ORLY, « À LA RENCONTRE DU CIEL ET DE LA TERRE »
par Philippe Goulliaud
« Oui, j’irai, dimanche à Orly.
Sur l’aéroport, on voit s’envoler
Des avions pour tous les pays.
Pour toute une vie, y a de quoi rêver. »
Parue en 1963, cette chanson de Gilbert Bécaud, sur des paroles de Pierre Delanoë, est l’un des grands succès de cette immense vedette des années de Gaulle et bien au-delà. Elle illustre parfaitement l’atmosphère de la France des Trente Glorieuses qui, après la Guerre, s’initiait à la modernité, aspirait au progrès technique et découvrait la société de consommation.
Comme le chante Bécaud, l’aérogare d’Orly, inaugurée par le général de Gaulle le 24 février 1961, devient un lieu de pèlerinage pour des Français pour qui les voyages au long cours sont alors un rêve inaccessible. Bientôt, touristes et curieux affluent et l’aérogare reçoit plus de visiteurs que la Tour Eiffel. En 1965, leur nombre atteint quelque quatre millions. Les commerces, les restaurants, la grande tapisserie de Jean Lurçat, le cinéma équipé de deux salles, sont une vitrine luxueuse et innovante de cette France en reconstruction, décidée à aller de l’avant. Derrière les glaces de l’immense hall du premier étage, on peut voir atterrir et décoller les avions, en bénéficiant d’une isolation acoustique très efficace.
Conçue par l’architecte Henri Vicariot, l’aérogare est un modèle d’architecture métallique, ayant recours à l’acier, à l’aluminium et, pour la première fois en France, aux murs-rideaux en verre. Elle constitue une innovation technique majeure et répond aux critères esthétiques de l’époque. « Polytechnicien, officier du Génie, architecte en chef d’Aéroports de Paris et ingénieur des Ponts et Chaussées, Henri Vicariot orchestre dès 1954 un travail d’équipe auquel participent ingénieurs, techniciens et décorateurs », écrira plus tard Le Moniteur, journal de référence pour les professionnels du BTP et de l’architecture.
« Simple, sec, le bâtiment n’est en rien simpliste. En effet, Henri Vicariot a voulu un outil fonctionnel et susceptible d’évoluer avec des extensions éventuelles. Son accessibilité, son échelle humaine et la clarté de son plan en font toujours un équipement perçu comme efficace malgré le temps qui passe », poursuit Le Moniteur qui rappelle que « mille deux cents ouvriers auront travaillé sur le chantier » et « qu’Orly est, dès sa création, le quatrième aéroport du monde après New York, Chicago et Londres ».
Le jour de l’inauguration, le 24 février 1961, Le Figaro qualifie l’aérogare de « château de Versailles des temps modernes » et la compare aussi à « un paquebot, avec ses machines, ses ponts, sa passerelle ». Et le quotidien s’extasie : « Orly, antichambre merveilleuse de la France, silencieuse dans le tonnerre des réacteurs, lumineuse et pourtant intime, grande ouverte sur le ciel et pleine de coins confidentiels, pratique, efficace, humaine et satisfaisante pour l’esprit comme pour le cœur. »
Dans son discours d’inauguration, devant 10 000 invités, le général de Gaulle se montre tout aussi enthousiaste : « Si jamais un ouvrage justifia la fierté de ceux qui l’ont édifié de leur cerveau et de leurs mains, c’est bien celui que voilà, à la rencontre du ciel et de la terre. » « La cérémonie d’aujourd’hui consacre l’aérogare d’Orly comme l’une des plus frappantes réalisations françaises. Et devant cette grande réussite, nous exprimons la satisfaction nationale », ajoute le président de la République, faisant valoir que « l’aérogare correspond à ce qu’est et à ce que devient la capitale de la France » où le nombre de voyageurs ne cesse de s’accroître.
Le fondateur de la Ve République voit dans cette aérogare l’affirmation de la politique industrielle qu’il a voulue pour la France depuis 1958. « En révélant cet imposant travail, nous nous donnons nous-mêmes comme capables non seulement de vivre notre siècle, mais aussi, dans une certaine mesure, de le marquer et de le conduire. De même qu’en inventant et en répandant les Caravelle, les Mirage, les Alouette, nous aidons l’homme à se servir du ciel (…) Nous ajoutons quelque chose d’exemplaire aux communications humaines du présent et de l’avenir.»
« Puisse donc s’affermir ici une ambition nationale », ajoute Charles de Gaulle qui fixe à la France une ambition « dans la compétition des peuples » : « Nous voulons avoir notre place et à l’occasion l’emporter. Car, par contraste avec une autre époque où l’activité intérieure française semblait bloquée au-dessous d’un certain plafond, voici qu’en l’ère industrielle notre pays s’aperçoit que toutes les limites s’éloignent. Qu’il a en lui toutes les sources de la puissance et du rayonnement et qu’il peut se transformer au point d’être une fois de plus l’un des plus jeunes et des plus grands. »
Tout au long de sa présidence, le Général s’est attaché à encourager les industries d’avenir, et tout particulièrement dans le secteur aéronautique. En témoignent avec éclat le lancement des programmes Airbus et Concorde ainsi que la création du Centre national d’Etudes spatiales (CNES). Le président de la République a anticipé et favorisé le développement des transports aériens. Pour faire face à l’inéluctable saturation d’Orly, il a décidé la création d’une nouvelle plate-forme aéroportuaire dans le nord de Paris. Après sa mort, c’est à Roissy, ouvert en 1974 au terme de dix années de travaux, que son nom a été donné. Et l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle est alors devenu le premier en France.