AU PASSAGE DES GRELOTS – LE CERCLE DES MALRAUX

d’Alain Malraux

Note de lecture par Philippe de Saint Robert

On sait depuis la publication des Marronniers de Boulogne [1], la fidélité qu’Alain Malraux portait à son oncle et père adoptif, André Malraux. Dans son dernier livre, Au passage des grelots [2],  il rassemble vingt remarquables portraits de ceux qui constituèrent le cercle des Malraux. Ils vont de Maurice Schumann à Florence Malraux, en passant par Nadia Boulanger, Victoria Ocampo, Paul-Louis Weiller, Brigitte Friang, Romain Gary, Françoise Sagan.

Vingt portraits qui permettent de lire un peu d’histoire contemporaine, car tout ce qui entoure André Malraux est porteur de sa propre histoire, de sa vie, et de l’époque où tout cela eut lieu. On sait les nombreux drames qui jalonnèrent l’existence de cet homme exceptionnel, aux débuts aventureux, pour s’étendre comme un fleuve qui ne cesse de remonter vers sa source. Fernand Malraux, qui se suicide, est l’ancêtre commun de cette fratrie qui rassemble ici Florence, Alain, Gauthier et Vincent. On sait la mort tragique de ces derniers, précédée de celle leur mère, Josette Clotis. Les deux frères d’André Malraux, dont le père d’Alain, ne sont pas revenus de déportation. André a épousé sa belle-sœur, Madeleine, pianiste reconnue, qui mourut à la veille de ses cent ans, mais dont il s’était mystérieusement séparé pour finir sa vie auprès de Louise de Vilmorin, puis de sa nièce, Sophie de Vilmorin.

Toute cette histoire affleure à travers les portraits de ses proches. Elle est marquée par l’aventure du gaullisme, qui valut à Malraux tant d’incompréhensions, et par l’aventure de l’art et du ministère, créé pour lui, des Affaires culturelles. L’amitié avec le général de Gaulle reste, elle aussi, mystérieuse tant ils étaient différents en tout, par leur éducation, par leurs convictions, par leur milieu. Ils se protégèrent l’un l’autre.

J’aime retrouver Maurice Schumann, découvrir Manès Sperber au sujet de qui Alain Malraux note : « Ce fut Romain Gary qui exprima peu ou prou le sentiment de Manès, qu’il ne connaissait pourtant pas : ‘‘La révolte des jeunes bourgeois contre la bourgeoisie était condamnée au canular ou au fascisme. S’il n’y avait pas la servitude ailleurs, la révolution des étudiants ressemblerait singulièrement à une émeute de souris dans un fromage.’’ » La lucidité d’André Malraux sur les événements de mai 68, alors que tous les intellectuels à la mode y allèrent de leurs éblouissements, m’a toujours réconforté.

Françoise Sagan, Colette de Jouvenel, Françoise Gilot, Brigitte Friang, que j’ai un peu connue et qui m’intimidait, sont autant de figures dont l’auteur nous dépeint des moments qui disent tout d’elles. À la fin de sa vie, Brigitte Friang s’était liée d’amitié avec Marie-France Garaud « dont l’envergure s’imposa à elle tout à trac », précise l’auteur qui ajoute : « Durant les dernières années de son existence, Brigitte ne put échapper à une forme d’amertume profonde, comme il advient aux caractères entiers et les mieux trempés. »

Alain Malraux évoque aussi la figure de Jacques Chirac, qui lui proposa de faire une carrière politique. Il parle aussi de son ancien directeur de cabinet d’alors, qui est mon ami : «  Fils spirituel de Jean Guitton, profondément catholique, il s’appelait Bernard Billaud, et je discernai dans l’instant même que ces deux hommes, si différents à tous égards, observant tacitement mais sur le fil la subordination du second au premier avec un classicisme de bon aloi, étaient liés par quelque chose de fort. Je voyais là un homme de confiance, et même de toute confiance. »

Le portrait de Florence Malraux, sa cousine germaine, emberlificotée dans ses relations difficiles avec sa mère, Clara, et son père, André, et compagne d’Alain Resnais, est particulièrement sensible. Ce sont autant de moments de notre histoire encore très proche et qu’Alain Malraux a un art à la fois touchant et précis de faire revivre. Ce livre est une lecture pour ses temps difficiles, dans lesquels toujours l’évocation de certains visages du passé permet de retrouver quelque espérance.

P.S.R.

[1] Alain Malraux, Les marronniers de Boulogne, Malraux père introuvable, Omnia, 2012 (pour la version la plus récente).

[2] Alain Malraux, Au passage des grelots – Dans le cercle des Malraux, Larousse, 2020.

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