DU NOUVEAU SUR LE « MYTHE GAULLISTE » ?

par François Broche

« Enfin toute la vérité sur la naissance du mythe gaulliste ! Une fiction entièrement créée par sir Winston Churchill ! Comment de Gaulle est devenu l’homme des Anglais, puis des Américains ! »

En octobre 2020, les éditions Muller ont présenté en ces termes surprenants la traduction d’un ouvrage signé James Marlow, paru à Londres en septembre 1940, intitulé : De Gaulle et la clé de la prochaine invasion de l’Allemagne. Ce modeste éditeur n’est sorti de l’ombre qu’en publiant les Mémoires de Jean-Marie Le Pen en 2018. Fondée par un officier de réserve, la maison a été cédée à un homme bien connu dans les milieux d’extrême-droite : Guillaume de Thieulloy, animateur du site Le Salon Beige ainsi que l’Observatoire de la christianophobie. Largement diffusées par les éditions de Chiré, spécialisées dans la littérature catholique intégriste et la réhabilitation du régime de Vichy, les éditions Muller ont logiquement fait appel à un journaliste pied-noir farouchement antigaulliste, Bernard Coll, président de l’association « Jeune Pied-noir », pour traduire et annoter un ouvrage présenté comme un nouveau réquisitoire contre le Général.

Or non seulement l’ouvrage de James Marlow n’est pas antigaulliste, mais, fondé sur un entretien de l’auteur avec de Gaulle, dans le but de faire connaître l’homme et son action, il est tout le contraire. C’est Churchill qui en a eu l’idée et il a demandé au publicitaire Richmond Temple, de se charger de cette véritable opération de marketing. Le livre a été bouclé en deux mois par Richard Crawford, un ancien rédacteur en chef adjoint du Daily Mail, avec le concours, selon Jean-Louis Crémieux-Brilhac, de Georges Boris, l’ancien directeur de l’hebdomadaire socialiste La Lumière, rallié à la France Libre dès le 19 juin 1940. Il présente de Gaulle, écrit l‘historien britannique Julian Jackson, auteur d’un magistral De Gaulle, une certaine idée de la France (Seuil, 2019), « comme un soldat visionnaire ayant prédit la nature de la guerre à venir ». Publié dès septembre 1940, le livre est l’objet de comptes rendus élogieux dans la presse londonienne.

Simultanément, Temple a organisé une séance de photos à Petts Woods, dans le Kent, la résidence campagnarde de De Gaulle, dans le but de montrer que l’officier rebelle était un homme sans aspérités, avec épouse et enfants, et que c’était le contraire d’un comploteur d’extrême-droite entouré de cagoulards et de fascistes, comme le bruit en courait alors à Londres. De Gaulle s’était d’abord récrié : « Quoi ? Me lancer comme une savonnette ! » Mais il avait fini par accepter. Temple avait eu une autre idée : il avait demandé à de Gaulle de rédiger une brève profession de foi. Cette fois, de Gaulle s’était exécuté sans rechigner ; Il avait écrit le magnifique texte cité par Jean-Louis Crémieux Brilhac dans sa grande histoire de la France Libre, qui commence par ces trois percutantes définitions : « Je suis un Français libre. Je crois en Dieu et en l’avenir de ma patrie Je ne suis l’homme de personne. »

Dans ces conditions, on se demande par quelle mystérieuse alchimie l’ouvrage de James Marlow est devenu une source vivement recommandée par 62 associations de la campagne « Vérité et justice pour les Français rapatriés », dont l’ADN est un antigaullisme qui défie le temps. Un exemplaire aurait été offert au président Macron « afin, explique l’éditeur, qu’en tant que ‘’gaulliste », il ne soit pas privé de ce témoignage essentiel à la compréhension de la naissance de ce que les historiens, les journalistes et les Français appellent désormais « le mythe » gaulliste » ». L’ouvrage énumérerait en effet « tous les clichés qui vont devenir ceux de la légende De(1) Gaulle ». Parmi ces « clichés » : le faux chef de guerre de mai 1940, l’auteur de « vrais-faux appels » du 18 juin et d’un « manifeste » datant d’août 1940 (qui serait « la quatrième version du faux appel du 18 juin »), le « pion » lancé par Churchill et repris par Roosevelt, enfin par Eisenhower en 1958…

Avouons que l’on a quelque mal à se repérer dans ce fatras d’affirmations fantaisistes, qui ne correspondent nullement à la version anglaise du texte.

« Je me creuse la tête pour savoir pourquoi ce livre pourrait intéresser les antigaullistes, toujours obsédés par les soi-disant mensonges de De Gaulle, nous a confié Julian Jackson. Il se peut qu’il y ait quelques incohérences dans le récit de Marlow, qui alimentent les arguments de ces gens un peu conspirationnistes. Juste une idée… »

Le quotidien d’extrême-droite Présent, dans son numéro du 21 novembre 2020, apporte une réponse quelque peu alambiquée à cette petite énigme : « Les commentaires restituent la présentation dithyrambique du général à titre provisoire (sic), tellement élogieuse qu’elle explique l’absence d’édition française et l’importance historique de ce document. » Ces commentaires d’un antigaulliste de choc démolissent une à une toutes les « énormités » recueillies par Marlow. Les lecteurs éventuels de l’ouvrage pourront donc aisément s’en passer… François Broche

(1) Dans la littérature antigaulliste, la majuscule est de rigueur, afin de dénier à Charles de Gaulle la moindre origine aristocratique.

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