HOMMAGE À MICHEL DEBRÉ

par Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle
Délégué général de l’Association des Amis de Michel Debré

Jean-Marie Dedeyan (à droite) accompagne Michel Debré (à gauche, au milieu).

Il y a 25 ans déjà, un grand homme d’Etat s’est éteint en Touraine au bord de la Loire si joliment représentée sur ses toiles par Olivier Debré, son frère cadet. Le 25 août 1996, Michel Debré nous a quittés, entourés des siens, dans sa résidence tourangelle de Montlouis-sur-Loire.

Toute la vie de l’ancien Premier ministre du général de Gaulle a été animée par sa passion pour la France et un souci constant de servir à la fois l’intérêt du pays et un Etat en mesure de remplir ses fonctions.

Michel Debré appartient, en effet, à la longue lignée de ceux qui, depuis des siècles, construisent l’Etat et le reconstruisent lorsqu’il subit des assauts, à la lignée de ces grands serviteurs de l’Etat qui ont fait la France et bâti, sans jamais renoncer, sa grandeur, sa force et sa liberté.

A ses yeux, le bien public doit reposer sur un Etat conscient de ses responsabilités, capable de fixer des objectifs, d’encourager l’élan créateur, d’assurer la défense nationale, d’éduquer et de promouvoir sa jeunesse tout en inscrivant sa gestion dans l’obligation d’assurer l’indépendance et l’avenir d’une nation vivante, soucieuse de liberté, de progrès, de sécurité et de continuité n’excluant pas la coopération européenne.

Sa vie entière fut inspirée par un sens de l’intérêt général, du service public et du bien commun reçu en héritage de son père, le grand pédiatre Robert Debré, d’origine alsacienne. Il en a légué les principes à tous ceux qui partagent aujourd’hui sa conception exigeante des valeurs de la République, de l’Etat et de la nation.

Michel Debré s’entretient avec l’ancien Secrétaire d’État américain Henry Kissinger.

De la résistance à la Libération, du Conseil d’État au Sénat, où s’exprimaient ses convictions, ses ferveurs et ses fureurs, puis au Gouvernement, où il a été Garde des Sceaux, Premier ministre, ministre de l’Économie et des Finances, ministre des Affaires étrangères et, enfin, ministre d’État chargé de la Défense nationale (1), puis de 1973 à 1988, à l’Assemblée nationale, Michel Debré a mené une vie de réflexion, d’imagination et d’action au service exclusif d’une haute idée de la France.

Son inclination le conduisit, avant la guerre, à choisir le Conseil d’Etat puis à rejoindre le cabinet de Paul Reynaud, pendant la guerre, à jouer un rôle important dans l’armée des ombres, puis, à la Libération, à occuper un poste de confiance auprès du Président du Gouvernement provisoire de la République française. Rencontre décisive avec un homme qu’il ne cessa de vénérer et qu’il fut seul autorisé à venir s’incliner devant sa dépouille, la veille des obsèques célébrées à Colombey.

Principal rédacteur de la Constitution de 1958, dont le général de Gaulle avait esquissé les grandes lignes à Bayeux, Michel Debré s’est attaché à en roder l’application aux différents postes qu’il a occupés avec le souci permanent de lier les préoccupations du présent avec les enjeux de l’avenir. II n’a jamais hésité à bouleverser les habitudes, les intérêts et les féodalités chaque fois que l’intérêt général exigeait un changement de structure ou de cadre législatif.

Son action réformatrice est exceptionnelle. Un bref rappel conduit à en évoquer les plus marquantes : réforme de l’organisation judiciaire, rédaction de la Constitution, redressement économique et financier, restructuration du secteur des banques et de l’assurance, lancement d’une nouvelle monnaie, création de la Commission des Opérations de Bourse, de l’Institut national de la Consommation, réforme de l’agriculture,  organisation de l’assurance chômage, loi sur la formation professionnelle, création d’un grand service de l’éducation nationale réconciliant enseignement public et enseignement privé, lois-programmes sur l’énergie, sur la recherche scientifique, sur l’équipement du territoire en métropole et outre-mer, création du Centre national d’Etudes Spatiales et début de notre aventure spatiale, mise en œuvre de l’aménagement du Territoire, création des parcs naturels, et, comme ministre d’Etat chargé de la Défense nationale : loi de programmation militaire, rédaction du premier Livre blanc sur la Défense nationale, etc.

