LETTRES DU CAPITAINE JEAN SIMON ET DU LIEUTENANT PIERRE MESSMER

Commentées par Frédéric Turpin
Historien et membre du Conseil scientifique de la Fondation Charles de Gaulle

Et reproduites avec l’aimable autorisation d’Isabelle Castres Saint Martin et de Nicolas Simon

Ces documents issus des archives familiales de Jean Simon illustrent la vie ordinaire des combattants de la France libre et de leurs proches. Leur départ de France et leurs pérégrinations pour rejoindre la France libre furent en eux-mêmes une première aventure. Ce fut souvent l’occasion de nouer des amitiés qui, lorsque la mort ne les brisa pas, furent indéfectibles. Jean Simon et Pierre Messmer nouèrent ainsi un lien qui en fit des frères d’armes pour la vie et la mort. Ce premier voyage réussi, il fallait rassurer les siens demeurés en France pendant la débâcle de 1940 et, si possible, leur donner des nouvelles tout au long d’une guerre qui dura plusieurs années. Chaque grande bataille était l’occasion d’angoissantes attentes de nouvelles quant au sort des êtres proches.

Sorti de Saint-Cyr en 1935, Jean Simon sert en Afrique avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale. En juin 1940, la défaite le surprend dans l’Allier où il suit, avec un autre jeune lieutenant, Pierre Messmer, un stage d’observateur en avion. L’allocution radiodiffusée du maréchal Pétain du 17 juin, appelant « les Français à cesser le combat », le révolte. Avec Messmer, il décide de continuer coûte que coûte la lutte. Ils rejoignent, dans des conditions rocambolesques, à pied, en vélo, en moto et en train, Marseille. C’est là qu’ils prennent connaissance de l’appel du 18 juin du général de Gaulle et s’efforcent dès lors de rejoindre la France libre naissante. Avec le commandant Vuillemin, ils déroutent un cargo italien, le Capo Olmo, vers Gibraltar qu’ils atteignent le 26 juin. Le 17 juillet, Simon et Messmer sont à Liverpool.

Le 26 juillet, les deux hommes sont reçus par le général de Gaulle. Le Chef de la France libre considèrent qu’ils font leur devoir. Simon et Messmer également. Point d’effusion ni de sentimentalisme. Le lieutenant Simon est venu pour se battre et relever l’honneur perdu de la France, y compris au prix de sa vie. Avec Messmer, ils obtiennent d’être affectés à ce qui va devenir la 13e demi brigade la Légion étrangère (DBLE), seule unité terrestre de la France libre apte au combat de suite.

C’est alors que Jean Simon prend le temps de faire savoir à sa famille qu’il est bien vivant. Dans le chaos de la débâcle de juin 1940, nombre de familles ont été séparées sans possibilité, une fois l’armistice entré en vigueur, de connaître le sort des uns et des autres. Pour Simon et Messmer, la situation est particulièrement complexe. Il leur faut rassurer leurs familles restées en France, sans savoir précisément où elles se trouvent et si elles sont encore en vie. Cette correspondance doit cependant demeurer secrète (par crainte des « représailles »). En choisissant la voie de la poursuite du combat au sein de la France libre, ils sont considérés par le nouveau régime de Vichy comme déserteurs. Par chance pour les deux frères d’armes, la tante de Jean Simon est Révérende Mère supérieure du couvent du Saint-Sacrement à Brighton. Sœur Marie-Victoria Simon use des réseaux ecclésiastiques et de la Croix-Rouge pour transmettre aux Simon et aux Messmer de France de précieuses informations sur leurs fils. Le langage est bien évidemment codé pour ne pas trahir leur identité. Cette religieuse sera, durant tout le conflit, la marraine de guerre de Jean Simon et de Pierre Messmer et celle par qui le lien ne sera jamais rompu entre les combattants de la France libre et leurs familles restées en France.

