L’Appel, juin 1980

Romain Gary

Ce que vous appelez « l’esprit du 18 juin » était celui d’un nombre infinitésimal de Français en 1940. Il correspondait à des circonstances précises, à des psychismes individuels, à l’apparition d’un homme intimement lié aux circonstances, dont il est sorti, ainsi qu’à l’idée que quelques centaines, d’abord, et ensuite quelques milliers de Français avaient d’eux-mêmes, de leur dignité personnelle et, simultanément, de l’idée historique qu’ils se faisaient de la France (Voir mon livre Les Cerfs-Volants). La formule que l’on voit partout aujourd’hui : de Gaulle + 18 juin = indépendance de la France, relève d’un médiocre a,b,c  qui se réduit à dire que les poumons ont des rapports avec l’oxygène. De toutes façons, pour permettre à « l’esprit du 18 juin » de se manifester, il faut attendre soit la défaite, soit la capitulation, et à cet égard, nous faisons tout ce qu’il faut, l’Amérique en tête. Le non-enseignement de l’histoire nous a été là aussi d’une grande aide. Il y a quelques années, revenant du lycée, mon fils m’a demandé : « P’pa, pourquoi t’es de droite ? » Comme je faisais une drôle de tête, il s’est expliqué : « Ben oui, mon prof m’a dit que t’es Compagnon de la Libération ».

Je résume donc ma réponse à votre enquête en disant qu’il faut tout faire pour éviter de donner à « l’esprit du 18 juin » l’occasion de se manifester et je crois que c’est à quoi Charles de Gaulle se serait aujourd’hui appliqué de toutes ses forces. Je pense aussi que vous négligez une importante question subsidiaire : « Où, dans quel pays faudra-t-il fonder la France Libre ? Je propose la création d’une commission d’étude.

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