Leur vie, leur mémoire

Anise Postel-Vinay, figure de la Résistance

par Renaud Girard

Le 27 mai 2015, lors de la cérémonie du transfert au Panthéon des cendres de quatre héros emblématiques de la Résistance, Anise Postel-Vinay était assise au premier rang. Y entraient en effet ses deux meilleures amies, Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion. Les trois jeunes Françaises s’étaient rencontrées au camp de Ravensbrück et étaient restées, depuis, amies pour la vie.

Anise Girard est née à Paris en 1922, dans une famille de patriotes, démocrates et chrétiens du Sillon de Marc Sangnier. Son père, le docteur Louis Girard, avait fait la première guerre mondiale comme capitaine-médecin sur le front des Balkans et sa mère, la pédagogue Germaine Riss, comme infirmière sur le front occidental. Ces humanistes prennent le nazisme en horreur dès son apparition. Ils n’acceptent ni la défaite, ni l’occupation, ni le suicide de la République dans les bras du maréchal Pétain. Dès juillet 1940, Anise et sa sœur aînée Claire s’indignent des premières persécutions antijuives, dont elles sont témoins dans le 16ème arrondissement. Claire, Anise, François et Augustin, les quatre aînés de la fratrie Girard, participent à la manifestation interdite des étudiants et des lycéens à l’Etoile le 11 novembre 1940, qui sera dispersée à coups de crosse et de tirs en l’air par les soldats allemands.

Etudiante en langue et civilisation allemandes à la Sorbonne, Anise Girard s’engage très tôt dans un mouvement de résistance travaillant pour les services de renseignement britanniques. Elle transmet par microfilm les données récoltées sur les infrastructures militaires allemandes en territoire français. Dès 1942, l’appartement familial du boulevard Delessert sert de cache à des pilotes alliés ou à des personnalités juives, en attente d’exfiltration.

Le 15 août 1942, retournant d’une mission en Normandie, Anise Girard rapporte ses documents à Paris, mais l’appartement de son correspondant a été transformé en souricière par la Gestapo. Elle est internée à Fresnes avant d’être déportée comme prisonnière Nuit et Brouillard au camp de Ravensbrück. Arrêté le même jour, son père sera déporté au camp de Dora. Son frère François, du réseau Défense de la France, est déporté, à l’été 1944, au camp de Buchenwald.

A Ravensbrück, Anise se lie aux prisonnières françaises mais aussi à des Russes, des Tchèques et des Polonaises. Sa foi catholique l’aide à tenir. Elle restera toujours sentimentalement attachée à la Pologne, et s’enthousiasmera pour le mouvement Solidarité. Son souvenir le plus atroce du camp reste l’envoi à la chambre à gaz d’Emilie, la mère âgée de Germaine Tillion. Les Françaises sont ensuite sauvées par la Croix-Rouge suédoise, en avril 1945. Alors qu’elle se refait une santé en Suède, Anise a la tristesse d’apprendre que sa sœur Claire, ingénieur agricole, a été fusillée par un détachement de soldats allemands, le 27 août 1944, à Courdimanche (Oise).

En 1946, Anise épouse un résistant qui, lui aussi, l’a échappé belle. Appartenant à un réseau différent, André Postel-Vinay s’est évadé de prison au printemps 1942 et est parvenu à rejoindre Londres. Le général de Gaulle confie à ce jeune inspecteur des finances les relations de la France libre avec la Banque d’Angleterre, puis la direction de la Caisse centrale de la France libre, qui deviendra la Caisse centrale de coopération économique (AFD aujourd’hui). André occupera cette fonction jusqu’en 1972 et le couple recevra chez lui de nombreux étudiants africains, avec lesquels il se liera d’amitié.

Les fonctions importantes exercées par son mari et l’éducation de ses quatre enfants, puis de ses petits-enfants, ne distraira jamais Anise Postel-Vinay de ce qu’elle estimait être son devoir de solidarité envers ses « copines », comme elle appelait ses camarades de déportation. Elle devient un des piliers de Voix et Visages, le bulletin mensuel de l’ADIR (Association des anciennes déportées et internées de la Résistance). Elle combat le négationnisme, en participant à un collectif d’historiens qui rétablit la réalité des chambres à gaz dans les camps nazis. Cette femme passionnée d’histoire et cultivée, capable de remplacer au pied levé bénévolement les professeurs de latin absents du lycée Victor Duruy, aimera toute sa vie enseigner dans les écoles, aux jeunes générations, l’épopée, les enjeux et les dures réalités de la Résistance.

 Une chrétienne, humaniste, généreuse, joyeuse, active, voilà ce qu’était Anise Postel-Vinay.

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