La guerre du lieutenant Simon débute au large de Dakar où il participe, en septembre 1940, à l’opération avortée de ralliement de l’AOF. S’ensuit la campagne du Gabon qui le voit, aux côtés de Pierre Messmer, combattre d’autres Français demeurés fidèles au régime de Vichy. La campagne suivante est cette fois contre les Italiens. La conquête de l’Erythrée donne lieu à d’intenses combats au milieu de montagnes accablées par la chaleur où la déshydratation tue plus sûrement que les balles italiennes. Il s’y distingue ainsi que lors de la prise de la forteresse de Massaoua.

Pour Jean Simon et Pierre Messmer, la rude campagne d’Erythrée constitue un tournant. Leur bravoure leur vaut une citation à l’ordre de l’Armée au titre de la prise de Keren. Le 26 mai 1941, le Chef de la France libre les décore de la Croix de la Libération. La 13e DBLE se taille la part du lion avec le colonel Monclar, le lieutenant-colonel Cazaud, les capitaines de Bollardière et Morel ainsi que les lieutenants Langlois, Messmer et Simon. Mais, le général de Gaulle est aussi venu dans leur camp de Qastina, en Palestine, pour préparer leur nouvelle campagne. Plutôt que d’affronter les Allemands, ce sont de nouveaux combats fratricides qui se profilent en Syrie. Aux côtés des Britanniques, il s’agit de rallier les autorités et les forces françaises demeurées fidèles à Vichy. Si la persuasion ne suffit pas, il faudra user de la force.

Comme pour les opérations au Gabon en 1940, De Gaulle laisse à chaque Français la liberté de participer ou non à cette nouvelle campagne fratricide. à la 13e DBLE, le colonel Monclar et le capitaine Lamaze font valoir la clause de conscience. Outre le fait de devoir porter les armes contre d’autres Français, les légionnaires se refusent à affronter d’autres légionnaires, ceux du 6e REI. C’est probablement ce qui explique l’engagement tardif de la 13e dans les opérations. Pour Jean Simon, comme pour Pierre Messmer, le combat contre l’Allemagne nazie continue, même si cela doit être contre d’autres Français qui se trompent de cause. Si le devoir prime, ils n’en nourrissent pas moins que ceux qui s’abstiennent « le chagrin et le dégoût d’avoir à combattre des Français » suivant l’expression du général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre.

La 1ère DFL se voit confier l’offensive vers Damas à partir du sud. Le 8 juin, Jean Simon et la 13e franchissent la frontière. La progression est chaotique et lente car elle ne dispose que de bus hors d’âge réquisitionnés en Palestine. Elle est en réserve et atteint Cheik Meskine le 9. Le 13 juin, Jean Simon et ses légionnaires se trouvent face au verrou de Kissoué qui commande l’accès à Damas. Deux jours plus tard, l’assaut est donné qui emporte la décision après plusieurs jours de durs combats. La route de Damas s’ouvre pour la 13e DBLE qui poursuit son avance jusque devant Kadem, aux portes de la capitale de la Syrie.

Le 20 juin, le lieutenant Simon et ses légionnaires participent à la prise de Kadem. Mais, devant l’octroi, il est foudroyé par une balle et s’effondre. Grièvement blessé à la tête mais toujours conscient, il est évacué au bout d’une heure et demie. Jean Simon est alors donné pour mourant. Damas tombe le lendemain. Ce que Pierre Messmer rapporte de l’attitude flegmatique de son ami à Sœur Marie-Victoria, dans sa missive du 16 juillet, il l’a appris de ses légionnaires. Pendant vingt-quatre heures, il a cru Jean Simon mort ou en passe de l’être.

Cette victoire a un goût très amer. La 13e DBLE compte 21 tués et de nombreux blessés, dont le lieutenant Jean Simon. Pour lui, comme pour ses compagnons d’armes, cette campagne, qui « fut certainement la plus douloureuse » suivant ses mots, est à oublier. Il n’admettra néanmoins jamais l’attitude des officiers français de Vichy qui, selon lui, ont trahi la France.

