DE GAULLE ET L’AGENCE JUIVE POUR LA PALESTINE PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Par Catherine Nicault

Les rapports noués pendant la guerre entre le chef de La France Libre, puis Combattante, et l’Agence juive pour la Palestine, — institution sioniste en charge des relations entre la communauté juive de Palestine et les autorités mandataires britanniques[1]—, jouent naturellement un rôle négligeable dans le cours du conflit, même dans la sphère moyen-orientale, comme dans l’histoire de la France Libre ou du sionisme. L’existence de ces relations est d’ailleurs peu connue, sinon à travers la rencontre mémorable dans le désert de Libye, non loin de Bir Hakeim, des FFL de Koenig et de troupes juives palestiniennes à la fin de 1942[2]. Une rencontre entrée dans la geste des FFL, mais redevable au seul hasard des combats et donc peu significative. C’est cependant bien au Moyen-Orient, mais aussi à Londres, que des contacts politiques prolongés d’une coopération dans l’action militaire et psychologique, ont eu lieu en 1940 et 1941 entre la « Dissidence » gaulliste et les milieux sionistes.

L’étude de cet épisode, rendue d’ailleurs difficile par la dispersion des sources[3], dépasse cependant l’intérêt anecdotique, puisqu’elle est à verser au dossier si passionnément controversé depuis 1967 des relations entre de Gaulle, les gaullistes, les Juifs et Israël. Les journalistes qui en ont traité négligent ou survolent ce prélude pourtant significatif[4]. Les rapports mouvants et contradictoires entretenus pendant la guerre entre gaullistes et sionistes résultent en effet de la superposition et finalement l’incompatibilité de deux logiques : celle des intérêts immédiats d’un mouvement de libération et de redressement national, isolé, démuni et dont certains membres se montrent sensibles à l’idéal sioniste ; la logique enfin des intérêts nationaux fondamentaux de la France dont ce même mouvement s’estime le dépositaire : patrie de l’émancipation et puissance musulmane, la France ne peut, pas plus que dans le passé[5], faire acte de prosionisme. Est-il légitime d’interpréter le tournant de la politique gaullienne en 1967 et 1968 à l’égard d’Israël comme un « retournement ? Peut-on opposer à un premier de Gaulle prosioniste ou pro-israélien, un second de Gaulle pro-arabe et anti-israélien ? Les tout premiers rapports gaullo-sionistes montrent que la question ne saurait se poser en termes aussi simplistes.

De Gaulle, les Juifs et le sionisme avant guerre

Encore faut-il au préalable s’interroger sur la familiarité que le jeune officier de Gaulle pouvait entretenir, dans l’entre-deux-guerres, avec ce qu’il était convenu d’appeler alors « le problème juif », et sur son état d’esprit à cet égard. Tâche évidemment difficile, car ni son milieu d’origine, ni la carrière militaire, ne lui donnèrent l’opportunité de rencontrer nombre de Juifs, et encore moins de se pencher sur la question. Pourtant certains éléments de sa biographie, d’ailleurs fort connus, permettent de dessiner par touches plus ou moins précises les opinions et les sentiments de de Gaulle sur ce thème en 1940.

Le milieu dont il est issu autorise déjà certaines déductions d’importance. La famille de bonne bourgeoisie où il naît en 1890, très proche encore de ses racines provinciales, demeure, sous la Ille République, profondément monarchiste — légitimiste même            et catholique. Le divorce avec la République laïque n’empêche pas de professer un patriotisme exigeant. L’empreinte maurassienne sur laquelle on a beaucoup glosé, ne fut certainement pas aussi profonde sur Charles de Gaulle qu’on l’a parfois prétendu. Mauriac dont les origines étaient analogues atteste du rejet de la pensée rationaliste maurrassienne par une partie de l’opinion catholique française, même si l’Action française, quotidien d’une haute tenue intellectuelle, était très lue dans ces milieux[6]. L’opinion de Henri de Gaulle, le père, et celle exprimée un peu plus tard par le fils sur l’Affaire Dreyfus indique clairement les limites de cette influence dans la famille ; l’un et l’autre mirent en doute la culpabilité du capitaine Dreyfus et désapprouvèrent les nationalistes sacrifiant un individu à une raison d’état mal comprise[7]. Plutôt que d’un sentiment d’indignation devant la dimension antisémite de l’Affaire, le dreyfusisme des de Gaulle semble procéder de principes moraux exigeants. La famille de Gaulle ne fréquente pas de juifs, et très probablement n’en connaît pas. Mais Charles, par les errances de sa carrière d’officier, dans sa quête d’appuis dans les années trente, va côtoyer des juifs. Ou plutôt, distinguons, des juifs et des Israélites, comme l’on désignait alors les juifs occidentaux assimilés. Des « juifs », de Gaulle en vit lors de sa mission en Pologne au début des années vingt, puis, à coup sûr, en Palestine, lors de son séjour en Orient entre 1929 et 1931. Il les tient en piètre estime, dominé sans doute par l’impression d’anachronisme, de parasitisme et de crasse qu’inspirent presque invariablement ces juifs à caftan et à papillotes aux voyageurs français en Europe orientale ou en Terre Sainte[8]. Mais il ne confond pas ces silhouettes moyenâgeuses avec les juifs français, ces « israélites » à la fibre hautement patriotique dont il connaît personnellement et estime quelques représentants : le colonel Emile Mayer surtout dont il fut très proche de 1932 à la mort de ce dernier en 1939, au point de fréquenter régulièrement le petit salon tenu par cet officier juif chez sa fille Cécile, épouse du conseiller d’Etat et membre en vue de la communauté israélite française, Paul Grunebaum-Ballin[9]. Il a également été en rapport à cette époque, mais de façon beaucoup plus superficielle, avec Léon Blum et Georges Mandel[10]. De Gaulle ne fit aucun commentaire particulier alors sur la question juive en France, mais nous savons que l’habite déjà une idée maîtresse, la continuité de l’histoire de France, et « un nationalisme intégrant classes et époques »[11]. Les israélites, émancipés en 1791 par la Révolution, sont partie intégrante d’une « certaine idée » unitaire de la nation française qui est déjà sienne.

En somme, de Gaulle ne montre avant-guerre aucun intérêt particulier à la question juive, alors qu’avec l’afflux des réfugiés, la xénophobie et l’antisémitisme faisaient recette. Ses relations avec certains israélites comme ses conceptions générales de l’histoire et du destin de la patrie attestent cependant de son adhésion, peu consciente peut-être, mais ferme, au modèle émancipateur, partageant en cela les conceptions républicaines. Ce qui n’exclut pas forcément tout préjugé, en particulier à l’endroit des juifs traditionnels. On ne fait guère de différence à l’époque entre la culture chrétienne occidentale et la civilisation tout court.

Quant à cet autre aspect de la question juive qu’est le sionisme, que pouvait en connaître de Gaulle en 1940 ? A coup sûr rien de bien approfondi, et il ne s’est jamais exprimé à ce sujet avant la guerre. Il est pourtant impossible qu’il ait été totalement ignorant en la matière. Lors du règlement de la paix entre 1919 et 1922, la question syrienne, pomme de discorde entre les alliés français et anglais, a fait grand bruit. Dans les milieux catholiques et militaires en particulier, la dévolution finale des Lieux Saints, détachés de la « Syrie intégrale », au mandat anglais, a déclenché un tollé et une amertume durable non seulement contre la « perfide Albion », mais aussi contre ses alliés sionistes qui s’étaient vus promettre par la Déclaration Balfour du 2 novembre 1917 la création en Palestine d’un Foyer national juif[12]. Nul doute que le capitaine de Gaulle n’ait retrouvé à l’Etat-Major de l’Armée du Levant où il est affecté au poste de chef des 2e et 3e Bureaux d’octobre 1929 à novembre 1931, le même état d’esprit[13] : chargée du maintien de l’ordre dans les deux mandats français de la Syrie et du Liban, ayant enfin bouclée la pacification après la révolte druze, l’Armée du Levant continue de tenir — avec quelques raisons — l’Angleterre, présente aux confins par ses mandats irakien, transjordanien et palestinien, pour coupable de menées systématiquement inamicales. Si l’anglophobie domine, l’antisionisme y est également une réalité : outre le scepticisme inspiré par le projet sioniste, la susceptibilité arabe face aux progrès juifs et la crédibilité de la politique musulmane qu’entend mener la France l’exigent. Les autorités françaises contrarient régulièrement les projets sionistes pour installer des colonies en Syrie. Certes l’ouvrage de circonstance écrit en collaboration par de Gaulle à l’occasion de l’Exposition coloniale internationale de Paris de 1931, Histoire des troupes du Levant, ne laisse rien percer de ce double contentieux, mais il est impossible que l’historien consciencieux comme l’officier de renseignement aient pu ignorer cet arrière-plan[14]. Ses soupçons précoces concernant les visées de l’allié anglais sur les Etats français du Levant pendant la guerre, le prouvent.

Cependant, au tournant des années vingt et des années trente, les relations entre Français et sionistes au Moyen-Orient, sans s’être fondamentalement modifiées, se sont détendues. Les responsables du Foyer national jouent toujours la carte anglaise, mais devant les tergiversations déjà perceptibles d’un mentor désireux de ménager les Arabes, cherchent à diversifier leurs appuis dans la région face à l’hostilité arabe croissante. Les Français sont souvent admiratifs devant l’énergie des sionistes et le développement économique de la Palestine : le personnage du Haloutz, du pionnier sioniste, est volontiers à l’honneur en Orient comme d’ailleurs dans les relations de voyage en Terre Sainte, plus nombreuses après la Pâque sanglante de 1929[15]. Ces sentiments semblent avoir prévalu chez de Gaulle qui accomplit, probablement au printemps 1931 un voyage privé en Palestine ; le 9 août 1940, il rencontre en effet Albert Cohen. « Notre entretien, relate ce dernier, a porté tout d’abord sur le sionisme dont le général de Gaulle m’a parlé avec une sympathie qui ne m’a pas paru conventionnelle. Il a visité la Palestine — en 1931, si je me souviens bien — et il a pu voir personnellement nos réalisations. Je cite une phrase de lui : « J’éprouve pour le sionisme de la sympathie et de l’admiration. » Le Général m’a dit qu’un aspect du sionisme qui l’intéresse particulièrement est le fait que notre mouvement a pour objet et pour résultat la création d’une société nationale complète, avec une forte proportion de producteurs. D’autre part, il m’a dit qu’il était convaincu de la nécessité et de la fécondité d’un mouvement qui tend à donner au peuple juif la possibilité d’accomplir enfin un effort créateur spécifique et autonome dans tous les domaines de l’activité humaine »[16]. Notons au passage la mention tout à fait étonnante de l’existence d’un « peuple juif ».

C’est donc armé d’un certain bagage culturel et idéologique, mais vague, et sans présupposés systématiquement hostiles sinon tout à fait sans idées reçues„ que le « Connétable » va dès les premières semaines de son exil londonien, au milieu des fiévreux efforts pour constituer la France Libre, entrer en contact avec l’Agence juive.

La mise en place des rapports entre la France Libre et l’Agence juive (juillet-septembre 1940)

A Londres, l’intermédiaire est l’écrivain Albert Cohen. Connu pour ses fonctions internationales, on ignore souvent son engagement sioniste, pourtant inséparable de son œuvre[17]. Cet engagement remonte à la Grande Guerre. En 1921, ce tout jeune auteur d’origine corfiote et de culture française — il a vingt-six ans —rencontre Chaïm Weizmann, le négociateur de la Déclaration Balfour et le Président de l’Organisation sioniste mondiale[18]. Encouragé par son mentor et son ami, le poète André Spire[19], il fonde à Paris en 1925, La Revue juive. Cette revue éphémère mais brillante « marque une première étape dans la carrière juive et sioniste de Cohen »[20]. Il entend à travers elle donner à la défense du peuple juif et à la promotion de sa cause la dimension poétique, à son sens, indispensable.

De 1926 à 1938, Cohen se partage entre le BIT et la création littéraire, séjournant tantôt à Paris, tantôt en Suisse dont il a obtenu la nationalité en 1919. Mais la montée des périls le ramène à une activité politique intense en faveur du peuple juif menacé[21]. Déjà, il est l’ « homme du pressentiment »[22].