Dans toutes les fonctions dont il a eu la charge, dans les différents mandats qu’il a exercés, Michel Debré n’a jamais rien renié de l’éthique et des valeurs républicaines. Son mérite et sa qualité se mesurent à la courageuse ténacité dont il a fait preuve sur les grands défis français en dépit des sourires entendus qui ont, en leur temps, accueilli ses avertissements prémonitoires sur l’effondrement de la natalité, la montée de l’Islam, la nécessité d’une politique d’assimilation, l’insuffisance des investissements productifs, l’inexorable montée du chômage, la guerre économique, les risques d’une décentralisation mal maîtrisée, la lenteur du développement de la participation, ou encore la nécessité de construire une Europe des Nations, indépendante des grands blocs et soucieuse de coopération sincère entre ses membres. Certains, à l’époque, le qualifiaient de Cassandre. Ils oubliaient qu’en fait Cassandre a eu raison !

Visionnaire aux antipodes de l’opportunisme, conscient qu’un peuple ne peut pas se passer durablement d’une ambition collective, Michel Debré n’a cessé d’œuvrer pour une France forte, indépendante et moderne. II a toujours inscrit sa pensée et son action réformatrice dans une conception exigeante de l’État, de la République et de la Nation, aux antipodes de la démagogie et de l’opportunisme.

A chacun des postes qu’il a occupés, il s’est attaché à concilier le pouvoir et la connaissance, l’autorité et la vérité au service de la cohésion nationale, du progrès et de l’épanouissement des Français. Telle est bien la démarche d’un véritable homme d’État.

Par ses écrits, par ses discours, par les nombreuses réformes qu’il a su mener à bien, par les interventions remarquées qu’il a faites à la tribune de l’Assemblée nationale une fois redevenu député, dans ses mémoires et dans les éditoriaux des 166 numéros de’ la Lettre politique mensuelle qu’il publia de 1977 à 1994, Michel Debré nous a montré que la France est une construction permanente, au-delà des rivalités et des factions. Le vrai clivage qui sépare les responsables politiques n’est pas, à ses yeux, celui que l’on évoque dans les médias. Il se situe, en fait, entre ceux qui croient à la France et en son destin, et ceux qui n’y croient pas ou n’y croient plus.

Dans son discours d’investiture devant l’Assemblée nationale, le 15 janvier 1959, Michel Debré, Premier ministre du général de Gaulle rappelait aux députés : « Nos personnes ne sont rien et nos institutions elles-mêmes n’ont de sens que dans la mesure où elles servent l’Etat ».

Et quelques 40 ans plus tard, au soir de sa vie, il écrivait : « Il n’y a pas de liberté, d’égalité et de fraternité sans un Etat capable de faire respecter la Loi et sans un pouvoir capable de conduire une politique répondant à l’intérêt supérieur de la Nation. Le problème de la politique, à toute époque et partout, c’est l’institution et le maintien d’un Etat qui soit un effort de justice, d’une autorité sociale qui, par son financement et son objectif, soit l’expression d’une volonté collective d’hommes égaux…, d’une autorité bâtie sur la solidarité d’un peuple. La liberté ne s’oppose pas au pouvoir. Au contraire, elle meurt de l’absence de pouvoir ou d’une insuffisante appréciation par le pouvoir de ses responsabilités ».

En cela la pensée et l’action de Michel Debré demeurent à la fois actuelles et modernes pour qui veut, aujourd’hui, mener une action publique au service de ses concitoyens, mettre son pays en mesure de progresser pour le bien de tous sur le chemin de son destin et lui permettre d’assurer sa responsabilité dans le concert des nations. Victor Hugo n’a-t-il pas écrit dans l’un de ses romans, « L’homme qui rit », l’une de ses œuvres philosophiques les plus puissantes : « Que deviendrait l’Etat si personne ne consentait à servir ? »

L’Association des Amis de Michel Debré et la Fondation Charles de Gaulle s’attachent, par des colloques et des publications diverses, à entretenir le souvenir de l’ancien Premier ministre. Par son parcours, ce grand légiste, cet homme politique éminent et ce réformateur de premier plan mérite, à l’exemple du général de Gaulle, d’être source de réflexion, d’inspiration et j’oserai dire d’ardeurs nouvelles pour les générations qui ne l’ont pas connu.

Jean-Marie Dedeyan
Vice-président de la Fondation Charles de Gaulle
Délégué général de l’Association des Amis de Michel Debré

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