GÉNÉRATION NANTERRE1968 ? Non !

par Richard Stein

Richard Stein, historien de formation, membre de la Convention de la Fondation Charles de Gaulle nous raconte son cheminement politique

Génération 1968, voilà bien une expression qui a toujours eu, au plus haut point, l’heur de m’exaspérer, comme lorsque les amis de mes parents me demandaient : « mais enfin que voulez-vous, vous les jeunes ? »
Je crois n’avoir jamais été autant humilié que l’on puisse me croire une affinité quelconque avec ces gauchistes de tout poil dont toutes les actions et pensées m’étaient étrangères.

Entré à Nanterre, département d’histoire en 1967, il faut dire que pour un jeune bachelier pétri de culture classique, le choc fut saisissant.

Loin des ors de La Sorbonne et même de la bonne tenue feutrée des lycées parisiens, on se retrouvait dans un campus en devenir, avec une gare SNCF (nommée La Folie, tout un programme) provisoire, entre un casernement de gendarmes mobiles et un des derniers bidonvilles de l’agglomération parisienne.
Tout ceci ne prédisposera pas à un attachement à ce lieu ni à cette institution lorsque commencèrent les « événements de 1968 ». Il faut bien reconnaître, en outre, que l’inconscience des 18 ans conduisit nombre d’entre nous à voir dans un premier temps ce qu’il se passait avec un certain amusement, à se laisser aller à une plus ou moins lâche fatalité. Surtout pour ceux qui, comme moi, n’avaient pas d’engagement politique.  

Il nous paraissait clair que le retour en France du Général de Gaulle allait rétablir les choses dans leur ordre naturel. Cependant l’étalement de la tâche d’huile allant jusqu’à l’arrêt du pays provoquait, chez ceux qui n’adhéraient pas, à la haine de notre pays, de son mode de gouvernement, du fonctionnement et des valeurs de notre société, une stupéfaction que nous n’aurions pas imaginée.

L’heure n’était alors plus à la légèreté et un réflexe en quelque sorte de survie pour ce à quoi l’on croyait, lié pour partie à une certaine peur sur l’issue de toutes ces chimères  (facile à imaginer pour un historien), nous conduisirent sur les Champs-Elysées après le discours du Général.

Les élections triomphales (auxquelles trop jeunes,nous ne participions pas) devaient, dans un premier temps, sauver la démocratie et nous semblaient devoir refermer la parenthèse. Grande fut notre désillusion !
Car autant certains avaient vécu les « événements » en spectateurs, autant nous allions être confrontés directement à partir de la rentrée universitaire à l’effondrement moral et à la dictature de la pensée (imposée parfois physiquement).
À partir de ce qui restait de la corpo lettres, un certain nombre d’étudiants ayant comme moi un « fond de sauce » doctrinal (pour reprendre l’expression chère à Denis Tillinac) catho, de droite, favorable aux institutions,  se réunissaient au sein d’une association : le Comité de Liaison des Étudiants de Nanterre (C.L.E.N).

L’objectif était d’établir un pôle de résistance, de rassembler ce que l’on appelait les « modérés » à travers des actions de corporatisme étudiant et la participation aux élections. L’administration nous attribua un petit local dans le coin le plus reculé de la fac (ce qui nous convenait assez bien lors des grandes tensions).

Il y avait là un spectre large d’adhérents partant de certains sociaux-démocrates, des centristes, des gaullistes et toutes les nuances de royalistes (qui contribuèrent à donner à notre groupe un fond idéologique finalement assez gaullien relativement à l’idée que nous nous faisions de notre pays) ainsi que des éléments d’extrême-droite.

Les sentiments dominants au cours des années qui suivirent furent la consternation devant l’état de l’université, et la stupéfaction devant l’égoïsme ou la lâcheté de nos interlocuteurs. La majorité des autorités universitaires se couchaient devant la pensée dominante (seuls quelques professeurs adhéraient à notre démarche) les politiques du secteur nous refusaient toute aide (un seul maire du département accepta de nous prêter assistance. Lorsqu’il devint député RPR j’eus l’occasion de l’en remercier) et même les militants de la corpo droit de Nanterre qui se pensaient dans un fief inexpugnable nous regardaient de haut. Les années furent de ce point de vue de grands moments de solitude…

Il devint évident, aux yeux d’un certain nombre d’entre nous, que la seule « pierre d’angle » (au sens biblique du terme) qui restait dans ce désert était la personnalité et l’action du Général.

L’approfondissement de la culture historique et l’observation de la vie politique poussaient, pour moi et des amis qui n’étaient pas « adhérents » en 1968, à considérer que la meilleure option possible pour notre pays et notre société était le gaullisme. Pour reprendre une citation célèbre du Général « le sentiment m’y poussait autant que la raison ».

La nécessité d’un engagement personnel ne me vint qu’avec l’élection de François Mitterrand. Après les actes qui peuvent s’apparenter à une forme de résistance que furent le C.L.E.N., une proximité avec des amis de l’U.J.P. vint avec Jacques Chirac l’évidence d’un engagement total dans le combat pour la France.

Ceci se concrétisa à titre personnel lorsque Madame Hélène Missoffe accepta de me prendre à son cabinet au Conseil Régional. Grâce à elle j’ai pu participer au niveau local et à titre professionnel à tous ses combats politiques jusqu’aux élections de Jacques Chirac. Bien sûr nous ne connûmes pas que des succès, mais rétrospectivement j’ai le sentiment d’avoir été fidèle à nos engagements de 1968 et d’avoir apporté ma petite pierre à ces deux grands succès.  

X