ALLOCUTION D’HERVÉ GAYMARD,
Président de la Fondation Charles de Gaulle
COLLOQUE INTERNATIONAL
« De Gaulle et Brazzaville, une mémoire partagée entre la France, le Congo et l’Afrique »
Brazzaville, le 27 octobre 2020
Monsieur le Président de la République du Congo,
Monsieur Président de la République du Tchad,
Monsieur le Président de la République Centrafricaine,
Monsieur le Président de la République Démocratique du Congo,
Monsieur le Premier Ministre du Cameroun,
Madame la Première Ministre du Gabon,
Monsieur le Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères de la République Française,
Madame la Secrétaire Générale de la Francophonie,
Monsieur le Maire de Brazzaville,
Mesdames, Messieurs,
C’est sur cette terre d’Afrique que Charles de Gaulle devint, il y a quatre-vingts ans, l’homme du destin. Que sa parole, qui s’était élevée dans l’éther le 18 juin, s’incarna enfin. Les maigres troupes, Français libres débarqués quelques heures plus tôt, régiments coloniaux ralliés, aux uniformes disparates et aux galons hâtivement cousus, ne sont pas encore les « clochards épiques de Leclerc » qui redonneront leur honneur aux armes de la France. Mais il y avait déjà dans le cœur et le regard de ces hommes partis de rien le simple amour du pays et de la liberté. La magie de la foule africaine, le tréfonds envoûtant et circulaire venu du fond des âges prennent peu à peu possession de l’âme de l’officier au regard tourné vers le Rhin, peu sensible à la gloire de l’empire. La France Libre fut africaine.
C’est sur cette terre d’Afrique que Charles de Gaulle revient pour la première fois en France. Les premiers jalons de la victoire auront pour toujours la lente mélodie et le rythme sourd d’une mélopée africaine qui nous donne le frisson : Koufra, Bir Hakeim, Mourzouk, Keren, Agordat, Massaouah, où au bord de la mer Rouge se dresse toujours une croix de Lorraine. C’est à Fort-Lamy, à Brazzaville, à Bangui, à Douala, puis à Libreville que la longue marche vers Strasbourg, jusqu’à Berchtesgaden, a commencé. C’est parce que le sang versé était multicolore qu’il fut tricolore. Sans l’Afrique, l’Appel du 18 juin ne serait resté que l’éternelle supplique sans écho des peuples qui ne veulent pas mourir.
Imaginons la fierté de Charles de Gaulle, son soulagement, sa sérénité à fouler une terre française qui se refuse à la défaite et qui reconnaît son autorité, dans le sillage de la décision capitale du grand Félix Éboué, lui qui ne vit pas la victoire. Dans le brouillard de Londres, entre les atermoiements du gouvernement britannique, et le refus de l’immense majorité de nos compatriotes à la suivre, l’aventure demeurait incertaine. Depuis l’échec devant Dakar, quelques semaines plus tôt, elle semblait condamnée. Mais le soleil de l’Afrique Équatoriale, la chaleur de ses peuples, le regard droit des grognards, dissipent les doutes, font luire les armes, et construisent l’espérance. C’est aussi le théâtre du plus beau geste symbolique qui soit sur le tarmac de l’aérodrome de Fort-Lamy, quand le 17 octobre 1940 le général d’armée Georges Catroux se met au garde-à-vous devant un général de brigade à titre temporaire, dégradé, deux fois condamné à mort par ses pairs, et bientôt déchu de sa nationalité française : « De Gaulle était mon chef, parce qu’il était la France, et je me mettais à ses ordres, parce que j’étais aux ordres de la France ! De la hiérarchie, il avait monté tous les degrés, le 18 juin, où d’un coup d’aile, tenant dans ses mains les tronçons du glaive de la France, il s’était porté à un rang que plus personne ne pouvait jamais lui disputer. J’ai ratifié dès le premier jour cette immense promotion à laquelle le peuple français tout entier, et avec lui le monde, devaient dans la suite souscrire. »
Londres signe le refus viscéral de la défaite, témoigne du réflexe patriotique, arme la volonté par la magie de l’Appel, ce point de repère, cette étoile Polaire dans l’horizon qui se dérobe, comme dans la houle.
Mais Brazzaville, c’est autre chose : c’est la capitale de la France Libre, dès le 24 octobre 1940, ce que Londres n’aura jamais été.
