Calendrier de l’Avent 2018 : retrouvez chaque jour du mois de décembre un événement historique retraçant la vie du Général !


13 décembre 1965

Élysée : enregistrement des entretiens avec Michel Droit
Dans ce salon Murat, j’ai déjà assisté à bien des enregistrements. Jamais à un comme celui-là.

Pour la première fois de sa longue vie, le Général se fait « interviewer ». Il ne délivre pas d’en haut son message au peuple. Il passe par la médiation d’un interlocuteur. Michel droit est très à son aise. En revanche, Burin, Galichon, Pérol et moi sommes tendus. Nous sentons bien que le Général joue son va-tout. Les techniciens ont l’air moins dévots que naguère. Ce sont les mêmes qui se sont occupés des autres candidats. De gaulle n’est plus que l’un d’eux, parmi d’autres. Il est banalisé. L‘empreinte du sacré a disparu.

À mesure que l’entretien se déroule, nous avons l’impression d’une mécanique bien huilée. Le général est en forme. Au bout de trois quart d’heure, il demande à continuer. On enchaîne donc, et il va jusqu’au bout du temps dont il dispose : il enregistre trois entretiens sans avoir soufflé. Plus il avance, plus nous avons l’impression qu’il a trouvé son vrai style de communication. Pourquoi diable ne l’a-t-il pas utilisé plus tôt ? Les formules jaillissent come d’elles-mêmes (bien qu’il les ait, évidemment, peaufinées à l’avance) : Et les Français ? Eh bien ! c’est eux qui font la France. Mais la France, c’est plus que les Français du moment », « la démagogie c’est très commode, c’est vulgairement commode », « ce n’est pas la peine de raconter des histoires », « A qui le dites-vous ! ». Dans le deuxième entretien, il se laisse aller à la mimique : « On peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : « l’Europe ! », et ainsi de suite trois fois. Il est tel que nous le connaissons, tel qu’il sait nous amuser, nous séduire, nous convaincre, nous entraîner.

Sur cette longue séance d’enregistrement, il n’y a que deux raccord à faire. Le premier, parce qu’il n’a pas regardé la caméra qu’il fallait pour l’exhortation finale. L’autre est de nature politique. Il n’a pas résisté à sa tentation familière de brocarder Lecanuet et ses amis, en les comparant « aux enfants de chœur qui ont bu le vin des burettes » (il avait essayé la formule devant moi quelques jours plus tôt).

AP : « Il faut séduire les 15% de voix Lecanuet. Votre quolibet va les froisser ».
Burin des Roziers m’appuie fortement, Galichon et Pérol approuvent. Le Général accepte de se censurer.

Alan Peyrefitte, C’était de Gaulle – Tome 2, Fayard, p. 610

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