Un appel au long cours

par Michel Boivin

Professeur des universités

      L’appel du 18 juin 1940, lancé dans la solitude et le dénuement, est un point d’arrivée qui ne serait resté qu’un geste s’il n’avait été au même instant un point de départ. Avec le général de Gaulle, le geste devient l’acte historique. Le premier appel d’une longue série est un événement prodigieux faisant procéder de la détermination d’un homme seul l’avenir d’un peuple tout entier. Le texte, bref et ciblé, de portée nationale, est le produit d’une analyse réaliste, d’un diagnostic lucide, d’une volonté inébranlable et d’une grande ambition rencontrant la circonstance. Il s’agit de l’ambition au sens gaullien, c’est-à-dire de la conviction qu’on a raison parce qu’on fait la meilleure analyse. « Charles l’ambitieux » retire de sa réflexion une extraordinaire confiance en lui.

      L’histoire personnelle de Charles de Gaulle le prépare à l’acte du 18 juin 1940, symbole de clairvoyance et d’espoir. Son sens de l’histoire l’amène à prendre en compte le fait national allemand et à refuser d’adhérer aux illusions pacifistes ; à s’intéresser aux progrès techniques et à percevoir l’importance de l’arme blindée ; à réfléchir aux rapports du politique et du militaire et à s’adresser directement à des chefs politiques ; à entrer au gouvernement et à tenir son cap. La faillite généralisée des élites dirigeantes explique aussi l’acte du 18 juin 1940. Le général de Gaulle est un témoin de la déroute de l’armée française, de la déliquescence de l’entourage de Paul Reynaud, de l’effondrement de Paul Reynaud lui-même, le président du Conseil étant tout à fait incapable de dominer les rapports du militaire et du politique. « Charles le seul » est alors convaincu de l’absolue nécessité d’une rupture radicale avec le passé, et le micro devient d’emblée son arme pour fonder la France libre, donner naissance au gaullisme politique, rallier la Résistance intérieure, « assumer la France ».

      Alors qu’il entre dans l’Histoire le 18 juin 1940 en voulant sauver l’honneur de la France en continuant la guerre et recréant une France combattante, « Charles le visionnaire » devient « Charles le factieux » pour le nouveau gouvernement. Il est, peu après et tour à tour, mis à la retraite par un décret du Conseil des ministres le 23 juin, condamné à quatre ans de prison par le conseil de guerre de Toulouse le 30 juin, condamné à mort par contumace par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand le 2 août. Niant la défaite et appelant à la Résistance sans se décourager, reconnu comme le « chef des Français libres » le 28 juin par l’allié britannique l’hébergeant à Londres dans un appartement des bords de la Tamise, il construit une autre France avec un autre gouvernement, le sien, à partir d’abord des territoires de l’Empire ralliés un à un, puis du territoire métropolitain, au prix d’un long et complexe travail d’unification de la Résistance française au sein de la France combattante. Le 26 août 1944, le chef du GPRF est accueilli en sauveur par 56% de Parisiens enthousiastes. Le 21 octobre 1945, le général de Gaulle triomphe dans son double désir d’une légalité nouvelle et d’une Assemblée constituante à prérogatives limitées. Parmi les deux tiers des Français lui répondant deux fois « oui » ce jour-là, nombreux sont ceux continuant d’exprimer leur confiance envers l’homme du 18 juin, tout comme plus tard, sous la Cinquième République, dans les sondages et les votes en faveur du premier président de la Cinquième République. Le 18 juin, toujours commémoré dans les villes chefs-lieux et de nombreux villages, est « journée nationale commémorative » depuis 2006.     

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