulier durant les tables-rondes expliquent le succès de ces deux journées qui ont illustré la capacité de la Fondation à placer l’héritage gaulliste en perspective et à le rendre actuel. La force de nos institutions, quelles qu’aient pu être les (trop ?) nombreuses modifications dont elles ont fait l’objet en six décennies, demeure une garantie de stabilité et d’unité dans une époque où de nombreux facteurs œuvrent à la discorde nationale.

Autre événement de ces dernières semaines pour la Fondation : la visite du Président de la République à Colombey-les-Deux-Églises le 4 octobre. Le Chef de l’État a voulu, le jour même du 60e anniversaire de la Constitution, rendre hommage au fondateur de la Ve République dans ce village désormais au cœur de l’Histoire de France. Après avoir visité la Boisserie et s’être rendu sur la tombe du général de Gaulle puis au pied de la Croix de Lorraine, le Président de la République a visité le Mémorial Charles de Gaulle inauguré il y a dix ans. La Fondation peut être fière de ce Mémorial dont elle a voulu la création et qui reste aujourd’hui une référence dans le domaine du tourisme de mémoire. Il en est de même pour l’Historial Charles de Gaulle aux Invalides et de la Maison natale à Lille. Ces sites gaulliens se préparent d’ores et déjà à l’année 2020, qui sera l’année du 80e anniversaire de l’Appel du 18 Juin et du 50e anniversaire de la mort du Général.

Enfin, je crois important de vous signaler la parution le 10 octobre de l’ouvrage Enseigner de Gaulle, fruit de la collaboration de la Fondation et de l’opérateur de l’Éducation nationale Canopé. Rédigé par une équipe d’enseignants dont nos deux enseignants Diane Grillère et Frédéric Fogacci, sous la direction de l’inspecteur général Tristan Lecoq, membre du conseil scientifique, cet ouvrage, adossé à un site internet dédié hébergé par le site internet de la Fondation, montre la place que la Fondation se voit reconnaître par l’Éducation nationale. C’est une satisfaction et un encouragement à poursuivre sur la route suivie depuis plusieurs années, à savoir la mise à jour permanente de la connaissance de l’histoire gaullienne, sa diffusion, sa transmission aux plus jeunes.

Je vous souhaite une bonne lecture.

INTRODUCTION PAR JEAN-MARIE DEDEYAN 
De la critique de la IVe République à l’avènement de la Ve : le rôle de Michel Debré

Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle

Le colloque sur « Les compromis implicites de la Ve République » organisé par la Fondation Charles de Gaulle à l’occasion du 60e anniversaire de la Constitution de 1958, en collaboration avec l’ENA, l’ENS et l’Université Paris Sciences et Lettres, a réuni d’éminents universitaires et politologues, les 20 et 21 septembre dernier.

Ceux-ci ont évoqué, en quatre sessions, les enjeux, les contraintes, l’architecture et les adaptations successives du texte qui régit le fonctionnement des institutions françaises depuis maintenant six décennies.

Chacun le sait, la Constitution de la Ve République a permis à la France de tourner la page des douze ans d’instabilité qui caractérisent la IVe République.

Lorsque le général de Gaulle est revenu au pouvoir en 1958, il a immédiatement décidé de procéder à la révision de la Constitution et, dès le 31 mai, il a réuni à l’hôtel La Pérouse les représentants de différents partis disposés à le soutenir pour leur exposer les points qu’il estimait essentiel d’introduire dans la future constitution. Intervint ensuite l’investiture du Général et de son gouvernement, puis le vote de la loi du 3 juin autorisant le gouvernement à proposer au référendum populaire une nouvelle Constitution.

Dans les jours qui suivirent, le Général eut plusieurs entretiens avec le Garde des Sceaux, Michel Debré et, à partir du 12 juin, celui-ci présida, au Ministère de la Justice, les réunions du groupe de travail qu’il avait constitué avec des juristes « choisis soit en fonction de leur spécialisation dans les questions constitutionnelles, soit parce qu’ils représentaient les principaux membres du Gouvernement ».

Au fur et à mesure, les projets de rédaction des différents articles étaient soumis par Michel Debré au général de Gaulle et discutés sous la présidence de celui-ci par un comité interministériel où siégeaient, outre le Garde des Sceaux, les ministres d’Etat Louis Jacquinot , Guy Mollet,  Pierre Pflimlin, Félix Houphouet-Boigny, le ministre des Finances Antoine Pinay, le Vice-président du Conseil d’Etat, René Cassin, le Secrétaire général du Gouvernement, Roger Belin et le Directeur du Cabinet du Général, Georges Pompidou.

