PEARL HARBOR, 7 DÉCEMBRE 1941 d’Hélène Harter
Paris, éditions Tallandier, 2011
Dimanche 7 décembre 1941, Berkhamsted (Hertfordshire), la campagne où logent les de Gaulle. Le colonel Passy, visiteur du jour, rapporte dans ses mémoires : nous rentrâmes de notre longue promenade et chacun alla s’asseoir dans un fauteuil du salon. Le Général tourna le bouton de la radio. (…) Les Japonais venaient d’attaquer la flotte américaine à Pearl Harbor. De Gaulle coupa le contact et se plongea dans une méditation profonde que je me gardai d’interrompre. Un temps qui me parut interminable s’écoula ; puis le Général se mit à parler et me dit à peu près ceci : maintenant, la guerre est définitivement gagnée ! Définitivement, mais pas immédiatement, dans une guerre désormais mondialisée. Sur cet événement, l’éditeur Tallandier vient de proposer en réédition l’excellent livre d’Hélène Harter, professeur d’histoire contemporaine à l’université Rennes II, éminente spécialiste de l’histoire des Etats-Unis au 20e siècle.
L’ouvrage, dense et percutant, combinant le récit et l’analyse, emporte le lecteur. On y croise les « têtes d’affiche » (Roosevelt, Hiro-Hito, Yamamoto) mais aussi des protagonistes directs et moins connus, vainqueurs comme le chef d’escadrille Fuchida ou vaincus comme l’amiral Kimmel (qui perdit 2 de ses 4 étoiles dans l’affaire). On assiste aux manoeuvres des Japonais et au manque de lucidité puis à la sidération des Américains. La très grande connaissance de la littérature disponible sur le sujet, et notamment les rapports issus des différentes commissions d’enquête du Congrès et de la Navy, permet à l’auteur une reconstitution minutieuse et minutée de l’attaque. Ainsi apprend-on que l’USS Arizona est atteint à 8h05 d’une bombe larguée par le pilote Kanai Noboru qui embrase 4600 tonnes de fuel puis, le feu gagnant, fait sauter les réserves de munitions du cuirassé ; l’explosion est telle qu’elle brise le navire et tue des centaines de marins dont le « pacha » qui ne sera identifié que par sa chevalière sur un doigt calciné… Et pour la première fois de l’histoire des Etats-Unis, un matelot afro-américain, Doris Miller, de l’USS West Virginia, reçoit la Navy Cross pour avoir sauvé son commandant et abattu 2 avions japonais alors qu’il n’avait jamais reçu d’instruction à la mitrailleuse car les postes de combat étaient interdits aux noirs ! Quelques 2400 Américains trouvèrent la mort ce jour-là.
Les grandes questions sont exposées avec clarté. Par exemple sur l’étendue et la portée du bombardement victorieux pour les Japonais (qui ne coulent aucun des porte-avions de la Navy, sortent l’opinion américaine de son isolationnisme et la cimente – ce qui ne fut pas un mince exploit), nous rappelant que les conséquences de la victoire comptent autant que la victoire en elle-même. Mais aussi sur la fable que l’interventionniste Roosevelt savait ce qui allait arriver mais laissa faire pour les besoins de sa cause (thèse apparue après la guerre chez les Républicains qui espéraient salir indirectement Truman et se réapproprier la Maison Blanche : les interprétations complotistes ne sont pas l’apanage d’aujourd’hui). Ou encore sur la soi-disant impotence de l’empereur Hiro-Hito face au diktat de son Etat-Major : une invention pour ne pas le destituer après 1945 quand il s’avéra indispensable à « l’oncle Sam » de disposer d’un Japon allié et stable aux premières heures de l’affrontement américano-soviétique.
Aujourd’hui aux Etats-Unis, il est inutile de préciser de quelle année on parle quand on évoque le 7 décembre : un jour marqué à jamais par l’infamie, selon la formule célèbre de Roosevelt. Mais le temps a fait son œuvre, accéléré par la Guerre Froide et la nécessité pour Washington que le Japon ne tombe pas comme un domino : les ennemis sont devenus alliés. Cela aussi, le général de Gaulle l’avait pressenti devant son poste de radio à Berkhamsted : Maintenant, la guerre est définitivement gagnée ! Et l’avenir nous prépare deux phases : la première sera le sauvetage de l’Allemagne par les Alliés ; quant à la seconde, je crains que ce ne soit une grande guerre entre les Russes et les Américains. Les Etats-Unis ont bel et bien soutenu l’Allemagne mais aussi le Japon. Et tout comme la petite Bundeswehr accueillit nombre d’anciens soldats du Reich hitlérien, la modeste armée impériale d’après 1945 « recycla » des anciens de Pearl Harbor, à l’instar du capitaine Genda Minoru qui avait organisé sous la houlette de Yamamoto le raid aéronaval et qui devint commandant en chef de l’armée de l’air nippone en 1959, avec l’assentiment des Américains. Autre destin, celui du capitaine Fuchida, qui, survolant en premier la rade d’Oahu, avait lancé à la radio le célèbre message Tora Tora Tora : devenu pasteur, il se rendit après la guerre aux Etats-Unis pour prêcher la Bonne Parole.
Franck Roubeau
Le lecteur pourra poursuivre sur le sujet avec le remarquable livre de Nicolas Bernard, La guerre du Pacifique, Paris, Tallandier, 2016 (en un volume), réédition 2019 (en 2 volumes).