RETROUVER UNE PHOTO

par Philippe Goulliaud,
Journaliste

 

Le dernier président du Conseil de la IVe République

Charles de Gaulle n’a jamais été un adepte de la vie parlementaire. N’ayant jamais été député, ni cherché à l’être, il n’était pas à l’aise au Palais Bourbon, se méfiait de ses rites, de ses subtilités et de ses joutes. Prise le 1er juin 1958, cette photo du Général, assis dans l’hémicycle, seul, au banc des ministres, est en soi une rareté. Il est venu ce jour-là solliciter l’investiture de l’Assemblée nationale.

Pour l’occasion, il a revêtu un costume civil et non son uniforme. Le moment est historique. C’est la fin de la longue « traversée du désert » pour l’Homme du 18 juin, qui en janvier 1946, a démissionné de ses fonctions de président du Gouvernement provisoire de la République française, en butte à l’hostilité des grandes formations politiques. Retiré à Colombey-les-Deux-Eglises, de Gaulle assiste à l’effondrement de la IVe République dont il est le plus implacable opposant. Il ne cesse de dénoncer l’instabilité gouvernementale – vingt-quatre présidents du Conseil en douze ans -, « la déconfiture des partis », leur impuissance à mettre un terme à la guerre d’Algérie.

Le 13 mai 1958, dans un climat insurrectionnel qui fait vaciller la IVe République, se constitue à Alger un Comité de salut public placé sous l’autorité des généraux Jacques Massu et Raoul Salan. « Je ne pouvais douter que l’explosion fût imminente », écrit de Gaulle dans ses « Mémoires d’espoir ». Au sein de ce comité, où se retrouvent des activistes de toutes tendances, deux gaullistes jouent un rôle essentiel : Léon Delbecque et Lucien Neuwirth. Bientôt, Salan en appelle au retour de De Gaulle. Le 15 mai, dans une brève déclaration à l’Agence France-Presse, celui-ci se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République ».

Mais il lui faut préciser son dessein pour le pays et rassurer les Français sur les conditions de son retour aux affaires. Le 19 mai, lors d’une conférence de presse spectaculaire au Palais d’Orsay, dans le quartier des ministères, le général de Gaulle répond, avec son style inimitable fait de grandeur, de panache, d’humour et de gouaille, à ceux qui l’accusent de revenir au pouvoir à la faveur d’un putsch. « Est-ce que j’ai jamais attenté aux libertés publiques fondamentales ? Je les ai rétablies ! Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ?  » La formule est restée célèbre.

Le 29 mai, René Coty fait officiellement appel à Charles de Gaulle, « le plus illustre des Français, celui qui, aux années les plus sombres de notre histoire, fut notre chef pour la reconquête de la liberté ». Il le charge de former un nouveau gouvernement. « Comme il est naturel, le président souhaite que le pouvoir me soit remis suivant des règles et non jeté dans la fuite », souligne le Général. Qui donc, le 1er juin, se présente devant les députés pour devenir le dernier président du Conseil de la IVe République et ouvrir le chantier de la Ve République.

De Gaulle n’était pas revenu à l’Assemblée depuis janvier 1946. Il avait eu alors un vif accrochage avec Edouard Herriot « dans une atmosphère de sourde hostilité » dont l’entouraient les parlementaires. « Par contraste, je sens aujourd’hui l’hémicycle débordant à mon égard d’une curiosité intense et, à tout prendre, sympathique », observe-t-il.

Dans son bref discours, le Général évoque la situation de la France « menacée de dislocation et, peut-être, de guerre civile ». Pour y faire face, il ne peut se contenter d’être un président du Conseil empêché comme l’ont trop souvent été ses prédécesseurs. Il demande les pleins pouvoirs pour six mois, l’élaboration d’une nouvelle Constitution, la mise en congé du Parlement. Sitôt son discours terminé, de Gaulle se retire.

Il obtient largement la confiance par 329 voix contre 224. Les anciens présidents du Conseil Edgar Faure, Guy Mollet, Antoine Pinay, Félix Gaillard, le gaulliste Jacques Chaban-Delmas lui accordent leur soutien. A l’inverse, le Parti communiste, deux figures de la gauche, Pierre Mendès France et François Mitterrand, ainsi que Me Jacques Isorni, l’ancien avocat du maréchal Pétain, votent contre.

Dernier président du Conseil de la IVe République, le général de Gaulle s’installe à l’Hôtel Matignon, entouré de fidèles : Georges Pompidou, Olivier Guichard, Jacques Foccart, René Brouillet, Pierre Lefranc, Gaston de Bonneval. Commence alors une intense période de réformes en profondeur.

Acte fondateur, la rédaction, sous l’autorité du nouveau Garde des Sceaux Michel Debré, de la Constitution de la Ve République fondée sur un exécutif fort. Après son adoption par référendum le 28 septembre, le général de Gaulle est élu président de la République, le 21 décembre 1958. Le 8 janvier 1959, il est solennellement investi et s’installe à l’Elysée. La V République peut commencer.

 

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