C’est ici que débute la lente reconstruction de l’État esquissée par René Cassin deux mois plus tôt, dont témoigne le manifeste du 27 octobre. Cet acte fondateur restaure l’État pour « diriger l’effort français dans la guerre. » C’est un État de droit qui doit « rendre compte aux représentants légitimes du peuple français dès qu’il lui sera possible d’en désigner librement ». Il inscrit l’action de la France libre dans le long terme de la lutte, il fonde sa légitimité et sa stratégie.
C’est ici qu’est créé le Conseil de Défense de l’Empire, esquisse du Gouvernement Provisoire de la République Française.
C’est ici qu’est créé l’Ordre de la Libération.
C’est d’ici que Radio-Brazzaville permet à la France Libre de s’exprimer en toute liberté, à destination de l’Afrique, puis du monde entier à partir de juin 1943.
C’est ici, à Brazzaville, que le général de Gaulle a opéré sa mue de chef de guerre en chef d’État.
Je ne peux que rappeler la citation de la Croix de Chevalier de la Légion d’honneur décernée à cette belle ville, tellement symbolique dans le cœur des Français : « Première capitale d’un grand territoire à refuser les conditions de l’Armistice, Brazzaville fut, dès l’été 1940, le siège des premières décisions fondatrices de la France Libre et le refuge de la souveraineté de la France. Elle fut ainsi la plaque tournante dans la géographie de la résistance qui s’organisait en Afrique. Par la force de son exemple, elle en devint l’un des hauts lieux symboliques, accompagnant le ralliement des autres territoires dans le combat historique qui allait mener à la libération de la France occupée et à la victoire sur la barbarie nazie en Europe. »
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Monsieur le Président de la République du Congo,
Je veux solennellement vous remercier d’avoir pris cette belle initiative, et vous dire toute notre reconnaissance de l’avoir rendue possible. Il n’était pas imaginable que cette année de triple anniversaire gaullien, malgré le contexte sanitaire, ne soit pas célébrée en Afrique, car Brazzaville scande le destin mêlé de l’Afrique et de la France à trois reprises : 1940, 1944, et 1958. Et c’est à vous que nous devons d’être ici aujourd’hui.
Messieurs les Présidents, Madame et Monsieur le Premier ministre, Madame la Secrétaire Générale,
Je veux vous dire notre émotion et notre reconnaissance d’honorer de votre présence ce moment de remémoration de cette histoire que nous avons en partage, pour le passé, le présent et peut-être surtout l’avenir.
Monsieur le Ministre de l’Europe et des Affaires Étrangères de la République Française,
Je voudrais vous remercier de l’excellence des relations que la Fondation Charles de Gaulle entretient avec la diplomatie française que vous incarnez avec talent, vous qui aimez l’Afrique et les Africains, qui le savent.
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Dans son bureau du 5 rue de Solférino, qui n’a pas changé depuis qu’il l’a quitté pour le dernière fois le 1er juin 1958 pour être investi Président du Conseil, et dans lequel il n’est jamais revenu, le Général de Gaulle avait placé une photo de Félix Eboué, datant du 18 janvier 1944, avec une dédicace de sa main : « La douleur, l’effort et l’espérance ont uni pour jamais la France et l’Empire ».
L’Empire, dont il fut le décolonisateur, appartient à une mémoire à la fois lointaine et proche.
Mais la douleur, l’effort, et l’espérance, rythment toujours les saisons de nos pauvres vies. Singulièrement dans les temps dangereux et mortifères que nous traversons.
Mais il est pourtant deux choses que nous n’oublierons jamais.
D’abord qu’il ne faut jamais désespérer de rien, ni ne renoncer à rien. Et c’est la leçon que nous donne chaque jour le Continent, par l’ardeur et la vitalité de ses filles et de ses fils.
N’oublions jamais non plus que si la France est restée la France, il y a quatre-vingts ans, c’est grâce aux Africains, aux Polynésiens, aux Calédoniens, aux Néo-Hébridais, aux habitants de l’Inde Française, qui furent alors les dépositaires de son âme invincible.
Merci aux Congolais,
Merci aux Tchadiens,
Merci aux Centrafricains,
Merci au Camerounais,
Merci aux Gabonais,
Merci pour toujours à l’Afrique.
Hervé Gaymard,
Président de la Fondation Charles de Gaulle