LE 18 JUIN 1940

par Alain Juppé
Ancien Premier ministre
Membre du Conseil constitutionnel

Extrait de la revue Espoir n°161 (été 2010)

Je n’ai pas entendu l’appel du 18 juin 1940 ni vécu les journées de la Libération, à Paris ou à Bordeaux fin août 1944. Le général de Gaulle ne m’est vraiment « apparu » qu’en mai 1958 ; je n’avais pas encore 13 ans. Certes, mon père, résistant dans le Corps franc Pommiès, évoquait souvent avec révérence le nom du Général. Mais, homme modeste, il ne racontait pas volontiers sa guerre. Tout juste faisait-il ardemment campagne, à chaque élection, pour les candidats gaullistes à commencer par Chaban en Aquitaine. C’est donc à travers la crise algérienne, ses drames – vécus de près car mon frère servait dans les Aurès –, son issue, que j’ai appris à connaître de Gaulle et la geste gaullienne.

Très vite j’ai été fasciné par la clairvoyance et le courage avec lesquels il fixait et tenait le cap au plus fort des tempêtes.

Puis, la paix revenue, alors que j’entrais dans ma vie étudiante, j’ai adhéré sans partage à l’action qu’il menait pour hisser la France au rang où il voulait la voir : un des tout premiers.

J’ai défilé sur les Champs-Élysées, en queue de cortège, le 30 mai 1968. Et le 27 avril 1969, sous ma tente de jeune élève-officier (EOR) e manœuvre en Normandie, j’ai pleuré en apprenant à la radio le succès du non au référendum… que fêtaient la plupart de mes camarades de chambrée.

Aujourd’hui, avec le recul, lorsque je dois répondre à la question récurrente des journalistes : « Où vous situez-vous sur l’échiquier politique ? À droite ? Au centre ? », j’affirme tout simplement « Je suis gaulliste ». Et je m’efforce de définir ce que j’entends par là.

Certes pas la pratique d’un culte ni l’adhésion à une idéologie. Mais le sentiment d’être en harmonie avec une démarche qui, mieux qu’aucune autre à mes yeux, allie patriotisme et humanisme. Il suffit de reprendre les formules du général de Gaulle lui-même : « une certaine idée de la France », une certaine idée de l’homme. L’amour charnel de la patrie : de Gaulle parlait de la France comme d’une personne de chair et de sang dont l’abaissement le torturait, dont la grandeur l’obsédait. Dépassant les vieux clivages partisans droite-gauche, il voyait dans le rassemblement de tous les Français autour des valeurs de la République le seul chemin.

En même temps, le respect intransigeant de la personne humaine, de sa dignité, du haut en bas de l’échelle sociale, jusqu’au rêve un peu flou (ou fou ?) de la « troisième voie » pour donner au salariat toute sa part de responsabilité dans l’entreprise, au même titre que l’actionnariat.

Après quelques années de libéralisme dénaturé, sans foi ni loi, voici qu’on redécouvre le besoin d’État. La vraie liberté est incompatible avec le fanatisme du marché ; seul l’État, qui n’est certes pas toujours le meilleur « gérant » des activités économiques, est en tout cas le « garant » qui fixe les règles du je politique, économique et social.

Et si, finalement, une bonne cure de gaullisme nous était salutaire ?

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