LA SOUVERAINETÉ DANS LES ÉCRITS DU GÉNÉRAL DE GAULLE

Par Frédéric Fogacci
Directeur des études et de la recheche à la Fondation Charles de Gaulle

Le terme de « souveraineté » est employé à de très nombreuses reprises dans les Mémoires de Guerre et d’Espoir. On peut déterminer quatre champs principaux d’utilisation du terme :

  • L’affirmation de la souveraineté de la France Libre, particulièrement face aux alliés.
  • L’affirmation, à la Libération, de la « souveraineté » du peuple dans le choix constitutionnel.
  • La mise en œuvre de la souveraineté des pays décolonisés
  • Le maintien d’une souveraineté française dans la construction de la Communauté européenne.

Au lendemain du 18 juin 1940, sur les principes fondateurs de la France Libre :

« Pour que l’effort en valut la peine, il fallait aboutir à remettre dans la guerre, non point seulement des Français, mais la France.

Cela devait compter : la réapparition de nos armées sur le champ de bataille, le retour de nos territoires à la belligérance, la participation du pays lui-même à l’effort de ses combattants, la reconnaissance par les puissances étrangères du fait que la France, comme telle, aurait continué la lutte, bref, le transfert de souveraineté, hors du désastre et de l’attentisme, du côté de la guerre et, un jour, de la victoire ».

« Car, pour chacune des nations d’Europe que submergeaient les armées d’Hitler, l’Etat avait emporté sur des rivages libres l’indépendance et la souveraineté ».

Sur l’engagement à Dakar et dans l’Empire :

« Participer avec des forces et des terres françaises à la bataille d’Afrique, c’était faire entrer dans la guerre comme un morceau de France. C’était défendre directement ses possessions contre l’ennemi. C’était, autant que possible, détourner l’Angleterre, et peut-être un jour l’Amérique, de la tentation de s’en assurer elles-mêmes pour leur combat et pour leur compte. C’était, enfin, arracher la France Libre à l’exil et l’installer en toute souveraineté en territoire national ».

A Lord Lyttelton, au sujet des affaires d’Orient :

« Pourtant, me dit M. Lyttelton, vous avez reconnu, par notre accord du 7 août 1940, l’autorité du gouvernement britannique.

  • A ce commandement, répondis-je, j’ai reconnu effectivement qualité pour donner des directives aux Forces françaises libres, mais seulement en matière stratégique et contre l’ennemi commun. Je n’ai jamais entendu que cette attribution s’étendit à la souveraineté, à la politique, à l’administration, dans des territoires dont la France a la charge».

En mars 1941, à Anthony Eden, après l’intervention britannique en faveur de l’Amiral Muselier :

« S’il en était autrement, le général de Gaulle et le comité national cesseraient de s’acharner à une tâche qui serait impossible. Ils tiennent, en effet, pour essentiel, en ce qui concerne l’avenir de la France aussi bien que le présent, de demeurer fidèles au but qu’ils se sont fixés. Ce but consiste à redresser la France et à reconstituer l’unité nationale dans la guerre aux côtés des alliés, mais sans rien sacrifier de l’indépendance, de la souveraineté et des institutions françaises ».

Avant le débarquement :

« Qu’entre la mer du Nord et la Méditerranée, depuis l’Atlantique jusqu’au Rhin, soit libérée de l’ennemi cette nation à qui, depuis quinze-cents ans, aucune tempête, pas-même celle-ci, n’a pu ôter sa souveraineté ni arracher ses dernières armes. Nous rapportons à la France l’indépendance, l’Empire et l’épée ».

A la Libération de Paris :

« Un appel venu du fond de l’histoire, ensuite l’instinct du pays, m’ont amené à prendre en compte le trésor en déshérence, à assumer la souveraineté française. C’est moi qui détient la légitimité. C’est en son nom que je puis appeler la Nation à la guerre et à l’unité, imposer l’ordre, la loi, la justice, exiger au-dehors le respect des droits de la France ».

Au Shah d’Iran (novembre 1944) :

« La souveraineté peut n’être plus qu’une flamme sous le boisseau ; pour peu qu’elle brûle, elle sera, tôt ou tard, ranimée ».

Sur le référendum d’octobre 1945 :

« Le peuple devait régler lui-même le sort final de la IIIe République. La souveraineté du peuple, formellement établie au-dessus de l’Assemblée, allait, en dernier ressort, décider des institutions ».

Dans le discours de Bayeux :

« En même temps, c’est ici, que sur le sol des ancêtres, réapparut l’Etat ; l’Etat légitime, parce qu’il reposait sur l’intérêt et le sentiment de la Nation ; l’Etat dont la souveraineté réelle avait été transportée du côté de la Guerre, de la liberté et de la victoire, tandis que la servitude n’en conservait que l’apparence ; l’Etat sauvegardé dans ses droits, sa dignité, son autorité, au milieu des vicissitudes du dénuement et de l’intrigue ; l’Etat préservé des ingérences de l’étranger ; l’Etat capable de rétablir autour de lui l’unité nationale et l’unité impériale, d’assembler toutes les forces de la patrie et de l’Union française, de porter la victoire à son terme, en commun avec les alliés, de traiter d’égal à égal avec les autres grandes nations du monde, de préserver l’ordre public, de faire rendre la justice et de commencer notre reconstruction ».

Sur l’indépendance de l’Algérie :

« Mais l’opération historique qui consiste, pour la France, à doter l’Algérie de sa souveraineté et de la responsabilité, pour celle-ci à les assumer, pour toutes deux à demeurer largement solidaires, nous voulons qu’elle s’accomplisse d’une manière délibérée, par la voie démocratique ».

Sur la mise en place de la Communauté européenne :

« Cette divergence capitale entre la façon dont la commission de Bruxelles conçoit son rôle et le fait que mon gouvernement, tout en attendant d’elle des études et des avis, subordonne les mesures importantes à la décision des Etats, entretient un accord latent. Mais, comme le traité spécifie qu’au cours du démarrage, rien ne vaut sans l’unanimité, il suffit de tenir la main à ce qu’il soit appliqué pour qu’on ne puisse passer outre à la souveraineté française. J’y veille avec soin ».

Sur le référendum d’octobre 1962

« En quoi la faculté de recourir au référendum pour modifier la loi constitutionnelle serait-elle en contradiction avec la procédure prévue à l’article 89, celle-ci jouant quand les pouvoirs publics jugent préférable d’utiliser la voie du Parlement ? N’est-il pas de bon sens, d’ailleurs, qu’en matière aussi grave, ceux-ci aient, suivant les cas et les circonstances, l’une ou l’autre possibilité, et n’est-ce pas là le sens de l’article 3 qui proclame : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum » ».

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