Ahmad Massoud, fils du célèbre Commandant, héros de la résistance afghane, assassiné le 9 septembre 2001 en Afghanistan, a séjourné à Paris fin mars pour assister à l’inauguration d’une allée dédiée à la mémoire de son père derrière le petit palais. À cette occasion M. Massoud a souhaité visiter le bureau historique de général de Gaulle, rue de Solférino, où l’ont accueilli le Président et le vice-président de la Fondation Charles de Gaulle.

Dans son propos de bienvenue, Hervé Gaymard, lui-même élu de montagne, a précisé qu’il a suivi avec intérêt l’évolution de la situation afghane grâce à l’un de ses amis journalistes qui fut l’un des premiers grands reporters français arrivés à Kaboul après l’invasion soviétique de décembre 1979. Le président de la Fondation a rappelé que l’Afghanistan est important en France, d’une part, grâce au périple qu’y a effectué et brillamment évoqué André Malraux en 1929,  et au roman à succès « Les cavaliers » de Joseph Kessel, d’autre part, depuis le voyage qu’y fit Georges Pompidou en 1968 et, davantage encore, depuis le choc de l’invasion soviétique de 1979.

Ahmad Massoud a, pour sa part, déclaré qu’il connait l’action du général de Gaulle depuis son enfance car c’était « un modèle pour mon père qui admirait sa combativité dans l’adversité, son réalisme et sa capacité d’adaptation face aux défis et aux contraintes ». M. Massoud a aussi souligné que son père était « francophile et très sensible à la culture française. Il défendait la tolérance et un islam modéré opposé à celui des extrêmismes que soutiennent d’autres pays ».

Pour « garder vivant l’esprit du commandant Massoud et faire mieux connaitre son action et ses valeurs », son fils a créé une fondation qui réalise des documentaires audiovisuels et des livres pédagogiques. Il envisage la création d’un musée dans la maison où habitait son père et met en œuvre des programmes d’enseignement qui ont déjà touché plus de 140 000 élèves dans différents établissements scolaires d’Afghanistan pour faire mieux connaitre les raisons du combat du commandant Massoud et de ses compagnons.

En cliquant sur ce lien, nos lecteurs peuvent accéder à l’article de notre ami Renaud Girard paru à ce sujet dans Le Figaro du 27-28 mars.

AHMAD MASSOUD, LE FILS QUI REPREND LE FLAMBEAU DE SON PÈRE

par Renaud Girard
Journaliste
Membre de la Convention de la Fondation Charles de Gaulle

Quand je vis entrer Ahmad Massoud dans le salon d’un hôtel de l’avenue Kléber, le visage de son père, au soleil de la plaine de Chamali, me revint immédiatement. Quelle incroyable ressemblance physique ! Même barbe fine, mêmes yeux en amandes, même nez aquilin, même mélange de douceur et de détermination. En l’espace d’une seconde je fis un voyage dans le temps de vingt-cinq ans, me remémorant ces journées d’octobre 1996 que j’avais passées avec le commandant Massoud. C’était l’époque où le chef de l’Alliance du Nord cherchait à reprendre aux talibans la ville de Kaboul, qui était tombée le 27 septembre 1996. Il m’emmenait au combat dans sa jeep russe ; il donnait ses ordres au talkie-walkie ; et je regardais à la jumelle évoluer ses unités de moudjahidine : dans ces montagnes sans pollution, la vue portait très loin.

Le « lion du Panshir » avait reconquis devant moi la grande base aérienne de Bagram, jadis construite par les Soviétiques. J’imaginais imminente une libération triomphale de Kaboul, que je n’aurais pas manquée pour tout l’or du monde. Mais, un soir, Massoud me fit venir auprès de lui. Je ne savais pas que c’était la dernière fois que je le verrais de ma vie. Il me prévint qu’il allait quitter son QG de Djabul Saraj, pour aller passer quelques jours avec sa femme et ses enfants, au fond de la vallée du Panshir. Parmi eux, je le sais aujourd’hui, il y avait le jeune Ahmad, 7 ans, fils unique, entouré de sœurs qui le chérissaient et le chouchoutaient. Je compris que le commandant Massoud n’avait pas réellement envie de reprendre Kaboul au prix d’un bain de sang et je repartis vers la frontière pakistanaise.

