LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRE, UN ENJEU MAL CONNU

Entretien avec Marion Guillou
Ancienne Directrice générale de l’alimentation
Ancienne Présidente-directrice générale de l’INRA

Comment un pays comme la France, « grenier de l’Europe » et grande puissance agricole, peut-il être concerné par des enjeux de souveraineté alimentaire, et devenir puissance importatrice de ressources ?

La France est et reste un grand pays agricole, son solde exportations/importations est toujours positif. Mais ses importations ont augmenté, surtout en provenance de l’Union européenne, d’Allemagne ou des Pays-Bas. Les exportations restent fortes dans ses secteurs traditionnels, les vins et spiritueux, les produits laitiers, les céréales (selon les années). En revanche, sa compétitivité chute dans des secteurs comme les fruits et légumes, ou les viandes.

Cette baisse de compétitivité s’explique en partie par le fait que les producteurs français veillent aux conditions environnementales et visent une production de qualité, donc plus onéreuse. Mais elle renvoie également aux caractéristiques de notre concurrence : des exploitations bien plus grandes dans le domaine de l’élevage (Allemagne), une main d’œuvre bien moins chère (pays méditerranées, fruits et légumes). En outre, beaucoup de nos concurrents montrent une capacité collective d’organisation commerciale supérieure à la nôtre. Pour cet ensemble de raisons, nos importations augmentent.

LA PAC, négociée au temps du Général de Gaulle, permet-elle de penser la souveraineté alimentaire à l’échelle européenne?

La PAC a été négociée par le Général de Gaulle avec pour objectif de nourrir les européens d’alors à des prix raisonnables. Plus de 50 ans après, cet objectif a été largement atteint. Le poste de la dépense alimentaire dans le budget des ménages français n’a jamais été aussi bas. Mais ce que le consommateur a gagné, le producteur l’a, dans une certaine mesure, perdu.

La production voit en outre son coût renchéri par des normes de plus en plus exigeantes, qui relèvent moins de la PAC que de l’arsenal législatif européen, souvent mis en place en réponse à des mouvements citoyens : on peut se référer par exemple au bien-être animal. Dans ce domaine, nos concurrents, comme le Brésil, sont évidemment soumis à des normes bien moins exigeantes, et produisent meilleur marché. Aujourd’hui, ce schéma fragilise certaines filières de notre agriculture, comme les fruits et légumes, ou la production porcine. En revanche, revers de la médaille, la France reste forte et exportatrice dans le domaine des productions haut de gamme, souvent mises en valeur par une appellation d’origine.

Les enjeux de souveraineté alimentaire, présents par exemple dans la négociation âpre des espaces de pêche, peuvent-ils à terme devenir une source de conflits entre les nations ?

Il n’existe pas, partout dans le Monde, d’équilibre entre la production alimentaire et la consommation, non pas car la planète ne produit pas suffisamment, mais parce qu’il existe de forts déséquilibres géographiques. Le nombre de personnes souffrant de malnutrition augmente, particulièrement en raison de la multiplication des conflits, qui désorganisent les chaines d’approvisionnement, et des inégalités.

Comment penser la sécurité alimentaire d’une planète qui, à l’horizon 2050, pourrait compter 10 ou 11 milliards d’habitants ? Plusieurs priorités se dessinent :

  • Limiter le gaspillage alimentaire, qui concerne jusqu’à 30% de la production
  • Mener un travail d’éducation des populations : les régimes alimentaires moyens d’un américain (4800 kcal/personne/jour), ou même d’un européen (3800-4000 kcal/ personne/jour), bien supérieurs aux besoins (2200 kcal/personne/jour), outre le fait qu’ils posent un problème de santé publique, ne sont évidemment pas généralisables. Sécuriser les circuits d’approvisionnement, particulièrement dans les zones géopolitiquement instables, et souvent non autosuffisantes.
  • Enfin, bien évidemment, favoriser une agriculture durable qui ne sollicite pas exagérément les sols ni la ressource hydrique, ou nuisent à la biodiversité.

La crise du COVID, le spectacle des rayons vides, la hausse de certains produits, comme les fruits et légumes, a fait ressurgir dans l’opinion publique française le spectre d’une crise alimentaire. A raison ?

Non, au contraire ! Dans le contexte difficile du Covid, le système français a au contraire montré sa forte résilience. On n’a pas connu de crise d’approvisionnement, de manques criants. Cela s’explique en partie par le fait que le système compte beaucoup de P.M.E, et se répartit sur le territoire national. Au final, notre pays n’a à aucun moment été proche d’une crise d’approvisionnement, les chaines ont continué à fonctionner. C’est là un atout qu’il ne faut pas sous-estimer !

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