KOUFRA, LA VICTOIRE DANS LES SABLES LIBYENS
par Philippe Goulliaud
C’est un coup d’éclat, voire un coup de bluff, qui s’est conclu par une victoire éclatante, la première remportée par la France Libre sur les alliés d’Adolf Hitler. Le 1er mars 1941, les hommes du colonel Leclerc s’emparent du Fort de Koufra, point stratégique dans le désert libyen, tenu par les troupes italiennes de Mussolini. De quoi redonner le moral à ceux qui, autour du général de Gaulle, ne se résignent pas à la défaite de 1940 et à la collaboration avec les Nazis.
Philippe de Hauteclocque fait partie de ceux-là. Animé par son amour de la Patrie et sa foi catholique, il rejoint Charles de Gaulle à Londres dès le 25 juillet 1940. Il a choisi Leclerc comme nom de guerre afin de protéger sa famille. Le 2 décembre suivant, il arrive au Tchad comme commandant militaire de ce territoire de l’Afrique équatoriale française qui, derrière son gouverneur, le Guyanais Félix Eboué, a, le premier, rallié la France Libre. A Fort-Lamy, aujourd’hui N’Djamena, Leclerc conçoit une entreprise audacieuse comme lui-même sait l’être : la conquête du Fezzan, vaste région désertique libyenne tenue par les Italiens, avec comme premier objectif l’oasis de Koufra, poste méridional le plus avancé de l’alliance entre l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler et l’Italie fasciste de Benito Mussolini.
La route à travers le désert est longue et difficile. Mais la colonne Leclerc, préfiguration de la Deuxième Division blindée, la glorieuse 2e DB, compense par sa détermination et son courage. C’est une armée sous-équipée en matériel. Peu nombreuse, elle est composée d’Européens, de Méharistes, les unités sahariennes françaises, et de Tirailleurs sénégalais, essentiellement des Camerounais et des Tchadiens. Ces hommes sont portés par la foi en la victoire et conduits par un chef respecté de tous et doté d’une volonté inflexible. Pour tromper l’ennemi auquel aucun répit n’est laissé, les véhicules circulent en zig-zags, soulèvent le sable du désert et déplacent sans cesse les armes automatiques pour persuader les Italiens de leur supériorité numérique. L’unique canon « 75 » français bombarde jour et nuit le fort italien afin d’entretenir un sentiment d’insécurité.
Et le 1er mars, au terme d’un long siège, Leclerc obtient, au culot, la reddition des Italiens. Il entre lui-même dans la citadelle au côté des négociateurs italiens venus parlementer avec les Français et impose ses conditions. La capitulation est signée le jour même. C’est une victoire totale et finalement peu meurtrière : les combats ont causé trois morts et quatre blessés côté italien, quatre morts et 21 blessés côté français.
Le lendemain, les couleurs françaises sont levées sur le fort et Leclerc demande à ses troupes ragaillardies par la victoire de prêter un serment entré dans l’Histoire : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. » Leclerc tiendra parole. Après être entré dans Paris à la tête de la 2e DB, le 25 août 1944, il libérera Strasbourg le 23 novembre 1944.
Charles de Gaulle a tout de suite compris la portée symbolique de la prise de Koufra. Il transmet à Leclerc, qu’il fait Compagnon de la Libération, un message de félicitations : « Vous venez de prouver à l’ennemi qu’il n’en a pas fini avec l’armée française. Les glorieuses troupes du Tchad et leur chef sont sur la route de la victoire. Je vous embrasse. »
Dans son Dictionnaire amoureux du Général (Éditions Plon), Denis Tillinac souligne que Koufra procurera à de Gaulle « un réconfort précieux après la tragédie de Mers el-Kébir et la déconvenue de Dakar ». « Cette prouesse de légende, bien que mineure sur le plan stratégique, confirmera son jugement sur cet officier qui s’est mis à ses ordres à Londres, maigre comme un chat de gouttière, visage émacié, regard franc comme l’or, tête bandée par une blessure », ajoute Tillinac.
Le chef de la France Libre a toujours eu une estime particulière pour le général Leclerc. À sa mort, dans un accident d’avion lors d’une tournée d’inspection en Algérie, le 28 novembre 1947, le général de Gaulle fait part à sa veuve de son « immense chagrin ». « J’aimais votre mari qui ne fut pas seulement le compagnon des pires et des plus grands jours, lui écrit-il, mais aussi l’ami sûr dont jamais aucun sentiment, aucun acte, aucun geste, aucun mot, ne furent marqués même d’une ombre par la médiocrité. »