ANDRÉ MALRAUX, HISTOIRE D’UN REGARD

de Jean-Yves Tadié

Éditions Gallimard
226 pages
18 euros

« Malraux, curieux de tout sauf du médiocre »

Voici un essai fulgurant, grâce auquel André Malraux s’installe définitivement dans le monde des artistes plutôt que dans celui des romanciers ou des ministres. Jean-Yves Tadié, dont on aime lire les analyses reconnues sur Proust, nous fait découvrir ici un Malraux esthète, tendu vers l’admiration des chefs-d’œuvre du monde, accaparé par la compréhension des ressorts de la création artistique au point de n’être un romancier qu’à « ses moments d’entracte ». Bien sûr, les intuitions géniales du prix Goncourt 1933 pour « La Condition humaine », les convictions de l’intellectuel qui observe la crise de conscience du monde occidental, les doutes d’un homme dont l’œuvre lutte en permanence contre le tragique, ne disparaissent aucunement dans son analyse obstinée et permanente du phénomène de la création de l’œuvre d’art. Il met ainsi Goya au firmament de ses admirations (dans « Saturne ») parce que ce peintre est « le plus grand interprète de l’angoisse qu’ait connu l’occident » et s’extasie devant la Vénus de Milo mutilée, « preuve de la métamorphose du temps qui passe », y compris pour la déesse Aphrodite qu’elle représente.

Tadié nous apprend que Malraux n’a pas reçu le prix Nobel de littérature ; Il n’écrivait plus de romans au moment où sa nomination se débattait. Nous sommes dans les années 1970. André Malraux était en effet devenu en ces temps-là l’homme des discours et des essais. Mais Tadié se penche sur ses préfaces qui « ne se contentent pas de raconter le contenu du texte et se préoccupent surtout d’en dégager le problème posé ». Malraux a ainsi préfacé « L’amant de lady Chatterley », « Sanctuaire » (de Faulkner) ou « Le journal d’un curé de campagne » et « Le sang noir » de Louis Guilloux par exemple, répétant inlassablement que les héros, dans la diversité des situations qu’ils affrontent, sont à la fois des légendes et des destins.

Mais l’essentiel pour Tadié, dont la plume est convaincante, c’est l’immense « Musée imaginaire », qui vaudra à son auteur « le sort des premiers de classe dont se moquent les mauvais élèves ». Malraux cherche à y démontrer que le monde de l’art finit par triompher de la mort. Ce musée, « inimaginable » pour certains, a, pour lieu, « l’esprit de chacun » précise Malraux. « Les voix du silence » sont, selon Tadié, « une symphonie en quatre mouvements » qu’il étudie avec minutie et subtilité, s’attardant sur les chapitres de « la métamorphose des Dieux » et de « La monnaie de l’absolu » pour constater que Malraux classe les œuvres d’art par associations d’idées et non par chronologie. Un choix suffisamment subjectif pour susciter toutes les critiques des scientifiques dont il n’a cure.

Ainsi, Malraux est-il d’abord un défenseur unique et admirable de l’Artiste « qui réunit en un songe les rêves des siècles ». N’a-t-il pas aussi publié « Vermeer de Delft », « L’œuvre peint de Léonard de Vinci », « Ecrits sur l’art » ? Autant de contributions à la défense d’une conviction qui permirent au Ministre d’inventer la devise des maisons de la culture qu’il inaugurerait dans les années soixante : « Non pas apprendre à connaitre, mais apprendre à aimer ».

Philippe Langénieux-Villard

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