BARBAROSSA : 1941 – LA GUERRE ABSOLUE
Compte-rendu de Richard Stein
Ce livre paru en 2019 pourrait servir d’exemple à tout auteur désireux de publier un ouvrage d’histoire militaire, à la fois érudit et grand public.
Sur le travail d’historien d’abord : l’ouvrage écrit sur la base de fonds d’archives collectés grâce à un remarquable réseau de chercheurs est parfaitement documenté et abondamment annoté. Une conséquente bibliographie et un catalogue de sources imprimées ajoutent au sérieux du travail qui range le livre dans la catégorie des ouvrages de référence sur un sujet historique donné.
Il est vrai que les deux auteurs présentent a priori toutes les garanties sur le plan historique et sur la méthodologie rédactionnelle :
Jean Lopez, spécialiste d’histoire militaire (il est le créateur et dirigeant de la revue Guerres et Histoire), est l’auteur d’autres ouvrages de référence sur la guerre à l’est.
Lasha Otkhmezuri , docteur en histoire, a déjà cosigné avec Lopez d’autres livres sur le sujet.
Le second aspect qui fait de ce livre une somme historique est qu’il étudie la période allant du 22 juin 1941 à janvier 1942 non pas seulement par la narration et la description des faits militaires mais également par une analyse économique, psychologique, politique et idéologique des décisions des deux états-majors. Le parfait parallélisme de l’étude de l’action et des réactions des deux camps est certainement une des richesses du travail produit : on a trop souvent étudié cette guerre du point de vue allemand ou russe, la neutralité de l’historien devient alors sujette à caution.
Dans cet ordre d’idée l’architecture de ce gros ouvrage (1800 pages en livre de poche) est édifiante : les deux premières parties représentant un tiers du livre sont consacrées au cheminement qui aboutira à la guerre. Grâce à une fine analyse psychologique à travers les écrits et déclarations des deux dictateurs, et bien sûr le poids de l’histoire des deux pays, en particulier depuis 1918, les auteurs donnent un éclairage limpide sur l’inéluctabilité des événements qui aboutiront à la terrible guerre.
Ainsi il est clair que, autant les trois dernières parties pourront satisfaire tout historien intéressé par le fait purement militaire, tant tactique que stratégique, avec un descriptif exhaustif de tous les mouvements de troupes et leur résultat détaillé; autant les deux premières parties sont accessibles à tout amateur d’histoire désireux de comprendre la réalité de ce qu’il s’est passé dans le plus terrible et monstrueux affrontement de la deuxième guerre mondiale ( 5 M de morts en 200 jours).
Il est en premier lieu primordial de bien comprendre l’aspect idéologique du conflit. Au-delà de Hitler et Staline, le nazisme et le communisme, la SS et la NKVD sont les principaux acteurs de la guerre. Une des conséquences de cet état de fait est que la réalité militaire du terrain sera souvent occultée de part et d’autre par les aprioris idéologiques ce qui ne fera qu’aggraver les aveuglements donc les désastres pour les deux protagonistes.
Le fond de la pensée d’Hitler concernant la Russie se construit à Munich entre 1919 et 1923. C’est pendant cette période qu’il crée le concept de judéo-bolchévisme. En effet les juifs sont selon lui à l’origine du système communiste ce qui fait d’eux doublement les ennemis naturels. En outre le racisme fondamental de la pensée nazie conduit à voir les russes comme des sous hommes, à la limite de la civilisation. Il convient de les coloniser à l’instar de ce qu’il s’est passé en Afrique et en Asie. Cette idée germe d’ailleurs dans l’inconscient germanique lors de l’occupation de 1915.
A ces deux aspects s’ajoute la nécessité du lebensraum : pourvoir à l’alimentation du peuple allemand (Hitler considère que le manque de denrées est une cause fondamentale de la défaite de 1918). La durée de l’état de guerre à l’est et les limites des territoires à conquérir ne sont pas conceptualisées.
Ce qui est confondant pour la compréhension des événements est que toutes ces conceptions qui sont en réalité l’alpha et l’oméga de l’idéologie nazie sont en quelque sorte du domaine public : à la fois exposées dans Mein Kampf et répétées dans de nombreux discours du führer !
La preuve du caractère primordial de ces idées est donnée dès le 3 février 1933 lors d’une réunion privée avec les principaux chefs de l’armée allemande. Pour cette première rencontre au lendemain de sa prise de pouvoir Hitler leur fait un discours de 2h30 durant lequel il expose les points ci-dessus énoncés comme étant l’objectif fondamental de sa politique étrangère.