La seconde étape de la carrière sioniste de Cohen en 1939 et 1940 à Paris lui permet sans doute de nouer des contacts et d’acquérir une familiarité avec le personnel politique, bureaucratique et militaire français dont il fera bon usage par la suite. Nommé conseiller au Département politique de l’Agence juive, il est détaché à Paris. Sa mission est triple : persuader les autorités françaises d’établir une Légion juive où de jeunes juifs étrangers pourront se battre aux côtés des troupes françaises ; aider des réfugiés à gagner la Palestine ; créer enfin un Comité d’intellectuels, Pro Causa Judaiea, organisme non confessionnel ayant pour objectif de populariser auprès de l’opinion française la cause sioniste[23]. Cohen complète là son expérience diplomatique[24]. La bataille de France perdue, Cohen était en danger en France bientôt occupée. Le 20 juin 1940, il parvient en Angleterre, pensant gagner par la suite le refuge américain[25]. Mais les problèmes financiers, les difficultés de transport, les circonstances enfin qu’il pressent dramatiques pour son peuple, l’attachent à l’Agence juive et à Weizmann, chef de l’Exécutif qui réside à Londres. Or Cohen, qui ne maîtrise pas la langue anglaise, peut y être plus utile, auprès des milieux embryonnaires de la France Libre. « Conformément à la mission qui m’a été confiée de prendre contact avec les milieux politiques français de Londres, écrit-il le 18 juillet, je suis entré en rapport avec diverses personnalités françaises et notamment avec M. de Saint-André, Directeur des Services d’Information, de Presse et de Propagande du général de Gaulle. J’ai vu M. de Saint-André le 16 juillet à St Stephens House. Notre entretien a été de longue durée. J’ai eu un nouvel entretien avec lui le 18 juillet », suivi dans la foulée d’une entrevue avec René Pleven et Pierre-Olivier Lapie, chargés alors des affaires extérieures[26]. Entre le 18 juillet et le 9 août, Cohen voit ou revoit des Français libres : Massip, nouveau Directeur général de l’Information, Pleven et de Saint-André à nouveau, ce dernier nouveau Directeur de la Propagande[27]. Le 9 août enfin, le général de Gaulle en personne reçoit Cohen dans ses nouveaux quartiers, à Carlton Gardens, avant de lui adresser, le 22, une lettre amicale[28].

De ces quelques faits, il ressort que l’initiative de ces contacts revient, comme l’on pouvait s’y attendre, à l’Agence juive, mais que la minuscule équipe gaulliste, de Gaulle lui-même, s’empressèrent de répondre à l’invite. Les rapports circonstanciés de Cohen, quelques échos dans la correspondance de Weizmann[29], permettent de cerner les motifs guidant les deux parties et leurs attentes respectives. L’Agence juive d’abord : son empressement est lié à son projet de mettre sur pied une force militaire juive en Palestine et aux incertitudes concernant la Syrie après l’armistice. Le 6 juillet en effet, Weizmann s’inquiète de l’équipement de la Haganah, la milice clandestine des juifs de Palestine, comme de la « désagrégation » supposée des troupes françaises du Levant. Et si leurs équipements tombaient aux mains des rebelles arabes[30] ? Les bruits d’un complot pro-gaulliste dans l’Armée du Levant et de son ralliement possible à de Gaulle dans ces jours de confusion ne sont sans doute pas étrangers non plus à la mission confiée à Cohen[31]. Reste que de Gaulle c’est l’inconnu, peut-être même un homme d’extrême-droite, bref un ennemi potentiel. Aussi l’Agence juive charge-t-elle Cohen d’une simple mission officieuse de sondage et d’estimation[32]. Ce dernier s’attache donc, à titre privé, à sonder politiquement le mouvement gaulliste comme ses intentions concernant les Etats du Levant, et à jauger ses chances de les rallier. « En principe, rapporte Cohen, la Légion française sera destinée à agir sur un point de l’Empire français. Il m’a été dit expressément qu’il n’est pas impossible qu’elle soit envoyée en Syrie. Mais il faudra un certain temps encore pour que cette Légion soit entièrement instruite et équipée »[33]. Quant à de Gaulle, sa personnalité « est sympathique et attachante. Le Général donne une impression de jeunesse, de loyauté et d’énergie, accentuée encore par son apparence physique »[34]. Ses propos, il est vrai, ont été de nature à le rassurer.

Pourtant Cohen, convaincu à présent de la possibilité d’une collaboration, a la plus grande peine à arracher à ses mandants des instructions formelles[35]. Peut-être la crainte de déplaire au gouvernement anglais en menant une politique indépendante, joue-t-elle un rôle dans cette réserve[36], de même que le désir de cerner mieux le chef de la France Libre[37]. Peut-être aussi, Weizmann, qui a retardé un voyage aux Etats-Unis, a-t-il songé à se charger directement des négociations. Le 22 août, il informe les autres membres de l’Exécutif qu’il compte rencontrer de Gaulle ; il a, semble-il, le projet d’un accord prévoyant un échange de services : des équipements provenant de Syrie contre un soutien pour organiser la propagande radio gaulliste en direction de la Syrie[38]. Peut-être enfin, la direction sioniste a-t-elle hésité devant les derniers développements au Moyen-Orient : à la fin de juillet et en août, le Foyer National ne paraît pas immédiatement menacé. Le danger ne saurait d’ailleurs venir que du Sud, du fait des Italiens de Libye[39]. Les espoirs gaullistes au Levant ont fait long feu, et les Anglais ont conclu avec les forces françaises en Syrie et au Liban un accord de statu quo qui garantit pour l’instant la sécurité de la frontière Nord de la Palestine[40].

Dans les derniers jours d’août, l’Agence juive se décide pourtant à confier une mission officielle à Albert Cohen auprès de la France Libre. Weizmann est désormais en confiance[41]. Par ailleurs l’offensive italienne en Libye, comme l’arrivée d’une commission d’armistice italienne à Beyrouth ont dû emporter les dernières hésitations. Prise apparemment le 29 août, la décision de confier à Cohen « une mission d’information auprès de vos services » est notifiée par Weizmann à de Gaulle le 18 septembre[42]. Le même jour Moshé Shertok, chef du Département politique de l’Agence juive à Jérusalem, annonçait à ses collègues de Londres la mise en place d’une collaboration en Palestine[43].

L’empressement de la France Libre à répondre au coup de sonde sioniste doit être replacé dans un double contexte : l’isolement, le désarroi, et l’insignifiance matérielle d’abord d’un mouvement embryonnaire en quête de légitimité et de moyens ; l’espoir ensuite de trouver des alliés serviables au Levant. L’avalanche de requêtes diverses adressées à Cohen trahit cruellement son dénuement initial, de même d’ailleurs qu’une évidente surestimation des moyens à la disposition de l’Agence juive[44].

Dès le 16 juillet, de Saint-André, visiblement préoccupé de donner à la France Libre un ancrage américain, exprime le vœu que « des rapports de collaboration » s’établissent. Selon Cohen, il recevrait « avec gratitude » « les informations que nous pourrions lui remettre sur la situation politique en Amérique » ; il « serait heureux si nous pouvions diffuser dans les milieux juifs américains — et éventuellement publier dans les journaux avec lesquels nous entretenons de bons rapports — les informations qui nous seraient remises » ; il s’interroge enfin sur « la possibilité de susciter en Amérique la création de quelques comités favorables à la cause du général de Gaulle »[45]. Le 9 août, le Général revient sur ce thème américain, assurant même Cohen qu’ « il écouterait volontiers les conseils que nous pourrions désirer lui donner en ce qui concerne telle position à prendre par lui dans tel cas déterminé »[46]. De Gaulle espère aussi avec plus de réalisme en l’occurrence, convaincre par le truchement sioniste de son libéralisme. Aussi développe-t-il pour la première fois ses conceptions concernant « la question juive sous son aspect général » : « à son avis, rapporte Cohen, le problème juif se pose plus ou moins régulièrement, à chaque période de malaise économique et social, lorsque la majorité, cherchant à la fois une explication et un responsable hors d’elle, est trop heureuse de trouver la « cause » de ses malheurs et un bouc émissaire dans une innocente minorité sans défense et dissemblable. A ce sujet, le général de Gaulle m’a dit sa conviction que la France, libérée de la domination hitlérienne, reprendrait sa mission au jour de la victoire et que, tout en assurant l’égalité des droits de tous les citoyens français, elle veillerait à ce que soient réparés les torts dont les collectivités juives d’Europe ont été victimes »[47]. Un thème essentiel —abordé avant les premières mesures anti-juives de Vichy — qui constitue le cœur de la lettre officielle qu’il adresse le 22 août à Albert Cohen après la visite de ce dernier[48].

Dès le 18 juillet toutefois, il est clair que l’intérêt des deux partenaires et leur collaboration éventuelle concernent avant tout la Syrie. Cohen est déjà convaincu que l’intention du Général n’est pas d’y favoriser les menées des nationalistes, car « avant tout, la Syrie doit rester française. Le Général est opposé à une action partisane et à l’idée de fomenter des troubles contre les occupants français actuels, troubles qui risqueraient de faire un « appel d’air » et qui pourraient susciter les convoitises de la Turquie ou favoriser un mouvement d’indépendance arabe »[49]. Cependant, dès le 16 à de Saint-André, Cohen souligne l’intérêt d’entreprendre dans l’armée de Syrie « une action immédiate de propagande » « afin d’y renforcer l’esprit de résistance »[50]. Une suggestion immédiatement retenue par Pleven qui l’informe « que le Comité de Gaulle avait décidé d’entreprendre immédiatement (…) une action de propagande auprès des troupes de Syrie et que cette propagande aurait pour but (…) de renforcer l’esprit de résistance en Syrie, en cas d’attaque ou de débarquement des forces d’une des puissances totalitaires »[51]. Vu l’intérêt que cette action présentait pour les sionistes, Pleven présente un long catalogue des aides susceptibles d’être fournies par l’Agence juive à la propagande gaulliste en direction de la Syrie, tout en ne manquant pas de faire ressortir — avec un optimisme exagéré — les atouts de De Gaulle dans cette entreprise[52]. Ce dernier, le 9 août, se borna à approuver le projet, se montrant « particulièrement intéressé par la question des unités militaires juives qui pourraient être créées en Palestine si le gouvernement britannique y consentait ». L’affaire est assez sérieuse à ses yeux pour prier Cohen de garder le contact et lui tenir sa porte ouverte. Surtout il ajoute en des termes que Cohen affirme rapporter « à peu près textuellement » « Après la guerre il est possible que je sois en mesure de vous être utile en ce qui concerne la question juive et celle du Foyer national juif. En tel cas, je serais prêt à vous donner mon appui. Je n’oublie pas les services qu’on me rend »[53]. Promesse qu’il s’abstient de mentionner par écrit, qu’il se garde de renouveler, et sur laquelle Cohen ne se fait pas trop d’illusion. Le personnage l’a suffisamment convaincu cependant pour que l’éventualité de ce soutien, au-delà de la question circonstancielle de la Syrie, justifie aux yeux de ce dernier, la mise en place d’une véritable coopération. Ces propositions, estime-t-il, « émanent en effet d’un chef responsable qui ne donne pas l’impression d’avoir l’habitude de parler à la légère et qui m’a donné, au cours de tout l’entretien, l’impression d’un homme sérieux qui pèse ses mots et en connaît la valeur — et d’un homme parfaitement loyal (…). Tous nos plans, toute notre action politique ne peuvent se baser que sur l’hypothèse de la victoire de l’Angleterre (…). Or dans cette hypothèse —qui est pour nous une certitude — je crois que nous avons le plus grand intérêt à faire d’ores et déjà du général de Gaulle un ami de notre organisation. Il semble certain en effet qu’au jour de la victoire, le général de Gaulle sera considéré par l’Angleterre comme le représentant authentique de la France, comme l’homme qui a qualité pour parler au nom de la France. D’ailleurs, il semble également certain que, dans une France libérée de la domination hitlérienne, le général de Gaulle jouera un rôle très important sinon le rôle suprême. (…) A divers titres il aura donc voix au chapitre lors d’une conférence de la Paix »[54].

En réalité, si ces arguments ont pu porter dans les rangs sionistes — surtout avant l’entrée en guerre des Etats-Unis et la perspective infiniment plus prometteuse de son soutien —, la France Libre accuse dès l’automne 1940 un profil plus bas, limitant le champ de la coopération gaullo-sioniste à des objectifs concrets et limités, et notamment aux préparatifs de l’opération contre la Syrie vichyste.

