DÉFENDRE LA FRANCE : L’HÉRITAGE DE DE GAULLE
À LA LUMIÈRE DES ENJEUX ACTUELS
Présentation de l’ouvrage par Frédéric Fogacci
Directeur des études et de la recherche
de la Fondation Charles de Gaulle

Ouvrage paru aux éditions Nouveau Monde (en partenariat avec le ministère des Armées), Juin 2020, 286 pages, prix public : 20,90 euros.

« La Défense, c’est la première raison d’être de l’État ». Cette célèbre phrase de Charles de Gaulle, datant de 1951, constitue l’un des points nodaux de sa pensée : défendre la France fut l’une des grandes affaires de la vie de Charles du Général, comme soldat, d’abord, comme dirigeant politique ensuite, sachant que la vision gaullienne de la défense était indissociable de la politique étrangère, de la coopération, bref, de ce que l’on nommerait aujourd’hui l’approche globale. Mais cette même phrase décore encore aujourd’hui la salle où siège la commission de défense de l’Assemblée nationale. Peut-on en déduire qu’il existe encore en matière de défense un « consensus gaullien », ou du moins que, dans un environnement stratégique qui a considérablement évolué depuis les années 1960, la France vit encore des questionnements et du socle gaullien ?

C’est pour ébaucher des réponses à cette question complexe que la Fondation Charles de Gaulle a organisé trois journées de dialogue et de réflexion entre historiens spécialistes et acteurs de notre défense, militaires ou décideurs politiques. Trois thématiques ont été privilégiés : d’abord l’organisation du dispositif de défense dans l’État et le processus de décision, ensuite les systèmes d’alliance et la capacité de projection, enfin les outils de rayonnement, industriels, diplomatiques, technologiques et industriels.

Dans les trois domaines, les débats permettent de montrer que l’héritage gaullien est à la fois plus riche et plus complexe qu’une approche superficielle pourrait laisser à penser. L’un des atouts de notre pays réside dans la fluidité et la réactivité de sa chaîne de commandement, lié au rôle prééminent des conseils de défense, mis en place par Charles de Gaulle. Ici, l’héritage des années 1930, l’expérience amère du conseil supérieur de défense nationale (1932-37) posent des principes clairs : prééminence du politique sur le militaire, réorganisation du Ministère des Armées, mise en place d’un processus de concertation régulier avec le Ministre et le Chef d’État-Major des Armées. La réactivité de notre force armée, symbolisée par l’opération Serval (2013) est à ce prix. En revanche, le progrès technologique permet un pilotage politique de plus en plus fin, de plus en plus direct sur le terrain lors d’opérations extérieures qui, elles aussi, peuvent s’inscrire dans une forme de continuité avec un certain esprit d’aventure hérité par nos armées de la France libre.

La question des alliances souligne la richesse conceptuelle de l’héritage gaullien, ses tentatives nombreuses pour dresser une défense européenne sous le parapluie nucléaire français alors en gestation, sa relation complexe à l’OTAN, la date de 1966 ne constituant pas une rupture à proprement parler, sa prudence face aux opérations extérieures, enfin. Dans tous ces domaines, il existe encore une trace gaullienne, dans un rapport critique à l’OTAN comme dans la volonté régulière d’inscrire les enjeux de défense dans le projet européen, même si dans ce domaine, le contexte a profondément évolué après 1989.

Enfin, la question des outils de rayonnement montre également l’utilité de la clé de lecture gaullienne. Le concept de « diplomatie de défense » fait écho à l’obsession gaullienne d’avoir les forces armées de notre politique étrangère et de nos alliances, que la IIIe République des années 1930 n’a pas su faire. La Base industrielle et technologique de défense est elle-aussi l’héritière de la Direction Ministérielle à l’armement, créée en 1961 par Pierre Messmer et devenue aujourd’hui DGA, qui crée une culture de collaboration et un dialogue fructueux entre l’État et les grands industriels de l’armement, dont la politique d’exportation est mise au service des systèmes d’alliance. Mais il existe aussi des inflexions fortes. L’importance du cyber, du renseignement renvoie à l’apparition de nouveaux terrains d’affrontement et à de nouveaux fronts pour assurer la sécurité du territoire.

Cet ouvrage, publié grâce au soutien de la Direction pour le patrimoine et la mémoire des armées, développe ces questions et rend compte des riches échanges qu’ont pu avoir, à l’occasion de ces trois journées, des praticiens de notre défense. A terme, on peut conclure que repartir de l’héritage et des questionnements gaulliens éclaire nos enjeux de défense d’une forme d’intelligibilité précieuse dans un environnement géostratégique de plus en plus instable.

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