QU’EST-CE QUE LA NATION ?

par Michel Debré
Ancien Premier ministre*

La nation française est l’expression d’un patrimoine où se sont mêlés les apports les plus divers et les plus émouvants pour le bénéfice d’une culture qui demeure, par la qualité de sa science, de sa technique et de ses lettres, une des grandes cultures du monde.

La nation française est une force qui, malgré les épreuves qui l’ont durement atteinte, assure la solidarité d’un peuple face à une compétition européenne, méditerranéenne, mondiale, dont les années qui viennent accroîtront fortement le caractère impitoyable. La nation française enfin, est une valeur morale car elle ne demande à aucun homme, à aucune femme, sa religion, la profession ou la race de ses parents, si même il connaît ses parents : est Français qui veut appartenir à la France.

Michel Debré accompagne le général de Gaulle.

Ce patrimoine, cette force, cette valeur morale, ne sont en aucune façon les résidus surannés d’une tradition qui se meurt. Ce que les Français ne feront pas aujourd’hui, demain, pour leurs centrales nucléaires, leurs barrages hydrauliques, leur agriculture, leur industrie de pointe, l’équilibre de leurs finances, nul ne le fera. Ce que les Français ne feront pas aujourd’hui, demain pour leur niveau de vie, leur éducation, leur recherche scientifique, leur promotion leur ouverture vers de grandes responsabilités intérieures ou extérieures, nul ne le fera. Ce que les Français ne feront pas pour la défense de leurs intérêts et pour leur sécurité, c’est-à-dire la paix de leur territoire et l’honneur de leurs foyers, nul ne le fera. Ce que les Français ne feront pas pour leur liberté, leur dignité, nul ne le fera…

La nation n’est pas le refus d’une étroite et durable coopération européenne. Mais le fait national est l’essence de l’Europe et toute organisation européenne se fera au bénéfice des nations les plus nombreuses, les plus résolues, les plus unies, et aux dépens des autres. Voilà qui est d’autant plus vrai que la France est d’une nature particulière, et que faute, d’affirmer son indépendance et son unité, elle est vouée à être un objet de partage et d’influence pour les autres, aux dépens des Français. L’Europe se fera par une France qui équilibrera l’Allemagne, à condition qu’elle soit forte. Sur le solide fondement d’un accord franco-allemand, l’Europe sera une Europe des États, une Europe des patries, ou elle ne sera pas.

La nation n’est pas le refus de la personnalité provinciale. Elle est le support de tout partage de responsabilités qui suppose, pour réussir, une grande solidarité financière et humaine. C’est grâce à cette solidarité que les priorités locales peuvent venir en concurrence avec les exigences de la collectivité tout entière. Seule la nation, faite d’un seul État, d’une seule justice, d’une seule éducation et de services publics également ouverts à tous, peut apporter, en notre France si diverse, la base d’une décentralisation.

En ce domaine fondamental de l’unité et de l’indépendance, nous avons pris l’habitude de vivre dans l’ambiguïté. Mais la dureté des compétitions et l’acharnement des intolérances ne permettent plus de poursuivre impunément un langage douteux et une action hésitante. L’alliance des deux intolérances, la supranationalité qui a fondé une orthodoxie, le séparatisme autonomiste qui est un racisme à peine déguisé, exige un réveil. Que chacun prenne conscience de l’enjeu !

Notre tâche est de construire l’avenir. L’avenir n’appartient pas à ceux qui commencent par brûler le passé et par mésestimer le présent.

*Michel Debré, président du Comité pour l’Indépendance et l’Unité de la France (CIUF), a écrit ce texte en 1977.

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