La coopération entre la France Libre et l’Agence juive au Moyen-Orient (septembre 1940-juin 1941)

Gaston Palewski à la fin d’août 1940 et le général Georges Catroux, en septembre, rallient Londres et la France Libre. Ces deux hommes, surtout le second, vont jouer un rôle capital dans ce réajustement de l’attitude gaulliste. Palewski, ancien collaborateur de Paul Reynaud, est un politique, Catroux un militaire. Mais tous deux ont une expérience directe des problèmes musulmans, mieux s’intéressent, à l’école de Lyautey, à la civilisation islamique[55]. Palewski, premier directeur des Affaires politiques de la France Libre de décembre 1940 au début de 1941, puis directeur de Cabinet du Général à partir de septembre 1942, apprécie Weizmann, rencontré à Paris à la fin des années trente, mais son opinion sur le sionisme est d’ores et déjà faite. Dans ses Mémoires d’action, il se remémore les visites du chef sioniste, celui « dont le charme intellectuel et la voix de violoncelle devaient agrémenter les discussions que nous eûmes par la suite pendant le blitz à Londres où, étant passé par le Maroc, je lui dis les immenses difficultés que la France — puissance islamique alors — aurait à l’aider dans son entreprise si digne d’intérêt mais qui recelait tant d’insolubles problèmes »[56]. Quant à Catroux, son implication dans la politique musulmane de la France était encore bien plus profonde : à la différence de De Gaulle, il a choisi une carrière coloniale qui se déroula essentiellement en Afrique du Nord et au Levant où il assuma de hautes fonctions de 1920 à 1923, lors de l’installation du mandat, puis en 1926 et 1927 à la fin de la révolte druze[57], alors que le séjour de De Gaulle au Levant se déroula dans un calme relatif. Rien de surprenant donc à ce que de Gaulle utilise ses compétences en l’envoyant, secrètement d’abord, fin septembre, au Caire avec mission d’obtenir le ralliement des Etats du Levant et de veiller aux intérêts français, puis officiellement à la mi-novembre 1940 avec le titre de Délégué général de la France Libre au Moyen-Orient, fonction occupée jusqu’au 6 juillet 1941[58]. Or sans repousser l’aide sioniste, il veilla à ne pas compromettre outre mesure la France Libre.

L’épicentre des relations avec le mouvement sioniste se déplace donc vers le Moyen-Orient, où, face à la puissance de l’allié britannique, « la France libre faisait bien piètre figure »[59]. La tâche de Catroux n’est pas simple : il s’agit, après l’échec du ralliement spontané des troupes du Levant en septembre, de convaincre le général Wavell de sortir de son attentisme à l’égard de la Syrie vichyste, alors même que le commandant en chef britannique au Moyen-Orient juge impossible, avec la menace de l’Axe en Afrique et dans les Balkans, d’assumer un front supplémentaire tant que la sécurité de l’Egypte n’est pas directement en cause[60]. De Gaulle et Catroux ont des raisons impérieuses d’insister : le désir naturellement d’étendre les bases territoriales de la France Libre et d’assurer dans la bataille de Méditerranée, qu’ils croient alors décisive, la « rentrée militaire à un niveau réellement politique »[61] ; mais ils craignent aussi de voir l’Allemagne intervenir dans le Levant français. En octobre 1940, Catroux devait admettre provisoirement son échec, confirmé encore en décembre par le refus du Haut-Commissaire en Palestine, Sir Harold Mac Michael de renoncer à ses bonnes relations frontalières avec Vichy. En accord avec de Gaulle, il fut donc décidé d’amplifier l’action psychologique en direction de la Syrie, en attendant que la menace allemande décide les Anglais à intervenir. Ce délai pouvait permettre enfin de former des troupes gaullistes susceptibles, le jour venu, de contribuer à l’intervention, sauvegardant ainsi les intérêts français[62].

Dans ces circonstances, l’aide offerte par les sionistes de Palestine ne pouvait être dédaignée. Les Français d’Orient, à quelques exceptions près, firent en effet à Catroux un accueil très réservé[63]. En Palestine, où la petite colonie française comprenait surtout des religieux fidèles, sous la houlette du consul général à Jérusalem Amédée Outrey, au maréchal Pétain, il fut particulièrement mal reçu. Quant aux populations musulmanes, attentistes ou travaillées par la propagande de l’Axe, elles ne témoignaient guère qu’indifférence ou hostilité envers la France Libre. Restaient les juifs, les premiers intéressés dans la région à lever la menace totalitaire et dont l’ardeur à participer à l’effort de guerre était précisément découragée par les autorités britanniques ; Londres est peu désireux en effet, depuis son option, en mai 1939, pour une politique pro-arabe en Palestine, de donner aux sionistes des titres à réclamer ultérieurement des satisfactions. Un comité juif des Amis de la France Libre est constitué à Tel-Aviv en décembre 1940 pour « faire connaître et apprécier en Palestine le mouvement du général de Gaulle, et aider moralement et matériellement les soldats de la France libre et leurs familles »[64]. Fort d’une cinquantaine d’adhérents bien intentionnés mais sans personnalités bien marquantes, le groupe se spécialisa en fait dans cette seconde tâche, exception faite de l’organisation de quelques conférences de propagande et de la publication ronéotypée d’un bulletin en français[65]. Selon H. Zimmermann, délégué de la France Libre en Palestine et Transjordanie après l’intervention en Syrie, les animateurs de ces groupements « ne sont pas pris très au sérieux, surtout dans les milieux intellectuels juifs, très critiques, de Tel-Aviv»[66]. Néanmoins Méïr Dizengoff, le maire de Tel-Aviv, une personnalité sioniste importante, honore de sa présence certaines manifestations, aux côtés de la Générale Catroux et du capitaine Repiton-Préneuf, l’officier de liaison à Jérusalem[67].

L’essentiel se passe évidemment loin de ces mondanités, entre autorités anglaises, Français libres présents sur place et la Haganah. Dès juillet 1940, le Commandant des Essars qui avait été jusqu’à l’Armistice l’officier de liaison du général Noguès auprès du général Wavell au Caire, « avait pris en main, avec l’organisation des Forces militaires de la France Libre, l’effort à exercer sur les troupes du Levant pour les détacher de Vichy »[68]. Avec l’aide du capitaine Repiton-Préneuf, ancien officier de liaison de l’Etat-Major de Weygand auprès de Wavell au Caire, qu’il dépêche à Jérusalem en septembre, et en accord avec les Britanniques, sont organisés l’accueil des premiers volontaires de la France Libre venant de la Syrie et du Liban ainsi qu’ « un embryon de service des renseignements »[69]. Il s’occupe en outre de lancer la propagande. Joseph Halléguen, de l’Etat-Major de Weygand à Beyrouth détaché en août 1939 à la Liaison militaire à Jérusalem et rallié dès le 18 juin 1940, se trouve chargé au soir du 23 juin d’assurer, sous l’égide britannique, l’émission française libre de Radio-Jérusalem destinée à contrer la propagande beyrouthine de Radio-Levant[70]. Mais les Anglais, désireux de ne pas compromettre leur modus vivendi avec les autorités vichystes de Syrie, en modèrent les propos. « Cette censure débonnaire n’était pas de notre goût, rapporte Halléguen, et un beau jour un autre poste, non soumis à la censure, « Radio-Levant-France-Libre » se fit entendre à partir du nord de la Palestine »[71]. Ce second poste, alors seul poste gaulliste avec Radio-Brazzaville, devait tout, lui, à la Haganah.

Le diplomate François Coulet, qui fut avec Raymond Schmittlein, Raymond Fleuriot, André Zirnheld et Jacques Lassaigne[72], le principal animateur de Radio-Levant-France-Libre n’a pas fait mystère de ce concours. Secrétaire d’ambassade à la légation d’Helsinki au moment de la défaite, F. Coulet parvient péniblement à gagner en août 1940 l’Afrique équatoriale ralliée. A Lagos, des télégrammes émanant du Commandement français libre d’Egypte, en septembre 1940, le pressent de gagner le Caire « en vue d’une importante mission à assumer en Palestine »[73]. Pleven, alors à Lagos et dont nous connaissons les contacts londoniens avec Albert Cohen, l’y encourage tandis que ces télégrammes, notons-le, n’émanent pas de Catroux, arrivé au Caire peu avant F. Coulet, mais du commandant des Essars, bientôt bras droit de Catroux au Caire. Le 1er octobre, il gagne en grand secret Jérusalem, puis Haïfa pour animer un poste clandestin censé, pour les autorités vichystes de Syrie, émettre du sud de leur territoire. La station bénéficia en fait de l’assistance de l’Intelligence Service qui, à l’époque et au grand dam des services du Haut-Commissaire Mac Michael, collaborait avec les sionistes de Palestine[74]. Le support logistique et technique, lui, vient des juifs, qui fournissent le poste à ondes courtes de « La voix de Sion en armes », l’ancienne radio clandestine d’un groupe terroriste dissident de la Haganah, l’Irgoun qui, a choisi, la guerre venue, de cesser son activité anti-britannique et de faire alliance avec le sionisme officiel[75]. C’est semble-t-il dans l’appartement même d’un dirigeant sioniste important, David Hacohen[76], dans le plus grand immeuble de Haïfa, Habaït Hagadol (« La grande maison »), au milieu de familles juives, que le poste émetteur et l’équipe française furent installés. Outre son travail d’officier de liaison de la Haganah avec l’armée britannique, David Hacohen assure aussi le contact avec les Forces françaises libres de Palestine, et spécialement avec F. Coulet dont les sympathies pro-juives, et bientôt pro-sionistes, sont vives. D’octobre à juin 1941, la station donne au moins quatre émissions journalières, l’antenne de 41 mètres permettant une large portée. Contrairement à Radio-Jérusalem, elle fait de l’humour et de la dérision des armes, et ne ménage pas Pétain et Darlan. F. Coulet, pendant longtemps « sans consignes restrictives » et « sans contrôle »[77], « avait voulu, dès le début, donner au poste un caractère de violence et de gaieté ; il fallait qu’il fût un défi permanent à l’adresse de Radio-Levant et un tonique pour ses somnolents auditeurs »[78]. Il appartint à Schmittlein qui le remplaça en avril, de faire retentir « le chant du cygne » : « quand, dans la nuit du 7 au 8 juin 1941, les troupes de la France libre et les Britanniques passèrent la frontière et envahirent les Etats du Levant, Lassaigne et lui se déchaînèrent au micro, émettant avec les seules interruptions rendues nécessaires par l’échauffement des lampes et jetant les fausses nouvelles à poignées : parachutistes allemands largués dans la montagne libanaise, les soldats de Legentilhomme aux portes de Beyrouth, la garnison d’Alep se soulevant pour de Gaulle… »[79].

Certes l’efficacité de ces émissions est problématique. F. Coulet ne nourrit d’ailleurs guère d’illusions ; « il est trop vrai, dit-il, que le résultat de tous ces efforts a été probablement nul »[80]. Certes, les autorités de Beyrouth ne se méprirent pas sur l’origine géographique de ces émissions ; néanmoins, elles s’en alarmèrent assez pour demander au consul Outrey d’intervenir à Jérusalem[81], et à partir de février 1941, « le général Dentz équipa en stations de brouillage cinq ou six camions militaires et les fit croiser tout au long de la frontière »[82]. Pas plus que les bobards de juin 1941 ne semblent avoir eu le moindre rôle militaire, la propagande intérieure n’eut d’impact perceptible sur les troupes françaises du Levant. Il n’en reste pas moins que l’épisode illustre déjà des divergences dans les milieux gaullistes sur l’opportunité d’une politique prosioniste.

L’ « Orient compliqué » cause des soucis plus essentiels à de Gaulle. Néanmoins, il se montre bien disposé à l’égard de ses partenaires juifs de Palestine. Lors d’une courte visite à Jérusalem, il convoque, le 7 avril 1941, François Coulet par l’intermédiaire de Repiton-Préneuf; une entrevue informelle suit le dîner officiel chez le Haut-Commissaire. Conversation d’abord générale, mais naturellement consacrée aussi à « ce que faisaient donc les Français » en Palestine. Coulet ne manqua pas de s’enquérir de l’adhésion du Géréral à la ligne violemment anti-pétainiste de sa station, ligne réprouvée par Catroux[83]. Bref, de Gaulle est au courant, ne fait pas d’objection, même s’il annonce à Goulet que sa mission de propagande est terminée et qu’il doit rejoindre Londres où Pleven le réclame.

