Claude Baylé, Prisonnier au camp 113. (éditions Perrin, 1993)

par Nathalie de Baudry d’Asson

« Et ton nom paraîtra dans la race future aux plus cruels tyrans une cruelle injure », Racine

Claude Baylé, né en 1930, engagé en 1948, sergent au troisième bataillon du 1er régiment de tirailleurs Marocains, est fait prisonnier en 1952 près d’Hanoï. Employé tout d’abord au transport du riz, il rejoint la « brigade des routiers », composée d’une quarantaine de membres, avant d’être, avec ses compagnons, envoyé après une longue marche, au camp 113 afin qu’ils soient « rééduqués politiquement ». Ce camp Vietminh se révèle être un mouroir : privations, humiliations, maladies se conjuguent à un effarant « lavage de cerveau » pour transformer les « valets du colonialisme et du capitalisme en combattants de la paix ».  Baylé découvre un enfer sans rédemption. A la grande dureté Vietminh, s’ajoute la découverte du personnage clé, le Commissaire politique adjoint, Georges Boudarel. Traitre, déserteur, Boudarel est un criminel violent, absolu qui ne tue pas lui-même. Il aime, il chérit la mort lente des esprits et des corps. Au nom d’un communisme exalté, il s’attache à diviser, à séparer les amitiés de ses compatriotes, à vaincre leur volonté par un savant et calculé cocktail d’épuisement physique, de sous-nutrition et d’endoctrinement. Chaque jour, dans un amphithéâtre de fortune, il rassemble les valides et les mourants pour un verbiage construit, narcissique et délirant visant à la délation, à l’autocritique, à la négation de l’administration politique et militaire françaises. Maniant avec vigueur le bâton, il maintient haut la carotte de la liberté promise par l’oncle Hô, pour les soldats méritants et qui auront bien sûr épousé la cause et renié publiquement et par écrit leurs liens avec leur hiérarchie et avec la France. Boudarel élit ses proies, pariant sur l’effondrement de la volonté. Le destin de ces hommes, décrit sans pathos par Baylé est terrible : tortures, maltraitances, faim et soif omniprésentes, travaux éreintants les transforment à brève échéance.  Très vite, béribéri, paludisme, dysenterie et autres maux les mènent à « l’infirmerie », dépotoir ante mortem avant d’être enfouis dans la jungle dans l’oubli. Boudarel, présenté par l’auteur comme absent à lui-même, opiomane, subissant aussi des crises de palu est absent à toute considération humaine, toute commisération tant que la proie choisie ne se convertisse. Intelligent et calculateur, il sait jouer sur les harmoniques sombres de l’âme humaine, la veulerie, la jalousie, la peur.

Écrit en 1971, Baylé ayant été libéré en décembre 1953, ce récit est un document passionnant qui n’a pu trouver d’éditeur. Il surgit en 1991 dans les feux de l’affaire Boudarel.

Cette « affaire » qui fit grand bruit se concentre autour d’une simple question : Comment cet homme, condamné à mort par contumace, criminel de guerre a- t-il pu retrouver en France dès 1966 un confortable poste de Maître de conférences à l’Université Paris VII ainsi qu’un poste de chercheur au CNRS ? Le 13 février 1991, lors d’un colloque organisé au Sénat, Boudarel est interpellé abruptement par Jean-Jacques Beucler, ancien Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants et lui-même ancien combattant et prisonnier en Indochine. Des témoignages sont déposés par la suite contre lui par l’Association nationale des anciens prisonniers et internés d’Indochine ainsi que par Wladyslaw Sobanski, rare survivant du camp 113 pour une demande d’inculpation pour crimes contre l’humanité. Boudarel, certes, a pu bénéficier de l’amnistie de 1966 mais il a surtout été littéralement protégé par une quarantaine d’universitaires communistes ou affiliés qui ont su très habilement laisser entrevoir combien il serait délicat d’ouvrir les plaies non cicatrisées de cette guerre. Les plaintes sont rejetées. Boudarel décide, malgré l’arrêt des poursuites de maintenir sa propre plainte en diffamation qu’il avait auparavant déposée. Plusieurs jugements en 1998,1999, 2000 et 2003 mèneront à l’extinction du procès.

De ce camp ignoble (selon les sources 70 à 80% de mortalité), il reste ce récit qui se veut aussi un hommage à la mémoire de ces hommes qui, rentrant en France, durent subir suspicion, interrogatoires, insultes après tant de souffrance.

Nathalie de Baudry d’Asson

X