Ce qui est inouï est que le compte rendu de cette réunion sera transmis immédiatement par un espion à Staline qui n’en tiendra jamais compte. Étonnante aussi l’absence totale de réaction des participants…
Staline a pour ce qui le concerne deux préoccupations. D’une part le pays se trouve en état de guerre civile larvée et l’ennemi de l’intérieur représentera toujours pour lui un plus grand souci que l’ennemi de l’extérieur. D’autre part il est obsédé par l’isolement de l’URSS car il connaît l’hostilité des démocraties occidentales et redoute de devoir se trouver seul face au Japon.
La mise en œuvre de la pensée géostratégique d’Hitler comprend trois volets.
D’abord isoler la Russie, ce qui est en partie réussi grâce au pacte antikomintern avec le Japon et l’Italie.
Ensuite renforcer le peuple allemand en Europe centrale : l’Autriche, les Sudètes, la bohème Moravie sont les conséquences de cette nécessité.
Enfin il compte sur deux alliances ou au minimum deux neutralités.
D’abord il pense pouvoir signer une paix séparée avec l’Angleterre sur la base suivante : à l’Angleterre la mer et son commerce (avec abandon des ambitions de la kriegsmarine) et à l’Allemagne les espaces russes. Il est accroché de bout en bout à cette idée jusqu’à penser que l’invasion de l’URSS sera de nature à faire aboutir ce projet en montrant aux anglais leur propre isolement.
La seconde quête diplomatique est orientée vers la Pologne dont il souhaite l’alliance ou au moins l’autorisation de traverser son territoire. En effet curieusement celle-ci n’entre pas dans les vues de conquête du führer à ce moment. Elle est considérée comme pouvant être un état plus ou moins satellite comme la Roumanie ou la Bulgarie. Des négociations sont engagées en 1939 avec le gouvernement polonais qui ne s’y oppose pas. Elles échoueront uniquement sur la question de Dantzig que l’Allemagne veut récupérer, le gouvernement polonais étant intransigeant sur cette question. Il est à noter qu’à l’époque cette ville était libre et ne dépendait pas du gouvernement polonais.
Ce n’est qu’à partir de ce refus qu’Hitler modifie ses plans. Si l’alliance avait été faite (l’une des quelques uchronies de cet ouvrage) l’attaque contre la Russie aurait pu avoir lieu plus tôt, sans la guerre avec la France, avec de bien meilleures chances de succès. La Pologne par son intransigeance a-t-elle changé le cours du conflit ?
Dès lors la porte est ouverte pour l’entente des deux dictateurs. Intérêt bien compris de part et d’autre : rompre l’isolement pour l’un et se procurer des approvisionnements, qu’il ne peut prendre lui-même, pour l’autre. En réalité le pacte germano soviétique est à ce stade un accord commercial dans leur esprit : machines contre matières premières, chacun pensant à l’effort de guerre qu’il doit entreprendre (d’autant que le blocus anglais commence à se faire sentir).
Il est capital de réaliser que le projet d’Hitler n’a pas changé concernant la Russie, il l’exprimera à un représentant de la SDN en août 1939 : « Tout ce que j’entreprends est dirigé contre la Russie, si l’occident est trop bête ou trop aveugle pour comprendre ça, je serai obligé de m’entendre avec les russes, de frapper l’occident, puis après sa défaite de me tourner, toutes forces réunies, vers l’union soviétique. J’ai besoin de l’Ukraine afin qu’on ne puisse pas encore une fois comme durant la dernière guerre nous affamer « Tout est dit avec une constance et une clarté qui ne seront pas démenties.
À ce moment Hitler est en totale opposition stratégique avec l’état-major de la Wehrmacht. Celui-ci pense que si la victoire en Russie sera facile et ne fait aucun doute, elle ne servira à rien, les fournitures russes étant suffisantes pour l’armée. Halder le maître d’œuvre de Babarossa et chef d’état-major de l’OKH (haut commandement de l’armée) écrit à l’époque « on ne voit pas en quoi cette attaque dissuadera l’Angleterre «. Il prône une stratégie méditerranéenne moins coûteuse en forces et plus efficace contre les anglais. Il est important de bien comprendre que ce même état-major est impressionné par la stratégie gagnante du führer en France, en Europe centrale et en Pologne.
Rien ne se passera comme prévu de part et d’autre, chaque camp va se tromper sur l’adversaire et cumuler les erreurs.
Pour les Allemands :
- Sous-estimation de l’armée russe. Il est vrai que la structure du pays rend l’espionnage difficile et que le renseignement aérien manque de profondeur.
- Armée sous dimensionnée pour cette guerre (3000 avions engagés contre 4000 en France) et moins mécanisée qu’on ne l’imagine ( 29 divisons mécanisées contre 105 à pied et à cheval).