Le chef de la France libre qui a quitté l’Angleterre en mars 1941 réside en effet au Caire à partir du 25 mai. L’heure de l’action a enfin sonné au Moyen-Orient. Comme prévu, le danger allemand y est devenu pressant depuis quelques semaines : après la Yougoslavie et la Grèce, la Crète, base essentielle en Méditerranée orientale, est submergée[84] ; en vertu des accords de Paris signés par Darlan et Abetz le 5 mai, la Syrie, déjà infiltrée par les agents et les espions de l’Axe, laisse des avions allemands, venus épauler la révolte de Rachid Ali en Irak, disposer de ses aérodromes. Wavell, en charge de deux nouveaux fronts en Méditerranée et en Irak, résiste encore aux instances françaises, mais à partir du 14 mai, Churchill est acquis à l’idée d’une intervention rapide en Syrie[85]. Le 25, Wavell expose les grandes lignes de l’opération « Exporter », dont le déclenchement le 8 juin est maintenu en dépit de l’armistice anglo-irakien du 31 mai et du départ des derniers avions allemands de Syrie le 6 juin. Depuis des semaines, des bataillons FFL sont acheminés des profondeurs de l’Afrique vers la Palestine pour y former les premiers éléments de la première Division des Forces françaises libres sous les ordres du général Legentilhomme assisté comme chef d’Etat-Major du lieutenant-colonel Koenig[86]. Le commandement britannique leur a attribué le camp de Qastina au sud de Jaffa où ils s’entrainent durant un mois environ avant de participer à l’attaque contre la Syrie. Le 26 mai, de Gaulle inspecte le camp de Qastina et remet les premières Croix de la Libération aux combattants d’Erythrée et de Libye[87]. La veille de l’attaque, puis du 13 au 17 juin, il est à nouveau en Palestine où le voit Yigal Allon, officier important de la Haganah, visitant les troupes et les blessés. « Nous connaissions de Gaulle, assure ce dernier. Nous l’avions vu en Galilée, en juin 1941, à la veille de l’invasion de la Syrie. Je me trouvais tout près de lui, mais, ne sachant pas le français, je n’avais pu lui parler… Mais j’étais allé le voir. Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait au bataillon français réuni dans la clairière, mais je sentais qu’il électrisait les hommes »[88]. A coup sûr, en l’absence de Ben Gourion alors à l’étranger, il rencontra Shertok[89]. Les juifs de Palestine se montrent très amicaux et serviables avec les soldats français. Ils « partagent nos angoisses et nos espoirs et nous aident de toutes leurs forces », raconte le capitaine Paul Moynet[90] ; Le Palmakh, unité d’élite de la Haganah, dont les Anglais ont fini par favoriser la formation, fournit à l’armée anglo-française des équipes de reconnaissance et des guides[91]. La colonne de camions transportant le 7 juin les unités françaises de Qastina à la frontière syrienne est acclamée : « Les Sion-nistes (sic) se pressent sur son passage et l’applaudissent et crient « Bonne chance » en dressant en l’air le pouce comme le font les Australiens. Toute la population des colonies juives, de vigoureux jeunes hommes, des femmes, des fillettes en shorts, font la haie et lancent des fleurs et des fruits qu’on attrape au vol »[92]. De cette brève fraternité d’armes, de Gaulle conserve encore en 1968 le souvenir : « Et moi, je ne suis peut-être pas un ami d’Israël ! D’ailleurs je me rappelle la Palestine en 1941, et ces jeunes juifs étaient merveilleux, ils se battaient à nos côtés alors que les Arabes — il faut bien le dire — étaient de l’autre bord. »[93]

Reste que pour les détails de la politique de la France Libre au Moyen-Orient, il laisse faire Catroux dont l’opposition à tout engagement politique entre la France Libre et les sionistes, et même à toute coopération trop poussée va contrer les initiatives de F. Coulet. Ce dernier adressait ses rapports à Pleven et au baron de Benoist, du Comité national français du Caire, par la voie hiérarchique. Beaucoup, suggère-t-il, n’atteignirent pas leurs destinataires, « sauf l’un d’eux qui, en mars 1941, provoqua de la part de Passy, à Londres, un projet de coopération avec les gens de l’Agence juive à Jérusalem, et, par contre-coup, la colère de Catroux »[94]. Le Délégué général qui avait rendu visite à la station secrète de Haïfa à l’automne 1940, repousse fermement le projet sioniste dont Coulet s’était fait l’écho « de mettre à la disposition du général de Gaulle une véritable division sioniste constituée et équipée »[95]. Pour Coulet, Catroux « croyait à l’Islam et pensa que le chef de Levant-France-Libre agissait derrière lui et contre lui »[96] ; du reste en Egypte, « les officiers de carrière de l’état-major Catroux avaient servi en Afrique du Nord et étaient presque tous antisémites, comme en général les Chrétiens des colonies du Caire et d’Alexandrie »[97]. La France Libre n’était certes pas immunisée contre l’antisémitisme, et surtout ne tenait pas outre mesure à afficher des sympathies pro-juives. Catroux explique lui-même que « la propagande de Vichy s’emparerait avec empressement d’un pareil événement pour donner substance à celui de ses thèmes qui faisait du général de Gaulle le serviteur docile des Juifs »[98]. Mais, à ses yeux, comptent surtout l’hostilité irréductible des Arabes au sionisme et, dans l’immédiat, l’inopportunité de gêner la politique de l’allié britannique en Palestine : « Les Sionistes étaient sous l’obédience de la Grande-Bretagne et seul le Commandement britannique pouvait décider, écrit-il, de l’opportunité de la constitution et de l’emploi de pareilles unités. Jusqu’ici, il s’était abstenu d’en former. La raison en était qu’une contribution des Juifs à la guerre équivaudrait à une lettre de crédit que la Grande-Bretagne devrait politiquement acquitter après la victoire. Or, évidemment, c’était ce but qu’en offrant des forces à la France Libre, les dirigeants sionistes visaient par un détour. Nous ne pouvions pas nous y prêter »[99]. Manifestement, de Gaulle, qui ne craint pas d’affronter brutalement les Anglais lorsqu’il y va de l’intérêt supérieur de la France, se rangea, sur ce point, aux arguments de Catroux[100]. Le projet n’eut pas de suite.

La mission de liaison d’Albert Cohen à Londres (septembre 1940-juin 1941)

Ces derniers développements nous ramènent à Londres et à Albert Cohen. Bien que le centre des relations entre la France Libre et les sionistes se trouve désormais au Moyen-Orient, avec la présence de Catroux, puis au printemps 1941 celle de De Gaulle en personne, les contacts dans la capitale britannique se poursuivent. Cohen bénéficie en effet de relations amicales dans une France Libre dotée à la fin de 1940 d’une double structure politique et militaire. Il semble en fort bons termes avec P-0. Lapie — mais ce dernier quitte rapidement Londres pour l’Afrique —, René Pleven, le commandant Jules Hackin, un savant archéologue spécialement chargé des questions du Proche-Orient jusqu’au printemps 1941[101], ainsi qu’avec René Cassin. Des relations s’engagent avec le commandant Passy, le chef d’Etat-Major général des FFL, et ses services[102], de même qu’avec l’amiral Muselier ; de son aide de camp, le capitaine Michel, disparu début juillet 1941 alors qu’il gagnait le Moyen-Orient muni d’une lettre d’introduction pour Shertok, A. Cohen devait dire qu’ « il était, parmi les personnalités françaises libres, un de nos plus sincères amis »[103]. Au printemps 1941, l’écrivain fait en outre la connaissance « de personnalités dirigeantes qui sont entrées récemment dans le mouvement de Gaulle »[104], Maurice Dejean, successeur de Palewski, et le baron Dayet notamment. Il aborde le premier avec circonspection[105], mais le second, son adjoint à la Direction des Affaires politiques, « s’est particulièrement intéressé au sionisme » et aurait même déclaré : « Nous serons présents à la Conférence de la Paix et j’espère que nous pourrons vous être utiles »[106].

Mais Cohen, et sans doute les dirigeants de l’organisation qu’il sert, semblent s’être inquiétés de certains relents d’antisémitisme à Carlton Gardens ; Cassin, tout en insistant sur leur faible nombre et sur « le libéralisme du général de Gaulle », lui confirme la présence dans les rangs gaullistes de « Pétainistes sans Pétain »[107]. Le lieutenant Manuel, adjoint de Passy, tente de dissiper ces ombres[108]. Probablement par affinité, mais aussi par réaction, Cohen entretient cependant des liens étroits avec André Labarthe, l’animateur de La France Libre, et surtout Pierre Comert, un démocrate sans reproches, rédacteur de la revue France, et son Centre Français d’Etudes[109]. En octobre 1940, il obtient pour ce dernier d’une Agence juive pourtant contrainte à de perpétuelles acrobaties financières une subvention de 100£[110]. En novembre, il lui ménage une entrevue avec Weizmann[111] ; il s’agit probablement d’obtenir un « appui financier régulier »[112], demande qu’appuie chaleureusement l’écrivain parce que, explique-t-il, « M. Comert est un ami dévoué, toujours prêt à nous rendre service et grâce à qui nous avons eu déjà diverses informations utiles »[113]. En décembre, il insiste encore, cette fois auprès d’un autre membre de l’Exécutif, Selig Brodetzky, précisant que le groupe de Comert « constitue un des milieux français libres les plus sûrs politiquement », mais Weizmann « vient de me dire qu’il ne pourra accorder une nouvelle aide qu’après son arrivée en Amérique »[114]. L’affaire s’est-elle faite au moins sur une base provisoire ? C’est très possible car Cohen en février 1941 s’alarme d’un mystérieux projet de subvention que l’Agence juive aurait l’intention d’accorder ; avec la procédure envisagée, Comert et Labarthe, deux « sincères amis », seraient oubliés[115].

Nonobstant ses rapports privilégiés avec ces journalistes[116], Cohen, conscient d’accomplir un travail de longue haleine, veille à diffuser des informations générales sur le sionisme aux divers responsables de la France Libre et s’efforce d’obtenir, sans succès, l’élaboration d’un matériel de propagande spécifique pour les gaullistes[117]. Il ne cesse d’organiser des rencontres, le plus souvent autour d’une table, entre des membres de l’Exécutif comme Selig Brodetsky, chef du Département politique à Londres, et surtout Weizmann et des Français libres influents. Dès novembre 1940, Cohen cherche ainsi à ménager une entrevue entre Weizmann et de Gaulle, à peine revenu de la malheureuse expédition de Dakar[118]. La rencontre est convenue à Carlton Gardens, mais, aimait à raconter Cohen, « après une attente que le Dr Weizmann estima suffisante, il décida de renoncer à l’entrevue. J’en informais l’aide de camp du général de Gaullle et nous partîmes »[119]. Mais Cohen n’exclut pas qu’une autre rencontre ait pu se dérouler en dehors de lui. Or un membre de l’administration de l’Agence juive à Londres, J. Linton, affirme le 28 mars 1941 à Shertok que Weizmann a déjà rencontré toutes les personnalités importantes de la France Libre « y compris le général de Gaulle lui-même et l’amiral Muselier »[120]. Palewski raconte, lui, dans un témoignage tardif : « J’ai eu, pendant mes séjours à Londres au cours de la guerre, les contacts les plus amicaux avec le Dr Weizmann, pour lequel j’éprouvais des sentiments d’amitié et d’estime particulières. Je sais que ces sentiments étaient partagés aussi par le général de Gaulle…Au moment où le général de Gaulle a reçu le Dr Weizmann, je commandais les Troupes françaises libres en Ethiopie »[121]. Autant dire qu’une certaine incertitude plane sur la date de cette première entrevue, sans doute le début du printemps 1941 avant le départ de Weizmann aux Etats-Unis et après celui de Palewski pour l’Afrique.

La conjugaison de tous ces efforts de la part de l’Agence Juive marque bien l’intérêt qu’elle attache à l’époque au courant gaulliste. Certes, elle entretient aussi des liens avec les gouvernements en exil polonais, tchèque et grec, mais ces contacts sont occasionnels[122]. Bien entendu, l’Angleterre a le premier pas dans ses préoccupations immédiates ; lors de la future conférence de la Paix, ses dirigeants savent bien que « c’est surtout avec l’Angleterre et les Etats-Unis qu’il faudra compter »[123]. Néanmoins, ils ne négligent pas de profiter des circonstances pour « préparer des amitiés qui pourront (…) être utiles » lors de la Conférence[124]. Pour l’heure, ils cultivent surtout la France Libre, en essayant d’exploiter l’affaire syrienne. La tension latente entre Weizmann, qui table encore sur l’Angleterre qui se dérobe, et David Ben Gourion qui séjourne pendant la plus grande partie de la guerre en Amérique car il mise déjà sur elle, a pu contribuer à pousser Weizmann dans cette stratégie « européenne ».