Cinq ans plus tard, le 9 septembre 2001, il sera assassiné par deux islamistes tunisiens, déguisés en journalistes de télévision. Deux jours avant les attentats de New York et Washington, l’idée d’Al Qaïda était de priver de chef militaire l’Alliance du Nord. Oussama Ben Laden avait bien sûr anticipé que les Américains réagiraient militairement contre le régime des talibans en Afghanistan. Mais les Tadjiks et les Ouzbeks de l’Alliance du nord se trouvèrent d’autres chefs et, grâce au soutien financier de la CIA et aux bombardements de l’US Air Force, parvinrent à reprendre Kaboul dès le 13 novembre 2001.

Enivrés par ce succès, les Américains promettent, à la conférence de Bonn le mois suivant, que l’Otan va reconstruire, démocratiser et développer l’Afghanistan. En l’espace de vingt ans, « ils vont dépenser 800 milliards de dollars », explique Ahmad Massoud dans son anglais parfait, appris à l’académie militaire britannique de Sandhurst. Ils vont construire deux excellents réseaux, routier et téléphonique. Des infrastructures que les talibans vont utiliser à leur avantage quelques années plus tard, quand ils reviendront de leurs sanctuaires pakistanais pour reprendre le combat contre l’étranger infidèle. Perçus par la population villageoise comme moins corrompus que les fonctionnaires envoyés par Kaboul, les talibans vont progressivement reprendre toutes les campagnes et même les banlieues des capitales provinciales.

Lassés par cette guerre dont ils ne voient pas la fin, les Américains de l’administration Trump ont négocié avec les talibans un accord de retrait militaire total pour le 1er mai 2021. Biden hésite aujourd’hui à l’appliquer. Ahmad Massoud condamne cette paix précipitée. Il s’appuie sur le mouvement de résistance qu’il a fondé, englobant des tadjiks comme lui, mais aussi des ouzbeks, des hazaras et des pashtounes (tous les talibans sont pashtounes mais tous les pashtounes ne sont pas talibans). « J’espère que les Américains ne vont pas refaire leur erreur du Vietnam, où leur retrait précipité avait permis aux armées communistes du nord de déferler sur le sud, pour y imposer un régime horrible ! », explique le jeune leader de 32 ans. Il remarque que les militaires américains, cantonnés dans leur base de Bagram où ils font de l’instruction, ou affectés à la défense de leurs bâtiments diplomatiques à Kaboul, n’ont pas eu un seul mort en un an. Mais il estime que leur départ pourrait avoir un effet démoralisateur terrible sur l’armée nationale afghane, qui manque déjà de leadership et de motivation.

Ahmad Massoud ne fait aucune confiance aux talibans pour respecter leurs opposants, ni au Pakistan pour inspirer de la modération à leurs protégés. Voilà pourquoi, préventivement, il rebâtit un mouvement aux allures d’Alliance du nord, dont il n’a pas encore choisi le nom final. Il pense qu’un retour des talibans au pouvoir engendrera mécaniquement une guerre civile et une immense vague d’immigration vers l’Europe.

Le fils d’Ahmed Shah Massoud pense qu’un gouvernement islamique modéré de l’Afghanistan est toujours possible. Sur quelles bases ? « Il y en a quatre. Un gouvernement inclusif issu d’élections libres et transparentes. Une décentralisation à la suisse. Un Etat de droit qui empêche tout transfert de pouvoir par la force, au niveau local comme au niveau fédéral. Le monopole de la détention d’armes pour les forces gouvernementales de sécurité ». Le modèle suisse fascinait déjà feu le commandant Massoud…

Les talibans ont envoyé une délégation au domicile d’Ahmad Massoud à Kaboul. Ils lui ont proposé trois options : l’adhésion au mouvement des « étudiants en religion », l’alliance, la neutralité. « Bref, ils sont venus me demander ma reddition ! Ils se sont comportés comme les envoyés de Yazid avec Hussein. Je préférerais finir comme lui que me soumettre ! », s’exclame Ahmad. Bien que sunnite, le fils du Commandant Massoud n’hésite pas à saluer le courage du petit-fils de Mahomet et troisième imam du chiisme, mort en se battant, les armes à la main, à Kerbala, en 680 après JC…

Renaud Girard

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