LE 18 JUIN 1940

par Jean Lacouture (1921-2015)
Journaliste et biographe du général de Gaulle

Extrait de la revue Espoir n°161 (été 2010)

Autant de citoyens, autant d’attitudes et de comportements à l’égard du Général et du gaullisme. Pour certains, moins rares qu’on ne le dit, la lumière fut immédiate : dès le 18 juin (ou l’appel ainsi daté qui fut le plus souvent reçu sous une autre forme, le 22) la convocation fut d’emblée entendue et comprise, pour certains même, les meilleurs, suivie du passage à l’action sur une rive ou l’autre de la Manche.

Je ne fus pas de ceux-là, et e garderai toujours le remord.

Je fus de ceux qui, tenant d’emblée pour infâme l’appel à une reddition de Pétain, le 17 juin, ne surent pas entendre la sommation venue de Londres.

De Paris où l’on nous avait fait passer à la hâte nos examens de Sciences po, je m’étais jeté dans le premier véhicule venu, le 14 juin, date de l’entrée de la Wehrmacht dans la capitale pour regagner Bordeaux où m’attendaient les miens, en quatre journées de marche, de stop, de charrettes en wagons à bestiaux, au cœur du lamentable troupeau qu’était devenu notre peuple foudroyé.

J’étais parvenu à bon port dans la soirée du 17 pour entendre la voix chevrotante du vieil homme. C’est le 22 juin – n’ayant pas pris Radio-Londres le 18 – que nous entendîmes le général de Gaulle. Et alors que tous les miens, ma mère surtout, saluaient les larmes aux yeux le second appel du Général – dont, à Science po, j’avais avec mes amis les plus proches, salué avec joie l’arrivée « aux affaires » au début du mois de juin – je restai plus ou moins sceptique, objectant que ces phrases superbes cadraient mal avec l’état de déliquescence où je venais de voir s’abîmer notre pays. « Belles phrases », osai-je proférer sur un ton de petit prof, au scandale des miens.

Ce n’est que peu à peu, à partir surtout de l’entrée en guerre des États-Unis qui donnait raison au visionnaire de juin 1940, que je dus convenir de ma myopie de jeune vieillard. Il m’aura fallu des mois pour comprendre, des années pour prendre des risques. Et des décennies pour rendre justice au prophète actif de juin 1940 – autant que peut le faire un ouvrier de la onzième heure.

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