Pendant l’hiver 1940-1941, la Syrie reste donc le thème principal des échanges londoniens. Visiblement ni les services de l’Agence juive, ni le quartier général de la France Libre ne disposent de beaucoup d’informations en provenance du Moyen-Orient. Difficulté des communications ou volonté d’autonomie des responsables locaux ? Reste que Cohen comme ses interlocuteurs — Lapie le 3 novembre, Massip et Hackin, le 6[125] — accordent du prix aux renseignements échangés. Le sioniste cherche à tenir de Gaulle informé de la collaboration dont la Palestine est le théâtre[126] ; il tient aussi à savoir si de Gaulle ne renonce pas à la Syrie, malgré l’attentisme britannique. Les déclarations de Hackin suivant lesquelles « toute activité concernant la Syrie est pour le moment « en veilleuse », sans pourtant être abandonnée » viennent confirmer les informations que réunit, de son côté Weizmann[127]. Leurs interlocuteurs gaullistes se montrent avides des renseignements que peuvent leur fournir les sionistes, soit pour leur propre compte, soit pour satisfaire à des demandes anglaises[128] : le 21 décembre, Hackin remercie chaleureusement Cohen pour les informations fournies les deux derniers mois ; « vous contribuez ainsi et d’une façon efficace à rendre notre effort plus fructueux »[129]. Mais, non sans illusion sur le poids des sionistes à Londres, ils cherchent aussi à utiliser la carte sioniste sur le plan politique auprès des Anglais. « Le Commandant Hackin, rapporte Cohen, m’a confié que, ces derniers temps, il a fait diverses interventions auprès des autorités britanniques pour leur faire connaître les diverses raisons pour lesquelles une action militaire anglaise en Syrie s’impose, et d’urgence. Il regrette de n’avoir pu faire accepter jusqu’à présent son point de vue. (…) il serait heureux si le Dr Weizmann estimait opportun, du point de vue de la sécurité de la Palestine, de soutenir auprès de qui de droit l’idée d’une action militaire anglaise en Syrie »[130]. A cette initiative prise peut-être sur les instances de Catroux, qui ne pouvant se faire entendre des autorités militaires britanniques au Moyen-Orient, a pu suggérer une intervention auprès du Foreign Office, Lapie et Cassin en ajoutèrent une autre dont nous ignorons s’il y donna finalement suite. Lapie, soutenu par Cassin désormais membre du Conseil de l’Empire créé le 27 octobre, émet en effet l’idée que Shertok prenne contact avec Catroux[131]. Prudent, Cohen suggère plutôt que le Quartier général des FFL adresse un télégramme en ce sens au Général[132]. Tandis que Weizmann était consulté, Cohen s’entretient avec Passy, « le Chef d’Etat-Major général des FFL, avec le Chef du Deuxième Bureau et avec le Commandant Hackin, Adjoint du Colonel Fontaine »[133]. Le 17, le projet de télégramme lui est transmis pour avis de l’Exécutif de l’Agence juive, laquelle donne son aval le 19[134]. Autre preuve de la bonne volonté sioniste : l’Agence juive accepte d’assurer l’acheminement et la diffusion en Syrie de revues gaullistes.

Sans doute cependant Albert Cohen sent-il que dans ces affaires moyen-orientales, les intérêts franco-sionistes ne sont que momentanément convergents et que, de toutes façons, ils ne peuvent se commander de Londres. On le voit en effet dès décembre 1940 tenter de diversifier ses centres d’intérêt avec les Français, leur offrant en particulier de leur fournir des informations sur la situation en France et en particulier sur celle des juifs en France[135]. Les sionistes, grâce à leur Bureau de Genève et à l’antenne suisse du Congrès juif mondial, une organisation rassemblant sionistes et non sionistes créée dans les années trente pour essayer de conjurer les menaces grandissantes, disposaient en effet de bien meilleures sources d’information que la Résistance générale. Les échanges se font cependant sur la base de la réciprocité. Comme l’explique Cohen, « il faut voir surtout dans l’envoi qui nous est fait de ces informations un témoignage de bonne volonté et une occasion de rapports permanents »[136].   

En janvier 1941, il tente de faire adopter par l’Exécutif un projet initialisant son grand dessein : convertir les puissances secondaires, dans la perspective de la Conférence de la Paix, aux aspirations sionistes. Il propose de constituer à Londres un « Comité Interallié des Amis du Sionisme » qui serait « un cadre permanent destiné à provoquer et à maintenir des contacts réguliers avec les personnalités les plus représentatives des gouvernements et des milieux alliés, à les informer, à essayer de susciter ou d’accroître leur sympathie » et qui concernerait outre la France Libre, la Belgique, la Grèce, la Hollande, le Luxembourg, la Norvège, la Pologne, la Tchécoslovaquie et la Turquie[137]. La filiation avec l’ancienne Pro Causa Judaïca est évidente, mais Cohen insiste surtout sur les différences. Autant à Paris à la veille de la guerre, il a voulu former un comité restreint d’intellectuels français, autant il s’agit cette fois d’une association « essentiellement politique et internationale »[138]. Cohen semble aussi avoir pensé lui faire jouer le rôle d’un groupe de pression auprès des Britanniques. La crainte de froisser les Anglais fit cependant aussitôt repousser le projet, de même que l’inconvénient de grouper ainsi des intérêts hétéroclites. Mais l’idée « d’élargir et d’étendre les contacts déjà pris par le Département politique de façon à toucher les représentants de tous les gouvernements alliés en Angleterre » n’est pas rejetée[139]. Elle prendra corps après juillet 1941, et Cohen en sera à nouveau largement l’artisan.

En février 1941, l’écrivain tente une nouvelle offensive. « J’ai envisagé avec M. R. Pleven, Directeur chargé de la coordination des services des Forces françaises libres, dit-il, une extension des rapports de collaboration entre nos deux organisations »[140]. Selon lui, G. de Saint André, Hauck, Hackin — parti récemment en mission en Orient avec une lettre pour Shertok mais tué en route —, le capitaine Michel, le Commandant Escarra, mais aussi Palewski, ont émis un avis favorable. L’intérêt de la France Libre à un resserrement des rapports ressort des demandes présentées. Il s’agit d’abord d’accentuer l’échange d’informations relatives à la France et aux juifs de France ainsi qu’à la Syrie. Pour faire face, Cohen demande l’aide d’une secrétaire et la faculté de communiquer directement avec les informateurs en Palestine et à Genève. Pleven caresse ensuite l’idée d’obtenir un soutien sioniste à la propagande gaulliste à l’étranger selon la procédure suivante : «les Forces françaises libres nous remettraient une liste, spécialement établie pour nous, de leurs représentants à l’étranger les plus qualifiés afin que nous demandions à nos propres organisations de prendre contact avec ces représentants et d’établir des rapports de collaboration des résultats desquels ils nous tiendraient au courant afin que nous puissions à notre tour renseigner régulièrement les Forces françaises libres à ce sujet »[141]. Ce qui intéresse les Français libres de Londres, ce sont les structures sionistes du continent américain, et surtout l’organisation puissante des Etats-Unis où précisément de Saint André se rend et où Pleven va partir en juin[142] ; en visite à Londres, le représentant de de Gaulle aux Etats-Unis, Jacques de Sieyès, exprime à Cohen le vœu « d’avoir des rapports de collaboration » avec la branche sioniste américaine[143]. La tentative faite par la France Libre pour utiliser le sionisme à ses fins était trop transparente cependant pour que les dirigeants sionistes de Londres donnent suite. Ils veulent bien, en soulignant les efforts déjà consentis, accentuer l’échange de renseignements sur la Syrie, relançant Shertok qui était resté silencieux depuis le 26 novembre 1940[144]. Mais ils refusent par sécurité de livrer les noms de leurs représentants à l’étranger et décident de mettre les choses au point : « Nous avons demandé à Albert Cohen d’informer les Forces françaises libres que l’Agence juive est essentiellement intéressée par la Palestine et que à part notre collaboration à Londres, nous pouvons les aider seulement en Palestine et Syrie, et dans ce cas à travers nos amis de Jérusalem »[145].

  1. Cohen ne renonce pourtant pas, mais en utilisant cette fois ses liens — remontant à son séjour parisien avant-guerre —avec le Congrès juif mondial. Le nouveau projet de collaboration élaboré en mai 1941 avec le commandant Escarra, chargé désormais de la liaison avec lui, prévoit les services que se rendront mutuellement non plus directement l’Agence juive, mais le Congrès juif mondial — très proche en fait de cette dernière, mais dont le siège est aux Etats-Unis[146] — et les Forces françaises libres[147]. Grâce à son implantation américaine, le Congrès pourra, lui, servir de courroie de transmission entre les FFL de Londres et l’opinion aux Etats-Unis. Ainsi, à la veille de l’opération « Exporter » en Syrie qui allait profondément modifier les conditions de la collaboration gaullo-sioniste au Moyen-Orient, la mission d’Albert Cohen à Londres changeait de caractère.

Juin-juillet 1941 ne marquent pas plus la fin des relations de la France Libre et des sionistes que celle de la mission d’Albert Cohen qui ne se termine qu’en septembre 1944[148]. Mais c’est un tournant. Après cette date, avec la reconquête des Etats du Levant, puis de l’Afrique du Nord, les intérêts arabes pèsent plus lourd encore dans la politique gaulliste. Certes les relations avec l’Angleterre sont souvent détestables, mais la revendication de non-ingérence au Levant implique que la France Libre respecte elle-même ce principe en Palestine. En butte à l’hostilité américaine, elle ne peut du reste se passer du soutien anglais. Renouant largement avec la politique traditionnelle de la France en la matière, la France Libre, puis Combattante, est donc moins que jamais encline à soutenir officiellement le sionisme. Lorsqu’en décembre 1941, Weizmann s’apprête à rencontrer Maurice Dejean pour demander «probablement (…) quelle est l’attitude de la France Libre vis-à-vis du sionisme », un conseiller de ce dernier lui prépare cette réponse: « Nous ne pouvons pas, dans les circonstances actuelles, étant donné notre collaboration intime avec l’Angleterre, – nous prononcer, malgré toutes nos sympathies en ce qui concerne cette question, ne fût-ce que par correction envers l’Angleterre, et comme la politique de la France, même d’avant-guerre, était de ne pas s’ingérer dans la politique anglaise en Palestine, nous ne pouvons donc faire autrement que de nous abstenir en ce moment-ci »[149]. Une note de synthèse, élaborée largement à partir des rapports mensuels envoyés par Catroux, qui se succède à lui-même de juillet 1941 à mars 1943 comme Délégué générai et Plénipotentiaire au Levant, précise cette attitude pour février 1943 : « En ce qui concerne la France Combattante, nous n’avons cessé d’observer la plus grande réserve. Toutes les associations juives qui déploient une activité désordonnée et bruyante nous ont demandé très fréquemment des messages de sympathie que nous leur avons accordés sous la forme la plus chaleureuse et, en même temps, la plus neutre. Jamais nous n’avons laissé aborder le problème politique des rapports entre la Palestine et les Etats du Levant ; il semble d’ailleurs sur ce point que les organisations sionistes soient très réservées. En fin, la France bénéficie de leur part de la reconnaissance que nous vaut l’unanimité du peuple français à se prononcer contre les persécutions antisémites »[150]. Certes, c’est après l’été 1941 que la prudence à l’égard du sionisme devient une ligne officiellement établie ; mais, nous avons pu le constater, ses principaux linéaments sont présents dès 1940-1941.