- La profondeur n’est pas prise en compte et les problèmes logistiques sont largement sous -estimés, Hitler privilégiant le camion par rapport au train, ce mode de transport se montrera insuffisant pour tous les approvisionnements de plus en plus lointains, avec un réseau routier en mauvais état.
L’idée dominante est que les russes se soulèveront contre le régime et que l’armée est un gros corps mou mis à mal par les purges. Surtout encore une fois, il convient de mettre en avant le fond de la pensée idéologique : les russes sont un peuple inférieur, « enjuivé » de surcroît.
Enfin si le bien-fondé de la campagne est contesté par les militaires, celle-ci sera entachée par un conflit tactique permanent entre Hitler et Halder. Le premier souhaite porter l’effort sur les ailes du front (prendre Leningrad et Mourmansk au nord et l’ Ukraine au sud) l’autre estime que l’urgence est de prendre Moscou et donc l’outil industriel russe. Ne pas régler cette différence de conception aura des conséquences désastreuses.
Pour les Russes :
- Les effets des purges se font sentir sur l’encadrement et les prises de décision des officiers.
- Staline est convaincu que le conflit démarrera lentement après l’envoi d’un ultimatum !!!
- Toute la stratégie est basée sur une offensive à outrance. Elle le restera tout au long de l’année 1941. Il faudra attendre la bataille de Moscou pour envisager un système défensif.
- Les unités sont hypertrophiées, ce qui ajoute au déficit de cadres (dans la Russie de Staline la fonction militaire est sous valorisée, en particulier par rapport à l’industrie).
Pourtant dès le début de la guerre si l’organisation de l’armée et la chaîne de commandement pèchent sur bien des aspects, l’industrie est largement au niveau nécessaire. En effet, eu égard à la nature du régime l’économie est axée sur un modèle industriel qui est déjà en réalité une industrie de guerre. De telle sorte que la Wehrmacht ne disposera pas de la supériorité matérielle (en 1941 l’aviation russe dispose de 20000 appareils). Plus étonnant cette infériorité sera parfois technique : le T34 soviétique sera une désagréable surprise pour les panzers.
En réalité la mauvaise utilisation des troupes et du matériel, le chaos de l’organisation et une stratégie indigente seront les seuls responsables des désastres à venir.
Un chapitre entier du livre est consacré à l’aspect criminel du conflit qui sera détaillé tout au long du déroulement des opérations.
Hitler a bien expliqué aux généraux qu’il s’agit d’une guerre coloniale. Outre l’élimination prioritaire des juifs et des commissaires politiques, il n’y a pas lieu de prendre en considération la population. La famine est planifiée en partie pour nourrir les soldats, mais aussi pour faire par la suite place aux colons.
Les auteurs tordent ainsi le cou à la doxa diffusée après-guerre par les généraux d’une Wehrmacht « propre » dépassée par les SS et les einsatzgruppen qui porteraient toute la responsabilité des crimes.
Deux « ordres criminels « feront que l’opération Barbarossa « sera un voyage au cœur des ténèbres et de la barbarie ».
Dès mars l’OKH donne son accord pour que les SS et les einsatzgruppen ne dépendent plus de l’armée et aient une totale liberté d’action.
Les soldats eux-mêmes auront droit de vie et de mort sur tout homme pouvant être considéré comme partisan : les tribunaux de guerre sont supprimés. Ils ne seront, en conséquence, exemptés du tribunal militaire pour toutes leurs exactions à l’exception de cas de viol.
Ces décisions, outre leur réalité raciste et idéologique, ont une justification aux yeux de l’état-major : il est impossible pour les 143 divisions combattantes de surveiller l’arrière du front de plus en plus vaste, d’y assurer la police et de lutter contre les partisans qui ne manqueront pas de prendre la lutte.
La froideur des chiffres est terrible : le bilan sera la mort par famine ou maladie de 4 à 7 millions de civils, la mort par maltraitance de 3 millions de prisonniers, et celle de 800000 habitants de Leningrad. Avec en outre l’exécution de 2,8 millions de juifs, les einsatzgruppen « auront été les portiers de la solution finale ».
Il est connu que Staline a été informé de l’imminence de l’attaque, d’ailleurs il était impossible d’ignorer la concentration des troupes, mais il n’y croyait pas car il pensait tenir Hitler grâce aux fournitures de matières premières, il pensait, en outre, qu’il ne ferait pas la guerre sur deux fronts. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l’amateurisme du GRU et la défiance de Staline envers les informations venant des anglo-saxons, il a en outre toujours privilégié le renseignement intérieur sur le renseignement extérieur. Son manque de confiance l’a conduit à ne pas croire à la date précise de l’attaque qui lui a été donnée.