Le travail technique fut achevé vers le 14 juillet, examiné en Conseil des ministres qui adopta l’avant-projet, puis soumis, fin juillet, au Comité Consultatif Constitutionnel qui en discuta au cours de la première quinzaine d’août. Le secrétariat général de ce Comité était confié à Jean Mamert, conseiller d’Etat, et Jérome Solal en était l’expert juridique.

Le général de Gaulle alla répondre en personne, le 8 août, à des questions portant, notamment, sur la nomination du Premier ministre, sur les pouvoirs exceptionnels en temps de crise, sur les incompatibilités entre un mandat parlementaire et une fonction au gouvernement.

Michel Debré, pour sa part, vint répondre à de nombreuses questions sur différentes autres dispositions, par exemple sur la responsabilité du Chef de l’Etat : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, du respects des accords de Communauté et des traités ».

Ces prérogatives sont complétées par des mécanismes fondamentaux : le droit de dissolution sous la seule responsabilité du Président de la République et  le recours au référendum, sur lesquelles les discussions ont aussi porté.

Notre Constitution a donc fait l’objet d’une rédaction minutieuse dont Michel Debré fut, d’après le Général lui-même, « au premier rang des architectes », alliant compétence, efficacité et pragmatisme dans le constant souci de restaurer l’autorité de l’État et de permettre au Parlement  de légiférer et de contrôler l’action du gouvernement sans l’entraver ni la paralyser.

« Nos institutions ne sont rien, a dit à l’époque Michel Debré aux parlementaires ; et nos institutions elles-mêmes n’ont de sens que dans la mesure où elles servent l’État ».

Après avoir animé les travaux du groupe chargé de rédiger le projet de constitution proposé au général de Gaulle puis approuvé par 79,2% des Français le 28 septembre 1958, Miche Debré a été, comme Premier ministre de 1958 à 1962, le premier à en appliquer les différents articles sous l’autorité du Chef de l’État dont il avait la confiance et l’estime.

À l’occasion du 40e anniversaire de la Constitution, l’Association des Amis de Michel Debré (présidée par Pierre Messmer puis par Yves Guéna) a réuni au Sénat, le 3 octobre 1998, 2 ans après la disparition de l’ancien Premier ministre du général de Gaulle, plusieurs membres du Groupe de travail préparatoire de la Constitution de 1958, des historiens et différents membres des gouvernements de la Ve République.

Les témoignages de plusieurs d’entre eux, aujourd’hui pour la plupart décédés, apportent un éclairage complémentaire intéressant aux analyses et commentaires des intervenants au colloque organisé en septembre dernier par la Fondation Charles de Gaulle, dont la synthèse fera l’objet d’un livre à paraitre en fin d’année.

Il nous a donc paru utile de publier dans ce numéro de la Revue Espoir deux extraits des Actes du colloque de 1998 et de reproduire l’éditorial publié par Michel Debré lui-même dans sa « Lettre » mensuelle de novembre 1979 :

  • 1) Les dérives de la IVe République, par le professeur Roland Drago, membre de l’Institut.
  • 2) Michel Debré et la rédaction de la Constitution, par Michel Aurillac
  • 3) Les propos de Michel Debré sur « La Défense des Institutions »

Ces textes peuvent apporter une utile contribution à ceux qui s’interrogent sur l’opportunité d’une réforme constitutionnelle, aider à mieux en  définir l’objectif et à en préciser l’architecture.

Ils peuvent éclairer nos réflexions sur 60 années de pratique constitutionnelle exercée par huit présidents de la République et les deux assemblées parlementaires, aussi bien dans le cadre d’une majorité présidentielle que dans celui d’une cohabitation entre un chef de l’État et une majorité parlementaire désignée par le suffrage universel, et d’une autre tendance que le Président de la République.

Dans l’un des entretiens que j’ai eus avec Michel Debré, celui-ci a, d’ailleurs, lui-même rappelé que « Le gaullisme n’est pas la condamnation de la cohabitation. Il est dans l’ardente volonté de servir la France et, malgré les difficultés qui résultent du jeu normal des élections, de la vouloir indépendante et, si possible, unie. »

Car la République, c’est la France unie et indivisible, consciente de son destin collectif, souveraine et dotée d’institutions solides et souples, dont la légitimité repose sur la volonté populaire librement exprimée.

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