L’attitude officielle est une chose, celle des gaullistes en est une autre. Dans une certaine mesure, la guerre permet au mouvement sioniste de conduire à bien une campagne de relations publiques qui a porté des fruits. Nombreux sont ceux parmi les premiers compagnons de De Gaulle à s’être montrés sensibles qui au romantisme du combat sioniste, qui à l’héroïsme des soldats juifs, qui encore à la perspective d’une alliance au Moyen-Orient qui gênât l’allié britannique et suppléât à l’échec de la politique arabe de la France ; François Coulet, René Cassin, René Pleven, le général Koenig, bien d’autres encore, sont du nombre. La sympathie de certains gaullistes de la première heure comme Jacques Soustelle pour les extrémistes sionistes dissidents de l’Irgoun et du Stem semble bien remonter à ces années[151]. Moshé Shertok à Jérusalem, Albert Cohen à Londres ont accompli de ce point de vue un travail considérable, contribuant à créer dans les hautes sphères de l’Etat et de l’Administration des sympathies et des complicités fort utiles entre 1945 et 1948.

De Gaulle lui-même n’est pas indifférent. Le concours apporté par les sionistes au temps de la grande solitude, ses propres démêlés avec les autorités anglaises, y contribuent. Il a tendance aussi à sous-estimer alors le facteur du nationalisme arabe, sous lequel il voit surtout des menées britanniques. Mais l’influence modératrice d’hommes qui ont exercé des responsabilités sous la Ille République dans l’Empire ou dans l’Etat, comme Palewski, Dejean, et surtout Catroux, l’a très tôt retenu sur cette pente. Le chef de la France Libre est certes avide de soutiens, surtout au Moyen-Orient ; il peut trouver l’amitié sioniste utile à son image de démocrate, si difficile à imposer notamment aux Etats-Unis. Mais son devoir est d’abord, pense-t-il, de remettre à la France libérée un Empire intact, et donc de ménager — dans une certaine mesure —les Anglais et l’opinion arabe. En 1944, l’espoir de préserver l’influence coloniale française au Levant a fait long feu, mais de Gaulle estime que des rapports redéfinis avec les Etats arabes du Proche-Orient peuvent permettre de conserver avec eux des « relations étroites »[152]. « Notre destin, dit-il, est directement lié au bassin de la Méditerranée »[153]. Si, juge-t-il, le monde arabe reste d’une façon ou d’une autre dans son orbite, la France peut encore espérer jouer un grand rôle sur la scène mondiale. Dès l’origine donc, l’amitié sioniste n’est, à ses yeux, qu’un pion secondaire face aux intérêts arabes, primordiaux pour la France.

[1] L’Organisation sioniste mondiale, fondée par Theodor Herzl en 1897, continue son existence rythmée par les Congrès sionistes. L’Agence juive, fondée en 1929, était l’institution juive prévue par le mandat sur la Palestine (1922). Le président de l’OSM est le président de droit de l’Agence dont le siège principal est en principe Jérusalem, mais avec une filiale à Londres.

[2] On trouvera un récit détaillé de l’épisode de Met-chili dans Thierry Nolin, La Haganah, Balland, 1971, pp. 170-174, ou encore dans colonel Henri Le Mire, Tsahal. Histoire de l’armée d’Israël 1948-1986, Plon, 1986, p. 23. Pour le côté sioniste, Marc Jarblum, Les luttes des Juifs contre les Nazis, Ed. Réalité, octobre 1944, p. 84.

[3] Ont été consultées les Archives du Ministère des Affaires étrangères (désormais M.A.E.), les Central Zionist Archives de Jérusalem (désormais C.Z.A.), et, sans grand profit, les Archives Historiques de l’Armée de Terre à Vincennes (désormais SHAT). Il serait souhaitable d’explorer aussi les Archives de l’Etat d’Israël, celles de la Haganah, les Archives Jabotinsky et les Archives Weizmann en Israël, ainsi que certains fonds privés en France (fonds René Cassin aux Archives nationales et au Conseil d’Etat, fonds Repiton-Préneuf). Nous avons utilisé aussi les collections de documents publiés, ainsi que les mémoires de nombreux acteurs. Nous n’avons pu, comme nous l’aurions désiré, avoir un entretien avec M. Manuel et M. Dewavrin.

[4] Samy Cohen, De Gaulle, les gaullistes et la création de l’Etat d’Israël, Alain Moreau, 1974. Son plus récent biographe, Jean Lacouture ne traite pas de cet aspect dans son De Gaulle, t. 1 Le rebelle, Seuil, 1984 ; dans le t. 3 Le souverain, 1986, un passage rétrospectif très sommaire p. 487.

[5] Auteur d’une thèse sur La France et le sionisme de 1896 à 1914 (Paris I, 1986), nous préparons un livre sur le même thème couvrant la période 1896¬1948 (à paraître chez Calmann-Lévy, collection « Diaspora »).

[6] F. Mauriac, De Gaulle, Grasset, 1964, pp. 85-86.

[7] De Gaulle évoque ce « lamentable procès » dans La France et son armée, Plon, 1938, pp. 212-213. Le dreyfusisme des De Gaulle est souligné par de nombreux auteurs : Robert Aron, Dossiers de la Seconde Guerre mondiale, Plon, 1976, p.246 ; Léon Noël, Comprendre de Gaulle, Plon, 1972, p. 52 ; J. Lacouture, Le rebelle, op. cit., p.15.

[8] J. Lacouture, ibid., p. 102, relève à propos du séjour en Pologne cette notation de De Gaulle, claire en dépit de la censure : « Au milieu de tout cela, d’innombrables (…) : détestés à mort de toutes les classes de la société, tous enrichis par la guerre dont ils ont profité sur le dos des Russes, des Boches et des Polonais, et assez disposés à une révolution sociale où ils recueilleraient beaucoup d’argent en échange de quelques mauvais coups ». Les frères Tharaud, polygraphes très lus entre les deux guerres, sont très représentatifs de ces voyageurs.

[9] J. Lacouture, Le rebelle, op. cit., pp. 196-205. Le colonel Mayer et son gendre sont des israélites assimilés types ; ils avaient envisagé d’écrire, avec l’aide de leur cousin Jules Isaac, un ouvrage sur l’abbé Grégoire, le libérateur des juifs.

[10] Sans oublier l’accoucheur de ses deux premiers enfants, le Dr. Lévy-Solal.

[11] Jean Lacouture, Le rebelle, op. cit., p. 56, De Mauriac, ce jugement pénétrant: » La grandeur de De Gaulle, c’est qu’issu d’un milieu patricien, formé aux mêmes disciplines que les autres chefs militaires français, enclin par tradition et par goût à entendre les leçons des maîtres du nationalisme, il n’a jamais (…) essayé de mutiler cette France que les siècles ont faite, la France des Croisades, mais celle aussi des Droits de l’Homme. » Bloc-notes, 2 juillet 1958.

[12] Chargé de préparer un voyage de Pétain au Levant, voyage qui n’eut pas lieu finalement, de Gaulle consulta Catroux en 1924. Ce dernier « fut surpris par la curiosité de son ancien compagnon de captivité qu’il mit au compte de sa foi chrétienne », Henri Lerner, Catroux, Albin Michel, 1990, pp. 86-87. Voir aussi à ce propos J. Lacouture, Le rebelle, op. cit., pp. 160¬161.

[13] Pour le récit le plus complet de l’épisode, voir J. Lacouture, ibid., pp. 159-166.

[14] Histoire des Troupes du Levant, Imprimerie nationale, 1931. Ecrit en collaboration avec le chef de bataillon Yvon. L’avant-propos, qui remonte loin dans l’histoire, est révélateur : « La France qui a reçu la garde des pays du Levant, était particulièrement qualifiée pour cette tâche, à cause de son rôle historique dans ces pays ». La collection des Lettres, notes et carnets ne livre rien d’intéressant pour notre propos sur cette période.

[15] Cf. par exemple les récits enthousiastes de Joseph Kessel et de Pierre de Bonardi, grands reporters partis enquêter en Palestine après les massacres des juifs de Jérusalem, Safed et Hébron en 1929.

[16] CZA Z4/10210, rapport d’A. Cohen à l’Exécutif de l’Agence juive, 11 août 1940.

[17] Au sujet d’Albert Cohen sioniste, cf. les biographies de Jean Blot, Albert Cohen, Balland, 1976 (crédible sur ce point) et de Gérard Valbert, Albert Cohen le seigneur, Grasset 1990. Pour les liens entre l’engagement sioniste et la création littéraire, D. Goitein-Galperin, « Albert Cohen, le peuple juif et le sionisme dans sa vie et dans son œuvre », colloque de Beer-Sheba, Les juifs de France, le sionisme et l’Etat d’Israël, 1989. Albert Cohen est déjà fort connu pour ses deux romans, Solal (1930) et Mangeclous (1938).

[18] Depuis 1920.

[19] Spire fut l’un des très rares Israélites français à faire profession de sionisme avant 1914. Lors de la conférence de la Paix, il accompagne Weizmann devant le Conseil des Dix pour défendre le dossier sioniste. Il rencontre Cohen à Genève en 1917, contribuant à faire de l’intérêt de ce dernier pour le sionisme une « passion », G. Valbert, op. cit., p. 142.

[20] D. Goitein-Galperin, op. cit.

[21] En fait, Cohen a rendu service à diverses reprises aux sionistes dans l’intervalle, G. Valbert, op. cit.,

  1. 187.

[22] Ibid, p. 323.

[23] Cf. CZA Z4/15167.

[24] Sans succès, non par manque d’habileté, mais faute de temps et d’un soutien efficace de l’Agence juive.

[25] Il espère pouvoir y reprendre son œuvre et faire émigrer ses parents bloqués à Marseille. Le 16 juillet, il remercie Weizmann de l’avoir inscrit sur la liste des fonctionnaires de l’Agence destinés à gagner l’Amérique (CZA Z4/15167). Le 26 août encore, il plaide pour son départ (CZA Z4/10210).

[26] CZA Z4/10210, « Note sur mes entretiens avec M. de Saint-André en date du 16 et du 18 juillet 1940 », 18 juillet 1940. P-0. Lapie est l’ancien député républicain-socialiste de Meurthe et Moselle. Dans Les déserts de l’action, Flammarion, 1946, il ne dit rien de ses contacts sionistes.

[27] CZA Z4/10210, « Note sur mon entretien du 9 août 1940 avec le général de Gaulle », 11 août 1940. Le document est donné en annexe par Jean Blot, op. cit.

[28] CZA Z4/10210, lettre du général de Gaulle à M. Albert Cohen, conseiller politique du Congrès juif mondial, Quartier Général, 22 août 1940. Document également cité par Jean Blot, ibid. Nulle mention de l’épisode dans C. de Gaulle, Mémoires de guerre, l’Appel 1940-1942. Plon, 1954.

[29] Les archives officielles françaises sont en effet très pauvres à ce sujet. Weizmann, Président de l’Organisation sioniste mondiale, coiffe alors le Bureau londonien de l’Agence juive, dirigeant en particulier avec le professeur Brodetsky le Département politique. Sa correspondance éditée livre quelques informations, fort peu cependant, sans doute pour des raisons de sécurité : The Letters and Papers, Série A, Letters, vol. X, juillet 1940-janvier 1943, Israël Universities Press, 1979. Ses mémoires, elles, Naissance d’Israël, Gallimard, 1957, ne citent même pas le nom de Cohen et ne disent mot des rapports gaullo-sionistes. Il n’y a pas lieu de s’étonner de l’absence de David Ben Gourion, chef du Bureau de l’Agence juive à Jérusalem, dans cette affaire, bien qu’il ait été à coup sûr au courant. Il a gagné en effet Londres en mai 1940 pour se consacrer totalement au problème de la création d’une Légion juive ; de Londres, il s’embarque le 21 septembre pour les Etats-Unis, regagnant la Palestine en février 1941, avant de repartir, toujours pour les Etats-Unis, le 22 juin.

[30] C. Weizmann, The Letters…, op. cit., lettre à Lord Chetwode, Londres, 6 juillet 1940.

[31] (28)     Voir E. de Larminat, Chroniques irrévérencieuses, Plon, 1962 et Georges Catroux, Dans la bataille de la Méditerranée. Egypte-Levant-Afrique du Nord, 1940¬1944, Julliard, 1949.

[32] A de Saint-André le 16 juillet, Cohen précise « pour éviter tout malentendu, que l’Agence juive pour la Palestine ne m’avait pour le moment chargé que d’une simple prise de contact personnel » ; le 18, pris de court par la proposition de voir de suite Pleven et Lapie, il rappelle que «ce second entretien, tout comme le premier, ne pouvait avoir qu’un caractère privé»; à de Gaulle enfin, il déclare, le 9 août qu’ « une fois de plus…(sa) visite n’avait pas pour le moment un caractère officiel» (CZA Z4/10210, rapports cités, notes 26 et 27).

