LES POLITIQUES ONT SACRIFIÉ LA JEUNESSE

par Jacques de Larosière

Entretien avec Marie-Laetitia Bonavita, publié dans Le Figaro du 10 janvier 2021.

Reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur et du journal.

L’ex-directeur du Fonds monétaire international (FMI) invite le gouvernement à saisir l’impact de la pandémie pour réformer enfin la France, à commencer par les retraites.

Jacques de Larosière, 91 ans, reçoit, bon pied bon œil, au siège de la BNP Paribas, où il est conseiller du président. L’homme a fait toute sa carrière au sommet d’institutions financières, comme le Fonds monétaire ­international (FMI) ou la Banque de France. Avec recul et pédagogie, il passe en revue les dif­ficultés financières de notre pays dans son nouvel ouvrage, L’Énigme française, publié chez Odile ­Jacob.

LE FIGARO – Avec la pandémie, qu’a-t-on appris de l’état de la France ?

Jacques DE LAROSIÈRE – La pandémie a été à la fois un révélateur et un accélérateur. Révélateur car nous pensions que notre système hospitalier était parmi les tout premiers du monde. Or la ­pandémie a montré que la gestion administrative des hôpitaux publics a été beaucoup trop lourde. La pandémie a été aussi un accélérateur de notre ­impéritie. Nous n’avions rien anticipé malgré les rapports sur le sujet. Du coup, le gouver­nement a dû arrêter l’économie et compenser cette pa­ralysie par le versement d’aides et d’in­demnités de ­chômage partiel. Et cela dans un contexte de ­vulnérabilité de nos finances ­publiques. L’endettement de la France avant le Covid représentait 100 % du PIB contre 60 % en Allemagne.

Selon vous, les maux remontent aux années 1975 ?

De fait, la France est passée, entre 1975 et aujourd’hui, du 5e au 26e rang mondial du niveau de vie par habitant. La crise pétrolière de 1973, avec le quadruplement du prix du pétrole, a porté un coup sensible à la croissance économique de notre pays. Mais, contrairement à d’autres, qui ont cherché à prendre un virage écologique, la France a fait le choix hasardeux d’amortir le choc. La baisse des taxes sur le pétrole a dû être compensée par d’autres impôts qui ont pesé sur le pouvoir d’achat des consommateurs et la compétitivité des entreprises. Le versement de dépenses sociales a accru le déficit public, même si le montant de 20 % rap­porté au PIB à la fin des années Giscard peut, aujourd’hui, faire rêver. Malheureusement, ce ­déficit dans les années 1980 n’a eu de cesse de ­s’aggraver sous l’effet de l’augmentation des ­dépenses publiques, sans lien avec la hausse de la ­population et pourvoyeuse d’une administration toujours plus dense. Ces dépenses s’élèvent dé­sormais à 54 % du PIB en France contre 44 % en ­Allemagne.

La désindustrialisation, dites-vous, est un fléau pour notre pays.

Le fléau en France, c’est le taux de chômage de 9 % de la population active dont 20 % chez les jeunes. Forts de l’industrie que nous avions il y a une vingtaine d’années, nous aurions aujourd’hui 5 millions de travailleurs en plus. Entre-temps, la part de notre industrie dans le PIB est passée de 17 % à 13 % alors qu’elle demeurait autour de 23 % à 24 % en ­Allemagne. Face à la mondialisation, les entreprises d’outre-Rhin ont su, grâce notamment à la pré­sence de syndicats puissants dans les conseils d’administration et à la spécialisation dans les produits haut de gamme, résister au phénomène de délocalisation vers les pays à faibles coûts de main-d’œuvre. Ce n’est pas le cas de la France qui, à force de cultiver les produits bas de gamme, a favorisé le recrutement de travailleurs payés au smic, nourrissant ainsi un cercle vicieux. Contrairement aux ­services, comme les coiffeurs et les restaurants, l’industrie, basée sur la recherche et le développement, possède des formes de résilience et de résistance. C’est un écosystème qui crée des synergies. Pas étonnant donc que l’Allemagne soit en avance dans la découverte d’un vaccin contre le Covid.

Vous dites comprendre la colère des « gilets jaunes ». Pourquoi ?

Toujours à cause de la faiblesse de notre industrie, la France est, avant redistribution sociale, l’un des pays les plus inégalitaires d’Europe. Ce n’est qu’après une forte redistribution (31 % du PIB) que notre coefficient d’inégalité devient faible. Il n’empêche, le niveau de vie des ménages reste bas et les 9 millions de pauvres que compte la France ont de quoi inquiéter. En contribuant à l’affaiblissement de la France, nos élites ont nourri le populisme.

Comment sortir de la dette colossale de la France ?

Les excès de création monétaire ont été néfastes. Aujourd’hui, la croissance de l’endettement, tant de l’État que des individus et des entreprises, a dépassé celle de l’économie réelle. Il est temps de stopper cette financiarisation de l’économie. D’autant que l’on n’est pas à l’abri d’une hausse des taux d’intérêt qui viendrait accroître la charge de la dette. Les solutions avancées çà et là ne sont pas tenables dans la zone euro. La Banque centrale européenne (BCE) ne peut annuler les dettes qu’elle a rachetées, ce qui reviendrait à reconnaître des pertes et constituerait un cadeau aux États membres, option interdite par le traité de Maastricht. Quant à un retour à l’inflation, voire à une dévaluation dans le cas d’une sortie de l’euro, l’effet – identique dans les deux cas – serait antisocial car il rognerait le pouvoir d’achat et accroîtrait le prix des importations. La seule solution reste la réduction des dépenses, non pas d’investissements pourvoyeurs d’avenir, mais de fonctionnement.

Contrairement donc au « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron face à la pandémie. Mais pouvait-il faire autrement ?

Bien sûr que non. On peut juste regretter qu’avant même la pandémie la dérive de la dépense publique était encore sensible en 2019 et dans le budget 2020. Le moment venu, le gouvernent devra s’attaquer aux dépenses de la fonction publique. Si, là encore, nous nous confrontons, à périmètres constants, avec l’Allemagne, il y aurait au moins 200 000 agents de trop en France. La réforme de la décentralisation a été ratée. On a gardé l’empilement d’échelons régionaux et départementaux sans réduire les charges de l’État.

Autre source d’économie : la réforme des retraites. Celle engagée par le gouvernement s’est, à mes yeux, trompée de cible en voulant s’attaquer à la quarantaine de régimes spéciaux, leur complexité et les inégalités qui en résultent. La priorité reste, compte tenu du coût exorbitant de notre système et de notre espérance de vie, un allongement à au moins 65 ans (contre 62 actuellement) de l’âge de départ à la retraite.

De quoi alléger les charges à venir des plus jeunes…

Depuis quarante ans, les politiques ont sacrifié la jeunesse, avec un système éducatif peu adapté, le versement d’indemnités en échange du maintien de l’emploi des plus âgés. Le système se voulait ­social mais il était antisocial. Notre économie doit se montrer plus inclusive avec les jeunes ­travailleurs.

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