ODILE DE VASSELOT
« NE JAMAIS BAISSER LES BRAS »

par Marie de Chamvres*

En 1938, dans Les Grands Cimetières sous la luneGeorges Bernanos lance à la face du Führer fou : « Oh ! bien sûr, vous vous flattez d’obtenir de l’Église toutes les dispenses qu’il vous plaira. Détrompez-vous. Un jour ou l’autre, l’Église dira non. » Et l’écrivain de pressentir qu’une « nouvelle chevalerie » surgira du sol français – et même allemand. Parole prophétique puisque les chrétiens sont parmi les premiers à dire « non » à l’occupant nazi. Fût-ce au prix de la désobéissance, fût-ce au prix de leur vie.

Cette chevalerie de l’ombre, Odile de Vasselot la rejoint dès le 17 juin 1940. Du haut de ses 18 ans, elle accueille en effet l’appel du maréchal Pétain à cesser le combat avec « une consternation immense ». Capituler ? Impossible pour cette patriote, fille d’un officier récemment fait prisonnier. Le lendemain soir, aux aguets dans sa chambre, elle tapote sur le poste à galène quand, soudain, surgit la voix du général de Gaulle. Une voix qui lui est familière, car lorsqu’elle vivait en garnison avec sa famille à Metz où son père était en poste, le colonel de Gaulle y commandait alors un régiment de chars. Les deux familles se côtoyaient et s’estimaient.

Enthousiasmée par « l’appel », Odile fonce au salon annoncer la nouvelle aux convives réunis. Son grand-père maternel, le général Cugnac, l’interrompt : « Il y a encore de l’espoir ! » C’est chez lui, à Paris, qu’en octobre 1940 Odile, sa mère et ses sœurs trouvent refuge. La jeune fille veut à tout prix « faire quelque chose ». Elle commence par des « broutilles » en participant à la manifestation d’étudiants du 11 novembre sur les Champs-Élysées, en dessinant des croix de Lorraine sur les murs avec un bout de craie ou en arrachant les affiches allemandes et vichystes. Mais c’est trop peu pour ce caractère entier et bien trempé.

« Je priais, agenouillée devant mon lit le soir, pour implorer Dieu de m’aider à trouver un mouvement de résistance sérieux », confiera-t-elle dans ses mémoires. Fin 1942, avec une amie de l’Action catholique qu’elle fréquente assidûment, elle se rend au cinéma où est projeté L’Appel du silence. Ce film sur Charles de Foucauld révèle que le frère universel livrait des renseignements au Deuxième Bureau français. « Je rêve de faire de l’espionnage ! » lance-t-elle à sa copine. Heureux « hasard » : celle-ci connaît quelqu’un… une certaine Mme Poirier, qu’Odile rencontre en décembre. Cette rapide entrevue fait basculer la sage étudiante dans la résistance organisée.

Celle qui se fait désormais appeler Danièle entame alors une double vie. Elle est d’abord agent de liaison pour le service Zéro. À l’insu de ses parents, elle se rend, une dizaine de week-ends de suite, à Toulouse, pour remettre des documents contenant des informations sur l’armée allemande. Dans le train filant vers la Ville rose, la résistante trompe sa solitude en se mettant dans la main de Dieu et sous son regard. Et ce faisant, elle tisse une relation personnelle, intime, avec ce Dieu auquel, jusque-là, elle ne croyait que par tradition.

Lorsque la filière Zéro est démantelée par la Gestapo, Odile échappe par miracle à l’arrestation. Elle refuse pourtant de rester les bras croisés. À travers une association catholique, elle entend parler de Michel Riquet. Ce jésuite est impliqué dans le réseau Comète qui assure le transfert de Belgique en France, puis en Angleterre, de pilotes britanniques rescapés des batailles aériennes. Odile rejoint aussitôt cette ligne d’évasion et enchaîne les missions périlleuses jusqu’à son démantèlement. Puis elle intègre à nouveau un réseau de transfert de courrier. Plus d’une fois, elle risque sa vie, même après l’insurrection de Paris alors que la police française l’interne quai des Orfèvres, la prenant pour une « collabo ».

La guerre achevée, Danièle redevient Odile. Licence d’histoire en poche, et poussée par son désir d’aider la jeunesse, elle commence à enseigner au collège Sainte-Marie de Neuilly fondé par Madeleine Daniélou. « J’ai été “passeur” dans le réseau Comète, il faut que je continue à être “passeur” », expliquera-t-elle. Elle fait ensuite un pas de plus dans l’engagement en rejoignant la communauté Saint-François-Xavier. En 1962, elle est envoyée à Abidjan pour y fonder un lycée. Elle œuvrera trois longues décennies en Côte d’Ivoire avant de rentrer en France.

Bientôt centenaire, cette discrète héroïne continue de témoigner de son combat pour la liberté. Le cœur de son message ? « Ne jamais baisser les bras. Jamais ! » Ou sous la plume de Bernanos : « Résister au démon de l’à quoi bon ? » Telle est l’espérance à laquelle nous sommes appelés.

*Journaliste, Marie de Chamvres collabore régulièrement à Magnificat.

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