[33] CZA Z4/10210, rapport du 18 juillet.

[34] CZA Z4/10210, rapport du 11 août. « Les derniers temps de mon séjour en France, ajoute Cohen, j’ai pu constater l’immense prestige du Général dans toutes les classes de la population », ce qui est très exagéré, même si l’on peut admettre que Cohen ait bien entendu parler de de Gaulle dès 1939. En revanche de Gaulle connaissait-il l’écrivain de réputation ? Sa culture et son accueil, toujours bienveillant aux hommes de latent, rendent cette hypothèse plausible.

[35] Le 26 août encore, Cohen presse Weizmann et Brodetsky de prendre enfin une décision définitive à son sujet et à celui des discussions engagées.

[36] CZA Z4/10210, rapport de Cohen du 11 août 1940. Il place son action « sous réserve de l’assentiment des autorités britanniques ».

[37] De Gaulle a mauvaise réputation, surtout dans les milieux officiels américains et la faiblesse numérique de son mouvement n’a pas échappé à Cohen. A son actif cependant les accords Churchill-De Gaulle du 7 août établissant ses assises juridiques et financières, et le ralliement de territoires de l’Empire : Tchad, Cameroun, Congo, Oubangui-Chari fin août — en fait l’AEF moins le Gabon conquis en novembre —, la Polynésie, les Comptoirs de l’Inde et la Nouvelle-Calédonie en septembre.

[38] C. Weizmann, The Letters…, op. cit., lettre à Moshé Shertok, Londres, 22 septembre 1940.

[39] La menace est du reste éloignée par la supériorité aéronavale manifeste des Anglais en Méditerranée ainsi que par l’échec de l’offensive italienne contre l’Egypte. Commencée le 12 septembre, l’offensive italienne s’arrête à Sidi Barani dès le 18. Le maréchal Graziani sera surpris, le 9 décembre, par la contre-offensive britannique.

[40] Les relations diplomatiques sont en principe rompues depuis le 5 juillet et le blocus établi. Mais il est entendu que les diplomates fidèles à Vichy restent en poste à Jérusalem, Le Caire et Alexandrie, tandis que les Anglais conservent leur consul au Liban, installé désormais à Alley. A partir de novembre 1940, ce dernier délivre des « navicerts » autorisant, au grand dam de la France Libre, certains transports maritimes entre le Levant français et la métropole.

[41] C. Weizmann, The Letters…, op. cit., lettre à Shertok, 22 septembre 1940: « J’ai peur que l’orage n’approche de vos côtes sous peu, mais j’ai confiance dans la tournure des évènements là-bas. Des changements vont intervenir dans l’attitude de la Syrie et les gens de de Gaulle, avec qui je suis en relation, désirent notre collaboration ». Le 10 septembre, il a déjeuné en compagnie de Cohen et de Lapie (CZA Z4/15167, lettre de Cohen à Miss May, 7 septembre 1940).

[42] CZA Z4/10210, lettre du Secrétaire de l’Exécutif à A. Cohen, 29 août 1940 ; CZA Z4/15167, lettre de Weizmann à de Gaulle, 18 septembre 1940.

[43] Ce télégramme n’a pu être retrouvé. Néanmoins, le 2 novembre, Cohen en fait mention, expliquant « l’utilité qu’il y aurait à ce que je puisse faire connaître au Service des Affaires étrangères du général de Gaulle les résultats de l’activité annoncée par Shertok dans son télégramme du 18 septembre et qui avait trait à notre collaboration avec l’organisation de Gaulle » (CZA Z4/15167).

[44] Un trait courant alors dans les chancelleries occidentales. Déjà cette surestimation des moyens matériels des organisations juives, leur poids supposé aussi sur l’opinion américaine, contribuèrent à la Déclaration Balfour en 1917. En 1940, le même réflexe — toute proportion gardée — semble avoir animé les Français libres.

[45] CZA Z4/10210, rapport du 18 juillet.

[46] CZA Z4/10210, rapport du 11 août. De Gaulle ajoute qu’il serait également « reconnaissant de lui faire savoir si nous avions des moyens d’entrer en rapport avec les milieux juifs de l’Afrique du Nord, en vue d’une action qu’il envisagerait ultérieurement ».

[47] CZA Z4/10210, rapport du 11 août.

[48] CZA Z4/10210. « Je veux également saisir cette occasion pour vous faire part à nouveau des sentiments de sympathie que j’éprouve notamment à l’égard des collectivités israélites soumises à l’oppression des régimes totalitaires. Je suis, en effet, profondément convaincu que lorsque la France aura recouvré ses libertés, assurant ainsi le libre jeu de ses institutions démocratiques traditionnelles, tous les citoyens français — quelle que soit la religion à laquelle ils appartiennent — devront jouir d’une juste égalité des droits »…

[49] CZA Z4/10210, rapport du 18 août.

[50] Ibid.

[51] Ibid.

[52] Ibid. Selon Pleven, « on calcule approximativement que la moitié des troupes et des cadres de Syrie est constituée par éléments (sic) sûrs pour la résistance et susceptibles d’être acquis au Général ».

[53] CZA Z4/10210, rapport du 11 août.

[54] Ibid.

[55] G. Palewski, Mémoires d’action, 1924-1974, Plon, 1988. Henri Lerner, Catroux, Albin Michel, 1990. On ne saurait cependant mettre les deux hommes sur le même plan pour leur connaissance de ces problèmes. Même si « ce monde nouveau (l’)intéressait prodigieusement », Palewski n’a fait que son service militaire auprès de Lyautey à Rabat, lors de la guerre du Rif. Catroux, qui a ses attaches familiales en Algérie, est lui, un « disciple de Lyautey », un officier véritablement spécialiste des affaires arabes. Il a une connaissance approfondie de l’Islam et pratique l’arabe maghrébin. Tôt, il prend conscience de l’éveil du sentiment national arabe et en prend la mesure.

[56] G. Palewski, op. cit., p. 103.

[57] Lors de ce second séjour, sous les Hauts-Commissaires de Jouvenel et Ponsot, il dirigeait le service des renseignements de l’Etat-Major.

[58] On sait qu’en fait l’initiative revint à Churchill. De Gaulle, en Afrique alors, entérina. Au Caire, Catroux se cache d’abord sous l’identité de M. Chartier, citoyen canadien.

[59] H. Lerner, op. cit., p. 170. Sur le contexte, voir Isaac Lipschitz, La politique de la France au Levant, 1939-1941, Ed. A. Pedone, 1963.

[60] Le 28 octobre 1940, l’Italie attaque la Grèce. Le 9 décembre, l’armée britannique lance une contre-offensive victorieuse contre les Italiens en Libye, poussant jusqu’à Tobrouk et Benghazi, atteint en février 1941, où elle s’essouffle. En janvier 1941 débute l’offensive des Britanniques et des Français libres en Afrique orientale, jusqu’en mai. Mais en février 1941, l’Afrika Korps débarque en Libye et une offensive germano-italienne commence en avril, buttant provisoirement sur Tobrouk. Sur cet arrière-plan, La Deuxième Guerre mondiale, Chronologie commentée, par André Kaspi, Ralph Schorr et Nicole Piétri, Perrin, 1990.

[61] J. Lacouture, De Gaulle, 1969, p. 97.

[62] Outre I. Lipschitz, op. cit., voir pour plus de détails De Gaulle, L’appel, op. cit. et G. Catroux, Dans la bataille de la Méditerranée, op. cit.

[63] Parmi les exceptions notables, le Comité national français du Caire avec le baron de Benoist, directeur de la Compagnie du canal de Suez

[64] MAE Guerre 1939-1945, Londres CNF, 338, annonces du Yorkshire Post de Leeds du 14 janvier 1941 et du Jewish Chronicle de Londres le 24 janvier.

[65] J. Linton, secrétaire du Département politique de l’Agence juive signale une conférence du Marquis de Vault à Tel-Aviv organisée le 16 avril 1941 par l’association en présence d’officiels anglais et sionistes (CZA Z4/10210). L’association édita une brochure sur de Gaulle en hébreu en 200 exemplaires.

[66] MAE Guerre 39-45, Londres CFN, 338, dépêche n° 98 à Catroux, 14 octobre 1941, pp. 20-25. Ce rapport comporte en outre des annexes : les statuts de l’association ainsi que quelques numéros du bulletin de l’Association, « Les amis de la France ».

[67] Ibid., « Les Amis de la France », 14 juillet 1941.

[68] G. Catroux, op. cit., p. 39.

[69] Ibid., E. de Larminat joua un rôle bref en juillet 1940 dans l’organisation de cette Mission française libre, op. cit., p. 90. Le concours des juifs de Palestine au travail de la Mission de Jérusalem gagnerait à être mieux connu. Y est certainement mêlé le lieutenant, puis capitaine Saphir, mort ensuite au combat. Juif palestinien francophile, il fut deux fois engagé volontaire dans l’armée française, en 1914 et en 1940. Il fut un officier de renseignements très apprécié de Catroux à son Etat-Major du Caire (H. Lerner, op. cit., p. 173).

[70] Joseph Halléguen, Aux quatre vents du gaullisme, 1940-1952, Introduction au désordre français, Dervy, 1953, p. 32 et suivantes. Sur l’atmosphère — fort anti¬sioniste au demeurant — régnant au sein des radios « clandestines » de la Palestine Broadcasting Station dans le monastère réquisitionné de St Pierre en Galicante, voir Dan Vittorio Segre, Souvenirs d’un Juif heureux, Plon, 1990, chapitre IX.

[71] J. Halléguen, op. cit., pp. 44-45.

[72] J. Lassaigne (1917-1983) était fonctionnaire de la Chambre des Députés avant-guerre. En 1943, il dirige la radio d’Alger.

[73] F. Coulet, Vertu des temps difficiles, Plon, 1967, chapitre IV. Une photo du personnel du poste en mars 1941.

[74] Ibid. p. 89.

[75] « Il est remarquable que le Haut-Commissariat de Beyrouth que notre poste embarrassait, n’ait jamais réussi à l’identifier. Sans doute en fut-il ainsi parce que les sionistes s’en firent les complices ». G Catroux, op. cit., p. 49. Cette complicité était totale : non seulement ils fournissaient le matériel, mais veillaient à son fonctionnement, demandant par exemple à leurs agents à Malte, Salonique et Brousse de vérifier le champ d’écoute. Ils alimentaient en outre le poste en disques de variétés françaises acquis un peu partout.

[76] Hacohen, personnage pittoresque décrit par Abba Eban dans son Autobiographie, Buchet/Chastel, 1979,

  1. 40, faisait pour le compte de la Haganah la liaison avec les Anglais pour l’action militaire secrète dans les Balkans et au Moyen-Orient. Il était aussi le premier adjoint à la municipalité de Haïfa.

[77] Vertu…, op. cit., p. 102.

[78] Ibid., p. 101.

[79] Ibid., pp. 105-106. Le « plan Georges » mis au point par de Gaulle et Catroux prévoyant une action française en Syrie avec un simple soutien britannique et annulé en juin 1941, avait prévu l’action des radios : « Pendant toute l’opération, les postes-radio de Londres, de Levant-France Libre, de Brazzaville, de Jérusalem et du Caire diffuseront constamment des ordres et proclamations convenables à destination des troupes et des populations en Syrie et au Liban », L’appel, op. cit., annexes, pp. 392-394.

[80] Vertu…, op. cit., p. 103.

[81] MAE, Guerre 39-45, Vichy, E, Levant-Palestine, 36.

[82] Vertu…, op. cit., p. 103. Le général Dentz a été nommé par Vichy Haut-Commissaire en Syrie-Liban en décembre 1940.

[83] Vertu…, op. cit., pp. 106-113. Rien sur cette entrevue dans L’appel, op. cit., qui toutefois signale

  1. 157 : « Un poste-émetteur radio, installé en Palestine, répandait, depuis des semaines, par la voix des capitaines Schmittlein, Coulet et Repiton, d’amicales objurgations à l’adresse de nos compatriotes ». Dans un télégramme à la Délégation France Libre à Londres, le 16 avril 1941, il rapporte de Khartoum : « les radios du Caire et de Jérusalem sont gênées par les conditions politiques locales. Mais la radio « Levant-France Libre » est excellente et écoutée partout, quoique brouillée par Beyrouth », L’appel, annexes, pp. 387-389.

[84] La Yougoslavie et la Grèce en avril 1941. La Crète est attaquée le 20 mai.

