LES ORS DE LA RÉPUBLIQUE – SOUVENIRS DE SEPT ANS DE L’ÉLYSÉE

d’Henri Bentégeat

Compte-rendu de lecture par Jean-Yves Perrot

En publiant Les ors de la République, le général Henri Bentégeat livre un témoignage rare et précieux. Celui qui fut adjoint au chef d’État-Major particulier du Président François Mitterrand, puis chef d’Etat-Major particulier du Président (CEMP) Jacques Chirac, nous donne en effet d’abord à mieux comprendre en quoi consiste l’exercice de cette fonction singulière, sans équivalent dans la plupart des pays au monde : le chapitre qu’il consacre, à évoquer, non sans humour – humour qui parcourt d’ailleurs tout son livre – sa difficulté à expliquer le contenu exact de cette fonction au général sénégalais Nelson, son condisciple à l’Ecole de guerre, est ici particulièrement éclairant. Ce poste renvoie, dans son essence, à l’idée, très précise, que se faisait de cette fonction le Général de Gaulle, chef des armées, en sa qualité de Président de la République. Il appartient au CEMP, selon la formule de Bentégeat, d’« éclairer en amont les choix du chef des armées », ce qui en fait un rouage essentiel aux confins du pouvoir civil, à son échelon suprême, et du militaire, et dont l’influence et le poids dépendent de la qualité de la relation de confiance qui s’instaure – et se gagne… – entre le Président de la République et lui. A fortiori, lorsqu’une crise se déclenche et qu’il doit rédiger sur le champ une note pour permettre au chef de l’Etat de suivre les développements d’une situation de crise potentiellement explosive. Fonction, qui fait aussi de son titulaire, un « maillon de la chaîne du commandement, notamment dans le domaine nucléaire, (…) un responsable plutôt qu’un technicien ».

Servi par une plume sobre et subtile, qui contribua – n’en doutons pas – à le faire distinguer par tous ses chefs successifs, le général Bentégeat livre une belle galerie de portraits où politiques, diplomates et, bien sûr, ses camarades de l’armée, sont tour à tour croqués.

Le regard bienveillant, mais sans complaisance, porté par celui qui sait le prix du sang versé, sur la comédie humaine qui accompagne tout pouvoir, n’est pas non plus le moindre mérite de ce livre, dont certains – Edouard Balladur notamment – sortent étrillés, là où d’autres, à commencer par Jacques Chirac, sortent magnifiés à la fois pour les qualités humaines dont il ne se départissait jamais dans l’exercice du pouvoir, fût-il le pouvoir suprême, et pour son goût et son sens de la chose militaire.

Jacques Chirac y est décrit, à l’occasion de la crise bosniaque, la première qu’il affronta en qualité de chef de l’Etat comme « chef de guerre résolu, pragmatique et lucide par sa compréhension interne de la vocation et de l’emploi des armées ».

Mais ce livre est aussi l’occasion de précieuses mises au point, qui donneront à méditer à chacun. Ainsi en est-il lorsqu’il évoque, à propos de l’action de la France en Afrique, « le messianisme, une forme d’auto-intoxication imperméable à la réalité des faits, penchant répandu chez les intellectuels français », ou encore « l’obsession humanitaire » qui « pour respectable, qu’elle soit, a perverti la froide logique de l’équilibre des forces ».

Au fil de toutes ses missions, le général Bentégeat a complété l’idée qu’il se fait de la France. Ainsi rapporte-t-il avoir compris de son passage à l’ambassade de France à Washington que « notre pays, plus que d’autres, suscite, dans le monde entier, des passions de haine, d’amour ou de jalousie, qui tiennent à notre prétention à l’universalité et à notre arrogance intellectuelle », seuls points communs, à ses yeux, entre la France et les Etats-Unis d’Amérique.

Au-delà des portraits et des réflexions ponctuelles, ce livre éclaire aussi – et ce n’est pas son moindre mérite – sur la difficile gestation de l’Europe de la défense, sur les relations de la France avec l’Afrique, sur l’impact « exécrable » – l’adjectif est de son auteur – des périodes de cohabitation sur la conduite des affaires diplomatiques et militaires de la France. Et sur l’articulation de plus en plus délicate dans l’action publique entre le court et le long terme, sujet qui dépasse, même si d’une certaine façon il y culmine, le seul champ du militaire.

Jean-Yves Perrot

Février 2021

X