L’offensive a donc lieu le 22 juin au matin sur trois fronts : von Leeb au nord (700000 hommes contre 400000 russes), von Boch au centre (1,3 million d’hommes contre 700000 russes), von Runstedt en Ukraine (900000 hommes contre 1 million de russes). Sur le papier l’avantage en ce qui concerne le matériel est largement soviétique (parfois 1 à 2) mais la mauvaise utilisation et une tactique inepte va entraîner la panique des troupes et la destruction du matériel (1800 avions en un jour).
Du 23 juin au 9 juillet les trois groupes d’armée avancent alors que les russes tentent des contre offensives inutiles et meurtrières. Au centre un grand encerclement (tactique du chaudron cher à l’état-major germanique) permet la prise de 300000 prisonniers. Au total à la mi-juillet l’armée russe a perdu 760000 hommes 11700 chars et 6000 avions. Cependant, contrairement à ce que pensait Halder, l’ennemi n’est pas anéanti. C’est la première grande désillusion : « nous avons compté au début de la guerre qu’il y aurait 200 divisons, on en compte 360. Ces divisions ne sont pas armées et mal conduites mais elles sont là. Nous en détruisons une douzaine, il en revient une douzaine «.
Halder réalise aussi qu’il s’éloigne de ses sources d’approvisionnement alors que l’ennemi s’en rapproche.
Dès le commencement des hostilités la sauvagerie est présente partout. La propagande nazie présentant le russe et le juif comme des sous hommes, on passe immédiatement des mesures de police au début du génocide.
D’août à septembre l’avance continue. À Leningrad si la ville n’est pas prise, les russes perdent 340000 hommes. Deux autres chaudrons à Smolensk et à Kiev permettent la prise de 350000 et 450000 prisonniers.
Suite à ces désastres, la terreur stalinienne est à son comble, il réorganise le haut commandement pour tout concentrer entre ses mains. Le NKVD procède à des purges identiques à celles de 1938. « Aucun soldat n’a été aussi mal traité que le soviétique « ce qui explique que au moins 1,3 million de russes combattront pour la Wehrmacht. Le NKVD frappe les officiers mais également leur famille, y compris celles des prisonniers ! Sur 24 commandants d’armée, 15 seront exécutés ou rayés des effectifs.
Malgré cela les troupes se reconstituent grâce au réservoir d’hommes (194 millions de russes contre 80 millions d’allemands) et à une production industrielle énorme, l’appareil de production d’armement ayant été avant-guerre surdimensionné. Au total Staline pourra disposer en décembre de 54 armées (18 en juin) et de 4,3 millions d’hommes (2,8 en juin).
Le 6 septembre une nouvelle opération est décidée dans le cadre de Barbarossa : l’opération Typhon destinée à ouvrir la route de Moscou. Bien que l’armée allemande soit fatiguée et moins bien équipée qu’au début de la campagne, elle arrive à 200 km de la capitale. Les russes ont encore perdu 300000 hommes et 600000 prisonniers dans deux nouveaux chaudrons. Hitler retrouve un grand optimisme et c’est d’autant plus la panique à Moscou que le Dombass est pris au sud avec 100000 prisonniers. En même temps échec de l’armée roumaine devant Odessa. Elle se vengera lorsqu’elle aura pris la ville en assassinant les 80000 juifs s’y trouvant.
Les premiers insuccès arrivent en novembre avec en particulier le premier échec d’un encerclement. Les allemands sont stoppés à 50 km de Moscou grâce à la stratégie de Youkov et au premier emploi efficace des chars T34 et KV1. En outre les premières difficultés logistiques qui ne seront jamais résolues surviennent de manière préoccupante.
Pour les mêmes raisons l’armée piétine à Leningrad et ne peut s’ouvrir la route de Mourmansk ce qui sera fatal car ce sera un des deux poumons de l’URSS pour l’aide des alliés (l’autre étant l’Iran que les anglo russes ont verrouillé en août). Échec également devant Sébastopol, la flotte russe étant maîtresse en mer noire. Les auteurs montrent bien que l’objectif de l’opération au nord était la prise de Mourmansk et non celle de Leningrad : il s’agit de laisser mourir les habitants pour ensuite raser la ville, ce qui donne un caractère historique unique à ce siège. Si plus de 500000 habitants réussissent à fuir, la répression du NKVD ne faiblira pas.
