Compte-rendu du nouvel ouvrage De Gaulle et les Grands (Perrin, 2020) d’Éric Branca

par Marc Fosseux,
Président des Amis de la Fondation Charles de Gaulle

Avec son nouveau livre De Gaulle et les grands, Éric Branca, dont on se rappelle L’Ami américain publié en 2017, nous offre cette fois une saisissante galerie de portraits : celle des plus grands de l’histoire de 1940 à 1970 et de leurs relations avec de Gaulle. En commençant par les Alliés, partenaires, faux amis, ennemis de la période de la Seconde guerre mondiale (Churchill, Roosevelt, Hitler, Staline) aux héros des États nés de la retraite des puissances coloniales (Ben Gourion, Nasser, Houphouët-Boigny) ou appelés à revenir sur le devant de la scène (Mao), en passant par les leaders occidentaux de la période de l’affrontement des deux blocs (Adenauer, Kennedy, Nixon), il nous décrit des personnalités, des rencontres, des échanges écrits ou verbaux qui nous projettent d’emblée dans les hauteurs de l’Histoire, dont les petites mesquineries ne sont pas absentes non plus. Avec son écriture précise et pleine de vie, sans nous assommer de notes et de références, il nous livre les fruits d’un travail extrêmement rigoureux de recherche dans les archives de grandes institutions, et nous donne ainsi des preuves incontestables sur les opinions – souvent voire toujours erronées – et sur des projets montés pour nuire à de Gaulle. On en sort abasourdis. On découvre par exemple avec stupéfaction que de Gaulle a tout de suite compris qui étaient les véritables responsables de l’assassinat du président Kennedy et quels étaient leurs ressorts. De même qu’il nous décortique les manœuvres tortueuses des Américains pour vider de sa substance le traité de l’Élysée signé avec Adenauer et en profiter pour pousser ce dernier sans trop de ménagement vers la sortie. Trois des personnalités évoquées nous sont moins connues. Le Pape Jean XXIII d’abord, qui dut son élection au trône de Saint-Pierre en partie à l’action diplomatique habile de de Gaulle et de son ambassadeur au Saint-Siège. De Gaulle le catholique et le Bon Pape Jean vont s’employer avec tact et sens de l’Histoire à rapprocher la République et l’Église sur de nombreux points intérieurs et à conjuguer leurs efforts à l’extérieur. La présence de Tito dans cette série de portraits peut surprendre, car de Gaulle ne l’a jamais rencontré. Ou, pour être plus précis, n’a jamais voulu le rencontrer, en dépit de l’insistance du dictateur yougoslave. C’est un des rares cas où de Gaulle a fait prévaloir ses propres sentiments sur la raison d’État. De Gaulle n’a jamais pardonné à Tito son usurpation durant la guerre ni l’assassinat du général Mihailovic, le « de Gaulle yougoslave ». Enfin Franco, qu’il alla rencontrer en juin 1970. Si cette rencontre suscita l’incompréhension y compris chez Malraux, elle s’inscrit, comme toujours chez de Gaulle, dans l’Histoire : il s’agit pour lui de reconnaître, d’une part, la dette que les Alliés doivent à Franco pour avoir refusé de devenir l’allié de Hitler, d’autre part, sa politique étrangère originale, enfin la vocation européenne de l’Espagne.

Sous la plume d’Éric Branca, tous ces grands de l’Histoire revivent. A commencer par de Gaulle. Lui qui n’est rien au départ, qui s’est imposé seul, qui n’est la créature de personne, qui n’est soutenu par aucune puissance, qui est même plus ou moins sournoisement la cible obsessionnelle de Roosevelt et par ricochet de Churchill, il se place d’emblée au niveau de tous ces grands, comme si tout cela lui était naturel, comme s’il était destiné depuis toujours à s’asseoir à la même table qu’eux. La grandeur n’est pas affectée, n’est pas mimée plus ou moins maladroitement. Elle est sa nature, sa compagne. Prédestiné, de Gaulle l’était bien en fait. Et il le savait dès sa jeunesse. En nous retraçant ces rencontres au sommet, Éric Branca met le doigt sur « l’intelligence de l’Histoire » de Charles de Gaulle.

Marc Fosseux

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