« LES ALLIANCES SONT UTILES ET PARFOIS NÉCESSAIRES MAIS ELLES NE SONT PAS ÉTERNELLES »
Par Pierre Messmer,
Ministre des Armées du général de Gaulle
« Une stratégie nationale, celle de la France, est par nature autonome. Le gouvernement doit garder les mains libres pour agir au mieux dans les changements aux conséquences imprévisibles dont nous ne pourrons pas rester toujours les témoins inertes. Notre autonomie de décision est inaliénable en ce qui concerne l’arme nucléaire : on n’imagine pas que le président de la République y renonce, ni ses successeurs. D’une façon générale, elle est nécessaire pour que la France ne soit pas entraînée là où elle ne voudrait pas aller ; elle est utile pour permettre des initiatives, le moment venu. Elle serait paralysée par une intégration des forces françaises dans un ensemble où elle ne relèverait plus du commandement national. C’est pourquoi de Gaulle avait été farouchement opposé à la CED, dans les années cinquante, et est sorti du commandement intégré de l’OTAN, dans les années soixante.
Autre principe de la stratégie gaulliste : les alliances sont utiles et parfois nécessaires, mais elles ne sont pas éternelles. Même « bonnes et solides », elles s’usent, s’affaiblissent, parce que les hommes, les nations, le monde change sans arrêt. […]
L’alternative de l’OTAN, imaginée par de Gaulle, est une organisation nouvelle, construite pour que l’Europe assure sa défense par elle-même et avec ses propres moyens. Peu importe que ce soit dans le cadre rénové de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) ou dans une organisation à créer. Il y voit la condition nécessaire de l’existence de l’Europe face aux grands empires et d’abord l’URSS – de Galle disait la Russie, vocable ancien qui revient à la mode – qui, même privée de ses satellites et malgré la crise qui la secoue, restera un grand pays par son peuple, ses richesses naturelles, sa culture, ses armées. En faisant équilibre à cette grande puissance européenne, l’Europe aiderait à la paix du monde […]. Le principal obstacle à une stratégie vraiment européenne, c’est-à-dire décidée par les Européens, ne tient pas au déséquilibre des forces avec l’URS […]. L’Europe de l’ouest est plus riche, plus forte, plus dynamique, plus peuplée que l’Union soviétique. En cas de besoin, elle peut compter sur les Etats-Unis et ce n’est pas la vieille machine usée de l’OTAN qui protège l’Europe contre les menaces d’agression : c’es la valeur politique, économique, donc stratégique qu’elle représente pour les Etats-Unis.
L’Europe a les moyens d’une stratégie européenne et même mondiale, mais elle n’en a pas la volonté parce qu’elle n’existe pas politiquement.
La mise en question de l’OTAN conduit-elle à la dissolution de l’Alliance atlantique ? De Gaulle ne le pensait pas lorsqu’il parlait « non point du tout d’une rupture mais d’une nécessaire adaptation.
Après tant de batailles…, Mémoires. Albin Michel, 1992, pp. 342-343.