[85] Sur les circonstances compliquées de la première crise gaullo-britannique en m. 1941, voir I. Lipschitz, De Gaulle, Catroux, op. cit.

[86] Yves Gras, La première DFL. Les Français libres au combat, Presses de la Cité, 1983, pp. 47-106. Également SHAT, 4 P 5, Historique des FFL par le commandant Etchegoyen, t. IV, Au Levant.

[87] SHAT 4 P 6 : deux photos montrant le défilé des FFL devant Ie Général. Voir aussi L’appel, op. cit., p. 156.

[88] Y. Allon, La lutte pour l’espoir. Conversations en hébreu avec Liliane Servier-Guetta, Stock, 1977, p. 33.

[89] Moshé Shertok, chef du Département politique de l’Agence juive à Jérusalem depuis 1933, savait, lui, le français. Nous n’avons pas retrouvé de traces directes de cet entretien. Mais dans une note de synthèse sioniste, datant probablement de 1946, sont mentionnées pour la période juin 1940-juillet 1941 des « entrevues Général de Gaulle-Weizmann-Shertok », CZA S33 « Points for conversation ».

[90] Capitaine Paul Moynet, La marche à l’étoile. Les carnets de route et d’opérations du Premier Bataillon de Marche, imprimé en Grande-Bretagne, sans date, pp. 29-30.

[91] Les trois missions principales sont bien connues, mais elles ne concernent pas, semble-t-il, les Français libres : le 18 mai 1941, un commando laissa la vie dans une tentative pour endommager les raffineries de Tripoli au Liban ; la veille de l’attaque en Syrie, deux autres commandos commandés par Y. Allon et Moshé Dayan accomplirent devant les lignes australiennes des missions de reconnaissance. Dayan y perdit un œil. Cf. M. Dayan, Histoire de ma vie, Fayard, 1976.

[92] P. Moynet, op. cit., p. 31.

[93] Samy Cohen, op. cit., annexes : compte-rendu de l’entretien de Jean-Claude Servan-Schreiber avec le général de Gaulle, en date du 5 juillet 1968.

[94] F. Coulet, op. cit., p. 98.

[95] G. Catroux, op. cit., p. 48. Selon Henri Lerner, op. cit., p. 174, « Catroux goûta médiocrement l’ardeur de ses subordonnés indociles dont il jugea excessive les attaques sans retenue contre la personne du maréchal Pétain, et il entreprit de les mettre au pas dès novembre 1940 ». Jusqu’au printemps 1941 en effet, Catroux ménage Dentz dans l’espoir de le persuader de reprendre le combat ; en décembre 1940, il s’était engagé auprès des autorités anglaises de Palestine à imprimer « une forme discrète à notre action sur les pays du Levant », Dans la bataille…, op. cit., p. 46. Enfin la lecture des rapports de Repiton-Préneuf soulignant la fidélité des troupes du Levant au maréchal n’était sûrement pas faite pour le convaincre de l’efficacité du poste (H. Lerner, pp. 176-177). Aucune trace de ce projet émanant des sionistes dans les papiers officiels de la France Libre, mais il cadre parfaitement avec ce qui est alors l’obsession de Ben Gourion —qui est en Palestine au printemps 1941 — : la guerre doit aboutir à la création de l’Etat juif ; il faut former une force militaire qui puisse prendre une part active à la lutte présente, mais capable aussi, à la fin de la guerre, si nécessaire, de conquérir la Palestine. Or les promesses de Churchill et d’Eden de créer une Division juive en septembre 1940 sont restées lettre morte.

[96] F. Coulet, op. cit., p. 98.

[97] De passage au Caire en juillet-août 1940, Coulet avait été heurté par les conceptions réactionnaires de Larminat et son entourage, op. cit., p. 80.

[98] Dans la bataille…, op. cit., p. 49. Précisons que Catroux n’a rien d’un antisémite. « La législation rétrograde de Vichy choqua profondément ce général d’esprit républicain qui n’eut jamais de tendresse pour la Révolution nationale », H. Lerner, op. cit., p. 153. Il aurait cependant souhaité plutôt qu’un rétablissement du Décret Crémieux en Algérie, une abolition discrète de la législation de Vichy, dans le style de sa propre action au Levant français, assortie de compensations pour les Arabes.

[99] G. Catroux, op. cit., p. 49. Pas impossible non plus que la tonalité fortement socialiste du sionisme palestinien lui ait déplu. Il craindra plus tard que le jeune Israël ne soit au Moyen-Orient le cheval de Troie de l’URSS. Alors que les mémoires de Coulet traduisent son ressentiment, Catroux clôt ainsi le récit de l’incident : « Je persuadai aisément Coulet ».

[100] Au sujet de son voyage d’avril 1941 au Moyen-Orient, de Gaulle écrit « En Palestine, le conflit latent entre Arabes et Juifs imposait maintes précautions », op. cit., p. 148.

[101] Jules Hackin part en mission en Orient en février 1941. Son navire fut torpillé.

[102] André Dewavrin, dit Passy, est un officier de carrière. Il se rallie en juin 1940, venant de Narvik.

[103] CZA Z4/15167, rapport du 9 juillet 1941.

[104] Ibid.

[105] M. Dejean (1899-1983) était en 1939 chef de cabinet au Quai d’Orsay. Il fut le principal conseiller diplomatique de De Gaulle avant le ralliement de René Massigli en 1942. « M. Dejean, homme de droite et catholique pratiquant, m’a paru animé de sentiments démocratiques sincères. Il a de cordiales relations avec le groupe Comert, ce qui est une garantie à ce point de vue. M. Dejean m’a dit qu’il a l’intention de publier, en contraste avec les mesures antisémites de Vichy, des déclarations du général de Gaulle à ce sujet, notamment la lettre que le général de Gaulle m’a adressée en août 1940 », ibid.

[106] Ibid.

[107] Entretien du 4 novembre 1940, CZA Z4/15167, rapport du 9 novembre 1940.

[108] Rencontre du 7 novembre 1940. Ibid.

[109] Cohen a des liens personnels avec les deux hommes et les deux journaux. Membre du comité de rédaction, il publie dans La France Libre où sa femme, Marianne, est correctrice d’épreuves. Sa fille, Myriam, est correctrice chez Comert, ami de Cohen depuis son époque SDN. Ce dernier a même fait le voyage vers l’Angleterre en juin 1940 sur le même navire que la famille Cohen.

[110] CZA Z4/15167, lettre de Comert à Cohen, 9 octobre 1940.

[111] Un repas est arrangé par Cohen. CZA Z4/15167, lettre de Cohen à Weizmann, 2 novembre 1940.

[112] CZA Z4/15167, lettre de Comert à Cohen, 19 novembre 1940.

[113] CZA Z4/15167, lettre de Cohen à Weizmann, 24 novembre 1940.

[114] CZA Z4/10210, lettre de Cohen à Brodetsky, 16 décembre 1940.

[115] CZA Z4/10210, lettre de Cohen à Brodetsky, 6 février 1941.

[116] Créée à l’instigation du Général, France Libre n’est pourtant pas une revue du clan gaulliste. La rupture entre Labarthe, ami de Muselier, et de Gaulle, intervient à la fin de 1941 et au début de 1942. Le quotidien France, très attaché aux valeurs républicaines, garde aussi ses distances. Voir à ce sujet R. Aron, Mémoires. 50 ans de réflexion politique, Julliard, 1983, ainsi que Jean Pierre-Bloch, De Gaulle ou le temps des méprises, La Table Ronde, 1969.

[117] CZA Z4/10210, lettre de Cohen à Linton, 22 novembre 1940.

[118] CZA Z4/15167, lettre de Cohen à Weizmann, 26 novembre 1940.

[119] CZA A303/15, lettre de Cohen à M. Jarblum, 1er avril 1968. G. Valbert (op. cit., p. 342) donne un récit plus détaillé : « Le rendez-vous est à onze heures. Weizmann aime la ponctualité. Israël n’est pas encore un Etat, il s’agit de se faire respecter. Onze heures et cinq minutes, le chef du sionisme trépigne, son visage laisse transparaître la nervosité. A onze heures dix, il se lève et dit à Cohen : « On ne fait pas attendre le peuple juif ! ».

[120] CZA S25/6594, lettre de Linton à Shertok, Londres, 28 mars 1941.

[121] CZA A303/15, lettre du Président du Conseil constitutionnel à Jarblum, Paris, 23 juillet 1965.

[122] Le professeur Lewis Namier, secrétaire du Département politique se charge des Polonais et des Tchèques, Weizmann des Grecs.

[123] CZA Z4/10210, lettre de Cohen à Weizmann, 20 janvier 1941.

[124] Ibid.

[125] CZA Z4/15167, rapport du 9 novembre 1940.

[126] CZA Z4/10210, lettre de Cohen à Linton, 13 février 1941.

[127] The Letters…, op. cit., note éclairant une lettre à Shertok du 22 septembre 1940 : le 8 octobre suivant Weizmann rapporte que les discussions (probablement entre Anglais et Français libres) ne progressent pas favorablement, mais que « deux officiers du Comité de Gaulle lui donnèrent manifestement des assurances » (Archives Weizmann, Executive meeting, 12 novembre 1940).

[128] CZA Z4/15167, rapport du 9 novembre 1940.

[129] CZA Z4/15167, lettre de Hackin à Cohen, 21 décembre 1940.

[130] CZA Z4/15167, rapport de Cohen, 9 novembre 1940.

[131] Ibid.

[132] CZA Z4/15167, lettre de Cohen, 2 novembre 1940.

[133] CZA Z4/15167, note de Cohen du 17 novembre 1940.

[134] Ibid. CZA Z4/12210, lettre de Linton à Cohen, 19 novembre 1940.

[135] CZA Z4/10210, lettres de Linton, 3 et 4 décembre 1940. Cette démarche reflète aussi et surtout sa perception de la tragédie juive en Europe.

[136] CZA Z4115167, rapport de Cohen, 9 juillet 1941.

[137] CZA Z4/10210, lettre de Cohen à Weizmann 20 janvier 1941.

[138] Ibid.

[139] CZA Z4/15167, note confidentielle de Linton, sans date, « Mr Albert Cohen ‘s proposai for the formation of an Inter-allied Committee of Friends of Zionism ».

[140] CZA Z4/15167, rapport du 24 février 1941.

[141] Ibid.

[142] Cf le télégramme de De Gaulle à ses services à Londres du Caire, 31 mai 1941 « Au point de vue général, l’intérêt principal passe peu à peu à Washington. Il faut absolument que nous commencions à y exister. Je compte beaucoup pour cela sur le voyage de Pleven qu’il faut hâter », L’appel, annexes, pp. 412¬413.

[143] CZA 24/15167, note confidentielle non signée, mais à l’évidence de Cohen, 4 mars 1941.

[144] CZA S25/6594, lettre de Linton à Shertok, 28 mars 1941.

[145] Ibid.

[146] Nahoum Goldmann, fondateur du Congrès juif mondial, représente l’Agence juive en Amérique et siège comme conseiller dans son Exécutif.

[147] CZA Z4/15167, rapport de M. Escarra à Cohen, Londres, 17 mai 1941.

[148] Il travaille après cette date au Haut-Commissariat pour les Réfugiés.

[149] MAE Guerre 39-45, Londres CFN, 39, « Questions dont, je suppose, le Dr Weitzmann entretiendra M. Dejean et l’attitude à prendre pour chacune d’elles », 10 décembre 1941.

[150] MAE Guerre 39-45, Londres CFN, 40, « Proche-Orient et Moyen-Orient », Londres, 10 février 1943.

[151] Cf. l’aide de l’Irgoun pour la propagande radio en 1940 et 1941. Par ailleurs René Cassin signale, en novembre 1940, à Cohen avoir reçu la visite de sionistes révisionnistes (CZA 24115167, rapport du 9 novembre 1940). Enfin, fin 1943 et début 1944, des révisionnistes de Palestine font des offres de services à la France Combattante (MAE, Guerre 39-45, Alger CFLN, 1036, 1037, 1323. 1324).

[152] Samy Cohen, op. cit., p. 24: discours de De Gaulle devant l’Assemblée consultative provisoire à Alger, le 18 mars 1944.

[153] Ibid. Discours de De Gaulle à l’Assemblée consultative le 22 novembre 1944. Lors de sa conférence de presse du 25 août 1945, il refuse de même de se prononcer sur la politique anglaise concernant l’immigration juive en Palestine.

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