« LE MYSTÈRE RICHELIEU », DE PHILIPPE LE GUILLOU (ROBERT LAFFONT, LES PASSES-MURAILLES, 2021)

par Jean-Yves Perrot

La passion de Philippe Le Guillou pour Richelieu remonte à l’enfance et est avant tout picturale. Elle repose sur la fascination précoce, qui ne l’a jamais quittée, pour le tableau de Philippe de Champaigne, découvert dans un de ses premiers livres d’histoire, alors encore enseignée comme « la geste magnifique et armoriée », campant le cardinal debout et comme illuminé par les couleurs fortes de sa tenue d’apparat. Par la suite, Le Guillou parcourra musées et églises, en y retrouvant souvent Richelieu, de Rumengol, sanctuaire finistérien de toute sa vie, jusqu’à sa chère église Saint-Eustache où Richelieu fut baptisé, sans oublier Saint -Louis-des-Français à Rome, où il fut ordonné prêtre et sacré évêque en avril 1607.

La structure même de son livre est picturale. Elle suit le destin, avant tout politique, de celui qui se destinait au service des armes et que son rang dans sa famille et le choix de son aîné poussèrent sans vocation particulière au service des autels. Très vite cependant, Richelieu, sans négliger ses charges ecclésiastiques, conçoit une vive ambition politique, servie par son intelligence et son éloquence. Etats généraux de 1615, les derniers avant ceux de 1789, dont il prononce à 29 ans le discours de clôture malgré sa jeunesse et qui le sort, en attirant sur lui l’attention puis la faveur royale, de son diocèse de Luçon en Vendée où il déploie un véritable zèle apostolique. Siège victorieux de La Rochelle contre les irréductibles représentants locaux de la religion prétendument réformée et leurs alliés anglais. Lutte contre la Fronde pour asseoir l’autorité du pouvoir royal. Journée des dupes où son habileté déjoue une fois encore toutes les intrigues de Cour… Les tableaux défilent, des grands moments et des lieux, évoqués avec la force d’évocation dont les lecteurs de Philippe Le Guillou sont familiers, où se forge le destin du premier Premier ministre de l’histoire de France, qui, malgré une santé chancelante et bien des malheurs publics, restera en poste durant 18 années. Philippe Le Guillou ne dissimule pas, mieux, il évoque, à plusieurs reprises, à propos de son héros, sa nostalgie d’une manière d’enseigner et d’apprendre l’histoire de France.

En fait, derrière cette nostalgie avouée et assumée, on en sent poindre une autre, implicite et d’autant plus poignante celle-là : celle d’une France rayonnante, «mère des arts, des armes et des lois», catholique et fière de son identité, habile sur le terrain diplomatique, loin de tout angélisme, consciente que tout est rapport de force et que rien, en dernier ressort, ne dépasse jamais la raison d’Etat lorsqu’il s’agit d’assurer le salut du pays (« J’honore ma mère, mais je me dois à l’Etat plus qu’à elle » disait d’ailleurs Louis XIII). De ce point de vue, il entre – ce qui n’a rien d’étonnant sous la plume de Philippe Le Guillou – quelque chose de gaullien dans cette évocation du « cardinal d’Etat » que fut Richelieu, fondateur et premier protecteur de l’Académie française, symbole d’une nation dont le rayonnement fut longtemps d’abord et avant tout littéraire…. Une France où il n’y a plus de cardinal à l’Académie et qui s’éloigne ? ou une France qui, derrière la grisaille persistante de notre temps, prépare, confusément, le moment où, une fois encore, son génie propre lui permettra de renouer avec « la lueur de l’espérance » ? Nombreux sont sans doute les Français, et ceux qui, dans le monde, aiment notre pays, surtout lorsqu’il est fidèle à « une certaine idée » de lui-même, à se poser aujourd’hui cette angoissante, mais stimulante question. Au-delà du « mystère Richelieu », le mystère de la France et de son destin…, y compris en pensant à la chapelle de la Sorbonne et à tout ce qui, de la Révolution profanatrice jusqu’à l’étrange et heureuse cérémonie réparatrice présidée le 4 décembre 1971 par Jacques Duhamel, s’y est joué du destin posthume du cardinal de Richelieu. Faut-il rappeler, en terminant, que c’est à Richelieu que Michel Debré a choisi d’emprunter la citation liminaire qui précède le premier tome de ses Mémoires : « Comme le zèle que j’ai toujours eu pour l’avantage de la France a fait mes plus solides contentements » ?

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