À ce moment Hitler est bien isolé. Les roumains et les hongrois doutent de la victoire, les finlandais attentistes ne lancent pas l’offensive souhaitée (ils n’en ont d’ailleurs pas les moyens). Surtout le Japon, méfiant envers Hitler depuis le pacte germano soviétique, ne s’engagera pas en Sibérie. Il a un argument fort : l’armée russe massée à la frontière est plus importante que celle de Moscou (720000 hommes).
Dans ce contexte défavorable une dernière offensive d’hiver forcément vouée à l’échec va être lancée sur les trois fronts. Décidée par Hitler et Halder qui pensaient l’armée russe finie, elle était redoutée par tous les généraux. Ils savaient bien que la wehrmacht était exsangue et que toutes ces batailles, même victorieuses, l’avaient usée. Elle n’avait ni le matériel, ni les fournitures, ni les effectifs suffisants face à une forte armée soviétique comme toujours sous-estimée.
L’échec sera total. Les généraux allemands après-guerre auront tous, pour en expliquer le motif, un langage commun (comme nous l’avons vu au sujet de la responsabilité de la Wehrmacht dans les massacres) : la faute en revient « au général hiver ». Cette explication ne tient pas car les conditions météorologiques ne furent pas spécialement désastreuses (une logistique adaptée aurait pu y remédier) et en outre elles sont les mêmes pour les russes. La légende des troupes venues de Sibérie a été inventée après coup : Staline les gardait face au Japon. La réalité toute simple est que cette offensive était une folie au regard de l’extrême faiblesse de l’armée.
En décembre et janvier, Staline ayant réalisé l’extrême faiblesse de l’armée allemande décide une offensive sur tous les fronts. Mal organisée et avec des effectifs malgré tout insuffisants, ce n’est pas le succès espéré mais on gagne de 100 à 200 km sur le front de Moscou. Cependant l’armée allemande recule pied à pied et n’est pas enfoncée, ce n’est pas un désastre: perte de 50000 hommes et de 400 chars.
Il s’ensuit une grave crise de commandement, Hitler limoge les chefs des trois groupes d’armée et prend à titre personnel le commandement.
Si l’on considère que l’armée russe a été en réalité deux fois détruite en cinq mois (les effectifs étaient en juin de 4,4 millions d’hommes et de 22600 chars, ils sont en novembre de 2,3 millions et 1900 chars), on comprend la stupeur des allemands devant ces deux reconstructions. Entre juin 41 et janvier 42, la mobilisation a porté sur 12 millions d’hommes ! Halder a écrit « la force réelle de l’armée rouge et du régime bolchevique sont les énigmes les mieux gardées au monde ».
Malgré tout la deuxième reconstruction pas assez aboutie n’aura pas permis à Joukov de détruire une armée allemande pourtant au bord de la rupture. Au contraire les pertes russes sont considérables ce qui conduit à l’arrêt de l’effort offensif. Sur cette bataille Staline a en quelque sorte raté son coup, mais les observateurs comprennent que l’issue ne fait plus de doute. Pour ceux qui en douteraient, la déclaration de guerre faite par Hitler aux États Unis le 11 décembre 1941 prouve que le succès de l’Allemagne nazie n’est plus dans l’ordre du possible.
Moscou et Leningrad ne sont pas prises et le Caucase paraît alors hors de portée. Barbarossa est donc bien un échec essentiellement puisque l’armée russe n’a pas été anéantie.
L’explication en est donnée selon les auteurs par la conjonction de trois éléments principaux :
- La Wehrmacht n’avait pas assez de réserves et elle s’est effritée petit à petit.
- L’économie planifiée soviétique était déjà une économie de guerre et Staline a pu transformer le pays en un immense camp militaire.
- Le peuple est resté fidèle au régime malgré (ou à cause ?) les purges, ce que personne en Allemagne ni en Occident ne prévoyait. La guerre est devenue patriotique.
En conclusion l’ouvrage compte quelques uchronies, qui peuvent porter le flanc à la critique du point de vue de la rigueur historique, mais il est difficile de ne pas traiter cette question : la victoire d’Hitler était-elle possible ?
Nous avons vu que l’alliance polonaise aurait pu changer la donne, mais surtout les auteurs répondent à cette question par l’affirmative sur un point : la création de gouvernements autonomes s’appuyant sur les minorités aurait pu entraîner la chute de l’URSS.
La réalité est que cela était tout à fait impossible compte tenu de l’idée qu’Hitler, et les allemands, se faisaient des populations envahies. En ultime analyse c’est bien le dogmatisme raciste qui a conduit à l’échec irrémédiable de la campagne.
« Les Allemands se sont rendus plus insupportables aux moujiks en un an que les communistes en 25 ans ».