Un marin « libre » disparaît.

Le vice-amiral d’escadre Emile Jean Chaline est mort

par l’amiral (2S) Edouard Guillaud et le capitaine de vaisseau (CR) Tristan Lecoq 

A l’heure où la France essaye de commémorer un printemps de chaos, celui de 1940, une grande figure des Forces navales françaises libres (FNFL) vient de disparaître. Jeune acteur d’une tragédie et parmi les derniers témoins d’une période qui appartient désormais à l’histoire, Emile Chaline, né à Brest le 22 février 1922 se destinait à devenir officier de marine en préparant l’Ecole navale. Dans la débâcle provoquée par l’avance inexorable des troupes allemandes, le « flottard » embarque dès le 18 juin 1940 pour l’Angleterre à bord du paquebot Meknès et débarque à Southampton le 21 juin. Il racontait lui-même avoir retrouvé des camarades arrivés peu avant lui et qui disaient « … il a pris le temps de la réflexion » !

Dans les jours qui suivirent la signature de l’armistice de Rethondes le 22 juin et la fin des combats le 25 juin, beaucoup de marins et soldats réfugiés sur le sol britannique firent le choix de rentrer en France. Une poignée d’entre eux décida de rester après l’Appel du 18 juin du Général de Gaulle. Le 1er juillet, le jeune Chaline ayant tout juste 18 ans s’engagea dans les FNFL et rejoignit à Portsmouth le vieux cuirassé français Courbet, pour intégrer la formation des futurs élèves officiers français libres, complétée au Royal Naval College de Dartmouth.

Un mot, un seul, dans cette décision, éclaire le présent et l’avenir : « résistance ». Nulle connotation militaire ou politique, mais une posture morale. C’est cette posture morale qui inspire, de 1940 à 1944, De Gaulle et ceux qui le suivent, dans la France libre et dans la Résistance. C’est cette posture qui donne, par avance, la signification des années qui viennent. Moment assez rare dans l’histoire, pour qu’on y insiste.

Pour Emile Chaline comme pour une poignée d’autres, il s’agit bien de la rupture d’un destin et d’un geste de fondation qui s’apprête à bouleverser sa propre vie, marquant ainsi l’identification entre l’acte résistant, le choix de la liberté et le futur officier. Le refus de l’armistice et de la capitulation, le choix de De Gaulle, c’est le jeune Chaline qui entre dans la rébellion, dans l’indiscipline, dans la pleine conscience d’un individu qui fait le choix de cette conscience et de sa liberté face au collectif et aux corps constitués.

Dès lors, l’aspirant puis enseigne de vaisseau Chaline alterne missions et formations, participant aux escortes durant la Bataille de l’Atlantique à bord des corvettes FNFL d’origine anglaise, puis aux différents engagements dont le débarquement du 6 juin 1944 en Normandie.

A l’issue de la guerre, il participe aux opérations navales en Indochine puis va effectuer une longue carrière avec des commandements à la mer dont l’escorteur d’escadre T 53 La Bourdonnais et l’aviso escorteur Amiral Charner, tous les deux basés dans le Pacifique pour les essais nucléaires français. Au cours de sa carrière l’amiral Chaline mettra également en œuvre son énergie et sa compétence au sein de la sphère politico-militaire : il servira au cabinet militaire du Premier ministre de 1967 à 1969 puis rejoindra l’Etat-major particulier du Président de la République Georges Pompidou de 1969 à 1971. Il fut également attaché de défense au Danemark et en Norvège de 1962 à 1965, puis  attaché naval aux Etats-Unis de 1974 à 1977. Formateur dans l’âme, il sera le premier commandant du Centre d’instruction naval de Saint-Mandrier, qu’il marquera de sa personnalité forte.

Après avoir été préfet maritime à Cherbourg, il quitte le service actif le 31 décembre 1981 comme vice-amiral d’escadre, au terme de quarante et un ans très denses au service de la France. Il aura connu une Marine ayant beaucoup souffert du déchirement de 1940 et du traumatisme du sabordage de la flotte en novembre 1942. Une Marine dont le corps des officiers a été longtemps marqué par les choix individuels et collectifs faits durant le conflit. Lui avait compris que le vichysme n’était pas seulement une catégorie historique, mais aussi un virus du comportement.

A l’issue de sa carrière, l’amiral Chaline poursuivit de nombreuses activités dont la présidence des Anciens des FNFL à partir de 1988 qu’il sut piloter avec habileté pour éviter d’en faire un « cimetière marin » du type Landévennec et qu’il amena à une belle issue : sa « sublimation » le 18 juin 2010 à Londres à bord de la goélette école Etoile, l’un des trois navires avec son sister-ship, la Belle Poule et le cotre Le Mutin, encore en service après avoir appartenu aux FNFL.

Homme de caractère, figure de la France libre, il ne cessait de faire partager son engagement, ses missions, sa volonté aux plus jeunes qui pouvaient puiser dans sa longue carrière de quoi espérer dans leur pays.

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