Dans l’immédiat, Jean Simon est soigné de sa grave blessure à l’hôpital Séraphand à Jérusalem. Il entend reprendre au plus vite le combat. La perte d’un œil ne change rien à sa détermination. Il est venu pour se battre et relever l’honneur perdu de la France. Avec un œil en moins et alors qu’il n’est pas complètement remis, le capitaine Simon retrouve son unité à Homs le 1er octobre. Sa blessure continue à le faire beaucoup souffrir car il reste dans la cavité oculaire des éclats non extraits. Mais la guerre n’attend pas. Les éclats seront retirés à Tunis, en 1943, lorsqu’il aura – enfin – accès à un médecin ophtalmologue.

Entre-temps, Jean Simon participe, dès la fin de l’année 1941, à la campagne de Lybie à la tête d’une compagnie lourde de canons antichars de la 13e DBLE qui est rattachée à la 1ère brigade française libre (BFL). Ce qui ne lui laisse guère le temps ni la possibilité de donner des nouvelles à sa tante. Le 14 février, la 1ère BFL s’installe à Bir Hakeim et organise la position de manière à la rendre inexpugnable. Outre ces travaux de fortification, le capitaine Simon se distingue dans les raids menés depuis la position de Bir Hakeim dans le désert libyen pour harceler les forces germano-italiennes. C’est à la tête d’une de ces Jock Columns, qu’il se distingue et reçoit une nouvelle citation.

Le 26 mai, Rommel relance son offensive et, dès le lendemain matin, la division blindée italienne Ariete attaque en vain la position de Bir Hakeim. Début juin, Rommel lance ses meilleures troupes sur le camp retranché, espérant bien en finir rapidement. Commence alors le siège de Bir Hakeim qui voit les défenseurs repousser les assauts quotidiens et subir les bombardements incessants de l’adversaire. Mais, au grand dam du « renard du désert », la position tient et l’empêche de poursuivre son offensive en direction de l’Égypte.

Dans la nuit du 10 au 11 juin, le général Koenig, commandant le camp retranché de Bir Hakeim, doit se résoudre à effectuer une sortie de vive force afin de rejoindre les lignes amies. Au milieu de la nuit, alors qu’il va tenter sa sortie, le capitaine Jean Simon voit arriver le capitaine Messmer avec une trentaine de légionnaires, « tout ce qui reste de sa compagnie ». Flegmatiques en ces moments où la vie ne tient plus qu’à un fil, les deux amis échangent « au passage quelques mots sur la conduite de la guerre » rapporte Jean Simon dans ses Mémoires.

Jean Simon et Pierre Messmer s’en sortent miraculeusement tandis que la 1ère BFL paie un lourd tribut. Ils n’ont toutefois pas conscience de l’exploit réalisé. Pendant des semaines, les radios du monde entier ont retenti des exploits de ces Français libres perdus dans le désert libyen face aux troupes d’élite de l’Afrikakorps, dirigées en personne par le maréchal Erwin Rommel. Ils deviennent dès lors, pour la postérité, ces « soutiers de la gloire », suivant l’expression de Pierre Brossolette, qui redonnent à la France une parcelle de son honneur perdu en 1940.

Replié avec son unité au sud du Caire, le capitaine Jean Simon participe, le 23 octobre 1942, à l’offensive de diversion sur le massif de l’Himeimat dans le cadre de la contre-offensive britannique sur El Alamein. L’attaque se solde par un échec coûteux en vies humaines.

Jean Simon participe ensuite à la fin de la campagne de Tunisie avant de partir combattre en Italie avec la 1ère division française libre. Le capitaine puis commandant Simon est de toutes les batailles : Garigliano, Pontecorvo, libération de Rome et Radicofani. Fin août 1944, il débarque en Provence et remonte avec ses hommes jusqu’en Alsace. Fin novembre, il est de nouveau blessé devant Thann et évacué au Val-de-Grâce à Paris. Il n’a plus alors besoin des services de sa tante pour donner des nouvelles à sa famille. Il a la joie de revoir, pour la première fois depuis 1940, ses parents, sa sœur et son frère.

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